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Microcrédit, commerce équitable et développement durable, instruments au service de l’ordre établi

Il n’est pas un jour qui passe sans entendre les hommes politiques, les institutions internationales, les économistes, les dirigeants d’entreprises, les ONG, les grands médias etc. vanter les mérites du microcrédit, du commerce équitable et du développement durable. De quoi s’agit-il ? Selon les tenants de ce paradigme, il s’agit de lutter contre la pauvreté, de rémunérer équitablement le producteur et de préserver les besoins des générations présentes et à venir. Mais en réalité, il ne s’agit là que d’un maquillage idéologique pour mieux masquer et perpétuer la brutalité des rapports sociaux de production de la société capitaliste.

Pour Jacques Attali, symbole vivant de l’opportunisme et du cynisme, ancien conseiller de Mitterrand et ami de Sarkozy, la lutte contre la pauvreté passe par le microcrédit. Attali le riche veut ainsi aider les pauvres ! Il fonde alors PlaNet Finance, une ONG internationale aux ramifications multiples et obscures, soutenue par une kyrielle de patrons et d’hommes politiques. Dans son conseil d’administration on trouve pêle-mêle Henri Lachmann Président du Conseil de Surveillance de Schneider Electric, Anne-Claire Taittinger Ancienne Présidente du Directoire du Groupe Taittinger, Bertrand Lavayssière Directeur Général de Global Financial Services ( Capgemini), Bernard Kouchner, Rachida Dati etc. Et comme présidents d’honneurs de ce groupe à but non lucratif, on peut citer Muhammad Yunus, Edouard Balladur, Thierry Breton, Michel Rocard etc. PlaNet Finance reçoit l’aide de multiples fondations dont celle de Bill Gates.

Jacques Attali, avec tout ces bourgeois derrière lui, peut « résoudre le problème de la pauvreté en généralisant la microfinance aux 500 millions d’entrepreneurs qui n’ont pas accès au crédit » (1). Pour éradiquer la misère, il faut transformer les pauvres en entrepreneurs, par la magie du microcrédit. Banquiers, experts et conseillers en microcrédit sont envoyés aux quatre coins de la planète pour accomplir cette noble mission. Mais ces études et ces conseils ne sont pas toujours prodigués gratuitement. Jacques Attali, en bon bourgeois, a réalisé en 1997 une lucrative étude sur le microcrédit pour le gouvernement angolais qui lui a rapporté 200 000 dollars. Il faut préciser que Pierre Falcone, poursuivi et condamné dans l’affaire Angolagate, n’est pas étranger à cette fameuse étude sur le microcrédit dans un pays en pleine guerre civile !

Jacques Attali est également président « d’Attali et Associés » célèbre et rentable cabinet de conseil international spécialisé dans l’ingénierie financière. Il est difficile de distinguer les deux structures. Car PlaNet Finance est, elle aussi, spécialisée dans le conseil aux fonds internationaux de micro crédit et dans la notation des organismes de microcrédit. On ne sait pas vraiment quand s’arrête le conseil payant et quand commence l’aide gratuite.

Mais le pape du micro crédit reste quand même Muhammad Yunus prix Nobel de la paix. Sa Grameen Bank est, elle aussi, soutenue par les multinationales comme Danone par exemple. L’engouement des grands groupes pour le microcrédit est réel. Car celui-ci est non seulement rentable, mais il est aussi et surtout au service du capital. Comme le précise Muhammad Yunus lui même « Le social-business est la pièce manquante du système capitaliste. Son introduction peut permettre de sauver le système » (2). Il s’agit donc de sauver le capitalisme ! Comment ? En exploitant les pauvres, de plus en plus nombreux, par le biais du crédit et des taux d’intérêt élevés. En effet ceux-ci varient entre 15 et 20 % et parfois beaucoup plus. Ces taux sont donc supérieurs à ceux appliqués par les banques traditionnelles. A l’asservissement du pauvre au patron, s’ajoute l’asservissement au banquier. Celui-ci n’hésite pas à pousser le pauvre, dans l’incapacité d’honorer sa dette, à contracter de nouveaux emprunts pour rembourser les premiers avec des taux encore plus élevés. L’exploitation n’a pas de limites ! Sur-exploité et sur-endetté, le pauvre au lieu de devenir petit entrepreneur, devient plus pauvre encore. Traqué par ses créanciers et ne pouvant plus rembourser, il va utiliser le suicide comme ultime moyen de protestation. C’est ainsi que des milliers de paysans indiens ont été poussés au suicide, entre autres, à cause du sur-endettement lié à des taux usuriers du microcrédit (3).

Alors pour éviter ces cas extrêmes et pour améliorer le sort des producteurs pauvres des pays du sud, on leur propose le commerce équitable. Il s’agit de rendre équitables les échanges internationaux, dans le cadre du capitalisme bien sûr. Comment ? « En garantissant les droits des producteurs et des travailleurs marginalisés, tout particulièrement au Sud de la planète » (4). ONG caritatives et humanitaires, organismes de labellisation, grands groupes de distribution et multinationales du Nord, dans un formidable élan de générosité, vont secourir les producteurs du Sud. Quelle époque formidable !

Nestlé, MacDonald’s, Carrefour, Leclerc etc. dont la violence sociale exercée sur leurs propres salariés est assumée ouvertement, sont eux aussi solidaires des petits producteurs ! Mais derrière cette « solidarité » se cache le profit. Pour les responsables des magasins Leclerc « le commerce équitable ne constitue qu’un marché émergeant. Avec les volumes, les fournisseurs vont pouvoir écraser leurs coûts de production et nous pourrons ainsi augmenter nos marges » (5). « Le commerce équitable, c’est d’abord du commerce », rappelle Catherine Gomy directrice qualité et développement durable chez Leclerc avant d’ajouter « On paie plus cher la matière première mais, pour nous, la marge est la même. C’est le consommateur qui paie la différence » (6).

Les grands groupes exploitent ainsi les sentiments altruistes des consommateurs pour s’engraisser un peu plus. Le commerce équitable leur permet également de redorer leur blason bien terni par la brutalité des rapports sociaux qu’ils entretiennent avec leurs employés.

Et le producteur du Sud que ces multinationales, ONG et autres organismes caritatives ou humanitaires du Nord veulent, vaille que vaille, aider que gagne-t-il dans ce commerce de l’équitable ? Pas grand-chose. Il doit se contenter de quelques miettes et supporter de surcroît toute une série de frais imposés par une horde d’intermédiaires parasites qui, comme des vampires, lui pompent ses maigres ressources. Au final, on arrive à cette étrange situation où « ceux qui travaillent ne gagnent pas et que ceux qui gagnent ne travaillent pas » (7).

Mais pour continuer à s’enrichir et pour perpétuer son système, la bourgeoisie exploite également et sans retenue la misère humaine et la misère écologique. Elle a inventé le concept du développement durable ou soutenable pour justement soutenir et faire durer son propre système, le capitalisme, premier et dernier responsable de la destruction de l’homme et de la nature : « un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs » (8).

Grâce à sa puissance économique, elle impose sa vision sociale et écologique du monde : faire du profit tout en faisant croire qu’elle travaille à la sauvegarde des intérêts des générations actuelles et futures. Là encore les entreprises, petites et grandes, les gouvernements, les collectivités locales, les ONG, l’Union Européenne, l’ONU et ses institutions etc. tentent, chaque jour qui passe, de nous convaincre que la lutte contre la pauvreté et le salut de notre planète passent par le développement durable. Séminaires, colloques, conférences, rencontres internationales, forums, expositions, bref des manifestations en tout genre et en tout lieu se multiplient à travers la planète pour promouvoir le développement durable. Le Conseil mondial des entreprises pour le développement durable (WBCSD) qui regroupe 175 entreprises internationales participe lui aussi au « développement durable par la croissance économique, l’équilibre écologique et le progrès social ». Global 100, un cabinet américain de conseil en investissement spécialisé dans la gestion des risques non traditionnels, sélectionne et classe les 100 multinationales les plus engagées dans le développement durable. Il publie un rapport à l’occasion du forum économique mondial de Davos (9).

Toute cette agitation n’a qu’un seul but, masquer l’horrible réalité d’un système dont les lois et les mécanismes sont en profonde contradiction avec l’homme et son environnement. Et pendant que l’on s’agite autour du développement durable, plus d’un milliard d’êtres humains selon la FAO souffrent de la faim alors même que la production des richesses atteint des niveaux jamais égalés dans l’histoire de l’humanité (10). La finance globalisée spécule sur le blé, le riz, le maïs et autres denrées de première nécessité transformées en produits financiers permettant aux spéculateurs parasites de s’engraisser toujours plus. Les grands groupes industriels et bancaires distribuent sans scrupules dividendes et bonus par dizaines, par centaines de milliards d’euros à leurs actionnaires et « collaborateurs » tout en continuant à licencier par milliers leurs salariés.
Le saccage de la nature et sa destruction systématique par les multinationales avides de profit et qui participent en même temps avec enthousiasme à la promotion du développement durable, se poursuivent inlassablement.

Microcrédit, commerce équitable et développement durable ne sont pour le système que des instruments qui lui facilitent grandement la réalisation de son seul et unique but, le profit. Ils lui permettent également de se perpétuer en le présentant paré de toutes les vertus : un capitalisme à visage humain ! Il ne s’agit en fait que d’un vulgaire maquillage sur un visage hideux, un masque derrière lequel se cache toute la laideur et toute la brutalité du capitalisme.

Mohamed Belaali

Notes

(1) http://www.challenges.fr/magazine/c...

(2) Muhammad Yunus, « Vers le nouveau capitalisme », J C Lattès, 2008

(3) http://w3.cerises.univ-tlse2.fr/dow...

(4) Voici la définition « offocielle »du commerce équitable élaborée par quatre structures internationales ( (FLO, IFAT, NEWS, EFTA) : « Le commerce équitable est un partenariat commercial fondé sur le dialogue, la transparence et le respect, dont l’objectif est de parvenir à une plus grande équité dans le commerce mondial. Il contribue au développement durable en offrant de meilleurs conditions commerciales et en garantissant les droits des producteurs et des travailleurs marginalisés, tout particulièrement au Sud de la planète. Les organisations du commerce équitable (soutenues par les consommateurs) s’engagent activement à soutenir les producteurs, à sensibiliser l’opinion et à mener campagne en faveur de changements dans les règles et pratiques du commerce international conventionne ».

(5) Cité par Christian Jacquiau « Max Havelaar ou les ambiguïtés du commerce équitable », in Le Monde Diplomatique, seprembre 2007.

(6) http://www.lefigaro.fr/conso/2008/0...

(7) Manifeste du Parti Communiste, K Marx et F Engels.

(8) Définition de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement dans le Rapport Brundtland.

(9) Voir la liste http://www.global100.org/

(10) Rapport 2009 de la FAO ( Food and Agriculture Organization)
ftp://ftp.fao.org/docrep/fao/012/i0...

COMMENTAIRES  

24/10/2009 14:57 par Aodren

Excellent article M. Belaali, comme toujours.

J’espère que cela contribuera à ouvrir les yeux des naïfs inconséquents qui s’imaginent qu’on peut empêcher les conséquences logiques du capitalisme sans changer le mode de production.

Peut être à l’occasion pourriez vous donner votre avis sur l’origine réel de la place démesurée prise à nouveau par la spéculation dans l’économie capitaliste. C’est parait-il un changement de "mentalité" à l’origine de ce phénomène. Qu’en pensez-vous ?

fraternellement,

24/10/2009 16:51 par Leila

Merci Mohamed pour cet excellent article

Personnellement je n’ai pas eu besoin de faire une enquête détaillée pour comprendre que le microcrédit est une grosse arnaque, le nom de Jacques Attali m’a amplement suffit.

Il y a aussi cet article publié en 2006 à propos du "charitable" Attali :

http://www.ifrap.org/Du-micro-credit-aux-propheties-Jacques-Attali-a-tout-faux,0368.html

24/10/2009 16:52 par Mohamed Belaali

Merci Aodren pour le compliment.
Quant aux origines réelles de la spéculation et la place qu’elle occupe aujourd’hui dans l’économie capitaliste, il faut, à mon avis, revenir encore une fois à Marx. Le sujet est complexe à souhait et nécessite un travail en profondeur. Je ne me sens pas en mesure aujourd’hui d’avancer une hypothèse sans avoir au préalable approfondi cette question importante. Mais je suis d’accord avec vous, il ne faut pas la laisser entre les mains des « experts » bourgeois dont le but premier est de justifier l’ordre établi.

Fraternellement.

24/10/2009 18:46 par Anonyme

Je suis entièrement d’accord sur le constat fait sur le microcrédit, qui n’a rien d’altruiste, et sur le développement durable, qui n’est qu’un cache-sexe.

Concernant le commerce équitable, je suis tout de même plus nuancé : certes, les organismes de distribution s’engraisse au passage, et des intermédiaires sont toutefois nécessaires.

Mais du point de vue du consommateur, il s’agit avant tout d’insister sur la visibilité de tels produits via la grande distribution, de manière à offrir un réel choix. A quand un tel choix concernant le vestimentaire, de plus en plus mauvaise qualité et systématiquement chinois ? C’est déjà suffisamment délicat de trouver des produits vestimentaire fabriqués en "Europe", alors je suis quand même relativement heureux de voir du commerce équitable de disponible.

Bien sûr, le jour où les marges sur le commerce équitable sont plus élevés que les marges sur les produits traditionnels, c’est le consommateur que l’on tond pour sa générosité. En est-on là ? Je ne sais pas.

Mais il est certain que le mérite n’en renvient nullement aux sociétés de distribution, et encore moins à la "société". Seulement au consommateur, qui doit de surcroît faire un effort pour vérifier qu’on ne se fout pas de sa gueule.

G.

24/10/2009 19:58 par Anonyme

Pour répondre à Aodren : La spéculation est fondamentalement intrinsèque au régime capitaliste tel qu’il est en place depuis déjà quelques siècles. La différence principale entre avant et maintenant est, qu’avant, on spéculait sur le résultat d’une activité économique en s’y investissant, soi-même et son pognon, relativement directement.

Il est d’ailleurs frappant de se rémémorer les causes essentielles de la véritable "Grande Dépression", celle de 1870 : Début de la banque d’investissement, les banquiers et investisseurs ont décidé de gager le financement de l’immobilier dans les grandes villes (pensez à l’Haussmannien de Paris, par exemple) sur les revenus à venir du développement agricole en Europe de l’Est. Sauf que la montée en puissance du productivisme agricole en Amérique du Nord lui a fait concurrence directement, et ces financements est-européens se sont cassés la gueule. C’était le début de la spéculation moderne à grande échelle (grande échelle pour l’époque), et la première crise bancaire moderne, qui dura 20 à 30 ans.

Maintenant, avec

- 1- Cotations électroniques et trading automatisé/informatisé, garantissant de la "liquidité" et de l’efficacité dans la spéculation,

- 2- La mondialisation, qui offre des débouchés illimités de nouvelles choses sur lesquelles spéculer,

- 3- Les politiques "keynésiennes" = "ultra-libérales" des dernières années visant à augmenter la masse monétaire disponible pour les financiers, (pas pour les pauvres par contre), ce qu’on appelle aussi "la fuite en avant dans le crédit", ou "endetter (réellement) les générations futures (sans leur dire)",

pourquoi voulez-vous qu’ils se gênent ? Il n’y a nul besoin de changement de mentalité, mais juste d’un nouveau contexte, celui de ces dernières années. Ensuite embauchez des mathématiciens pour créer des produits structurés sans vouloir prendre en compte les "hypothèses" de ces matheux, et encore moins se soucier de réellement comprendre ces produits, et vous avez une recette pour du n’importe quoi...

Il est à noter que les économistes libéraux pur et dur de l’école autrichienne condamnent majoritairement les systèmes de reserves fractionnaires gérés par les banques centrales. Ils ne demandent pas l’indépendence de la BCE, mais son abrogation ! (Et je pense qu’une partie d’entre eux soutiendrait même une "nationalisation" de la BCE, sous certaines réserves). C’est sûr que voir les banques d’investissement américaine emprunter à taux 0 auprès de la FED, (ce qui est donc une taxe pour les américains) pour ensuiter parier le dollar à la baisse et ainsi s’engraisser...

Ce n’est même pas du capitalisme, ni même un "changement de mentalités", mais de la connerie.

Maintenant, si vous voulez "moraliser le capitalisme", conservez le systèmes des actions, interdisez les dividendes des actions (rien n’empêche de souscrire des obligations pour se rémunérer), cotations tous les mois, rendez caduques tous les contrats ayant pour effet de détourner cette cotation mensuelle, et illégales les cotations intra-mensuelles, interdisez l’expansion monétaire tout court, abolisez le système des réserves fractionnaires pour un système à réserves pleines, rétablissez des mesures protectionnistes modérées à l’échelle européenne, renégocier le traité de Maastricht surtout l’article 111, abrogez une partie des dettes actuelles, surtout des particuliers, interdisez les crédits à la consommation. Et repénalisez le droit des affaires, car sans "punitions", il n’y a (malheureusement) pas de "morale". Dans un tel contexte, les salaires ne peuvent qu’augmenter.

Pas besoin de marxisme pour rêver...

25/10/2009 01:49 par savant??

à l’anonyme de 19h58.
C’est un bon début.J’ajouterais supprimer les marchés à termes et les "futures".

25/10/2009 11:57 par romain vallon

Alors que reste t’il ? la révolution ?
moi je préfère oeuvrer à sensibiliser
même si nos actions de développement du tourisme et des notions de développement durable reste par beaucoup de point imparfaite

25/10/2009 16:07 par Anonyme

Félicitations, il est utile que l’on s’attaque enfin aux mythes de la lutte contre la pauvreté.
Cela me rappelle un article lu dans CQFD en juin dernier qui allait dans le même sens que le votre.

MICROCRÉDIT, MACRO-USURIERS

Il est, paraît-il, un secteur qui ne connaît pas la crise. Celui de la microfinance. Aujourd’hui, grâce un prêt minime contracté auprès d’une Institution de microcrédit (IMF),160 millions d’artisans,de paysans peuvent acheter qui une chèvre, qui une barque de pêcheur,qui une machine à coudre et devenir micro-entrepreneur. Difficile d’être hostile à cette pratique qui prétend haut et fort combattre la pauvreté en offrant un accès au crédit et à l’épargne à celles [1] et ceux qui en sont exclus d’ordinaire. Ainsi, Muhamad Yunus, père fondateur du microcrédit et prix Nobel de la Paix 2006, se vante d’avoir aidé sept millions de pauvres dans 78 000 villages du Bangladesh. Sa banque, la GrameenBank (partenaire de Danone) fait du profit mais ce qui importe, dit-il, « c’est que 64% de ceux qui ont été emprunteurs durant au moins cinq ans ont dépassé le seuil de la pauvreté ». Faut voir…

Ne dit-on pas que l’enfer capitaliste est pavé des meilleures intentions humanitaires ? Déjà en2001, le macro-conseiller Jacques Attali s’interrogeait : « Le microcrédit constitue-t-il une forme de don, un moyen de créer des petits boulots, ou un moyen d’installer une forme de grand capitalisme ? » Devenu le gourou de Planetfinance,première IMF dans le monde, on peut en déduire qu’il a trouvé la réponse. Pour Muhamad Yunus, pas d’ambiguïté : « Le social-business est la pièce manquante du système capitaliste. Son introduction peut permettre de sauver le système [2]. » Sauver le capitalisme, en toute simplicité.

L’engouement est mondial. Et quelques grandes banques de s’apercevoir que la microfinance peut être très rentable ; d’autant que les taux d’intérêt sont élevés - de 15 à 20%, jusqu’à 30% même !- et que les pauvres s’évertuent à bien rembourser - le taux de pertes de la Grameen Bank ne serait que de 3%. Comme disait le grand Alphonse Allais : « Il faut prendre l’argent là où il se trouve : chez les pauvres. D’accord, ils n’en ont pas beaucoup, mais ils sont si nombreux ! »

Quelle différence alors avec l’usure classique à laquelle les IMF prétendaient soustraire nos bons pauvres ? Ah, mais là , c’est de l’usure éthique, camarade ! Aaaah bravo ! Le 14 mai, un reportage d’Envoyé spécial, « Le banquier des pauvres », montrait la dérive des IMF au Bangladesh vers des pratiques déguisées de crédit à la consommation. « En quinze ans d’emprunt, je n’ai jamais réussi à rembourser », témoignait un vendeur de beignets. En effet, l’emprunt servant à couvrir les besoins immédiats autant que les dépenses exceptionnelles, le travail d’arrache-pied ne permet plus de faire face, surtout quand les agents de crédit incitent leurs clients à s’octroyer un nouveau prêt auprès d’un autre IMF pour rembourser le précédent. Selon un professeur bengali, le surendettement toucherait 78 % des microdébiteurs.

En 2005, dans le seul état indien de l’AndhraPradesh, on a noté des dizaines de cas de suicides sous la pression des créanciers - du harcèlement verbal et sexuel à la confiscation des biens. Gênées aux entournures par ces scandales, les IMF ont décidé d’adopter un code de conduite stipulant que « les pratiques de recouvrement des créances des prestataires ne [devaient] être ni abusives ni coercitives ». En voulant transformer les pauvres en micro-entrepreneurs, souvent au détriment de solidarités communautaires basées sur l’agriculture vivrière et le troc, la pseudo-panacée du microcrédit tombe le masque et se révèle une pure main basse financière sur l’économie informelle, éclipsant au passage les politiques de mise à sac des droits sociaux et la nécessité d’une redistribution générale des richesses [3]. Moralité : l’argent, c’est pas fait pour les pauvres !

Article paru dans CQFD n°68, juin 2009.

[1] 85% des béneficiaires des microcrédits sont des femmes, considérées meilleures gestionnaires que les hommes.

[2] Vers le nouveau capitalisme, Lattès, 2008.

[3] A lire : Élisabeth Hofmann, Kamala Marius-Gnanou, « Le microcrédit est-il le faux nez du néolibéralisme ? », Les Cahiers d’Outremer, n°238, 2007.

25/10/2009 21:20 par Anonyme

Mercredi dernier sur France Info,Radio de Sarko, était invité le vice président de PlaNet Finance. Il n’a fait que vanter et sans réserve les bienfaits du microcrédit.
Grâce à ce texte, j’apprends que les taux d’intérêt sont exorbitants, que les pauvres sont parfois obligés d’emprunter à nouveau pour rembourser les anciens prêts et que les paysans indiens sont poussés au suicide par les usuriers du microcrédit. Il n’a évidemment pas parlé de tout cela. Il n’a pas parlé non plus des relations ambiguës entre PlaNet Finance et "Attali et Associés" ni de toutes les autres magouilles liées au microcrédit.
Le texte m’a également convaincue que le développement durable et le commerce équitable ne sont en définitive que des gadgets dont il faut se méfier.

25/10/2009 21:25 par Jean-Pierre CANOT

On est atterré par cette importance exagérée donnée à la micro finance, tarte à la crème du moment et dont on attend des miracles ! Le texte qui suit montre que si l’on s’en tient à ce seul modèle qui n’est que la toute première étape du système millénaire de la coopération, il n’en sortira strictement rien. Quand arriverons-nous à comprendre cette évidence ?

MUHAMMAD YUNUS NE FAIT QUE REVENIR ET S’EN TENIR FERMEMENT A LA TOUTE PREMIERE ÉTAPE D’UN MODELE MILLENAIRE !

Muhammad YUNUS et la Grameen Bank du Bengladesh n’ont rien inventé du tout, ce qui n’enlève d’ailleurs rien à leur mérite.

La Grammeen Bank et tous les modèles de micro finance qui en découlent est la première étape du modèle coopératif inventé par les Babyloniens et qui, après l’expérience des pionniers de Rochdale ou des producteurs de micocoulier dans le Gard en France, a été il y a cent ans à la base des modèles européens de la coopération agricole, notamment le Crédit agricole français, que l’on oublie systématiquement dans les programmes de développement, au profit du seul modèle de Muhammad YUNUS porté désormais aux nues.

Le problème est que malgré tous ses mérites, le modèle mis en oeuvre dans cette seule première étape, ne marche pas et ne marchera jamais, pas plus d’ailleurs que les modèles coopératifs européens pris dans leur forme actuelle et que nous nous acharnons à développer en vain depuis les indépendances.

Il faut pour mobiliser le maximum de ressource bancaire vers le secteur agricole sous forme de prêts, bancariser les populations rurales de façon à ce que tous les flux financiers résultant de leur activité -essentielle dans les pays en développement, il s’agit du secteur primaire- restent dans ce secteur et ne s’évadent pas vers la banque commerciale, qui dans la meilleure des hypothèses fera semblant d’aider l’agriculture en avançant des fonds aux organismes de micro finance qu’elle crée la plupart du temps sous forme de filiales.

Cette mobilisation indispensable de la ressource de base qui devra d’ailleurs être complétée notamment pour les investissements longs ne peut se faire qu’au travers du modèle coopératif qui a fait ses preuves depuis des siècles.
Encore faudrait-il que ce modèle soit et reste l’authentique, et ne soit pas remplacé par les ersatz infâmes que l’on a vu se développer tant en Afrique que dans les pays communistes et qui ont conduit à la ruine et à l’abandon de ce modèle coopératif .
Ceci ne pourra se faire que par la mise en place de lois et règlements propres à la Coopération Agricole, et qui en retiennent impérativement les authentiques principes de base que j’ai essayé de rappeler dans mon livre :Apprends-nous plutôt à pêcher ! »

Jean-Pierre Canot
Bergerac 12 octobre 2009

Jean-Pierre CANOT Garrigue Route de Mussidan 24100 BERGERAC
T :05 53 57 31 83 apprends-nous.plutot.a.pecher@canot.info
http://jeanpierrecanotbergerac.blogsudouest.com/ http://lafrancetoutfoutlecamp.blogspot.com/

26/10/2009 00:05 par Eric

Bonjour
lors de mon séjour en Inde en 2008, j’avais rencontré une expat française qui travaillait dans le micro crédit pour des groupes bancaires voyant là un marché juteux. Son boulot : sillonner l’Inde et organiser des réunions avec des associations locales pour vendre son produit. Principales cibles : les pauvres voulant ouvrir un petit commerce de rue comme vendre de la bouffe sur un bout de trottoir. Les taux d’intérêt variaient entre 20 et 25% mais ça elle se gardait bien d’en parler. Elle était mal à l’aise. L’autre copine avec qui elle partageait l’appart faisait aussi le même boulot.

Eric

27/10/2009 19:11 par Nassardine Rachide J Paul

oui Monsieur Mohamed Belaali, je partage votre analyse sur toute la ligne. En réalité le capitalisme est en déclin depuis quelque années déjà . Ainsi la dernière crise financière qui vient d’enfoncer ce système égoïste a besoin d’une nouvelle orientation sans pour autant changer d’objectifs.
Les adeptes de ce mafieux système veulent a tout prix nous faire croire que c’est l’évangile. Sans ce système l’humanité va à sa perdition. Alors les disciples, les apôtres et autres en la personne de Monsieur Jacques Attali veulent lui donner du sang nouveau pour que les effets dévastateurs soient indolores pour nous qui le subissons.
Mais qu’ils sachent qu’en toute chose, l’éveil des consciences est le point de départ de tout changement. On peut nous duper une fois mais pas tout le temps. les pays de l’Amérique latine sont sur cette voie, la voie du salut.
Ce système (capitalisme rongeur) que d’aucuns font croire à une vitalité à l’image du sang (indispensable) humain, a montré aux yeux de tous que ce ne sont que des larmes et non pas le lait et le miel.
Voyez-vous un peu le bilan des pays africains. Depuis l’esclavage en passant par la colonisation, nous sommes dans le tourbillon de ce système à perdre notre indépendance, notre identité avec son corollaire de guerres, de gabegies financières, famine, expropriation des terres par les multinationales et par d’autres genres aussi véreux les uns que les autres.
Tout récemment, l’on vient d’assister à la mauvaise foi de la chine qui par son droit de veto a acheté le sous-sol de la Guinée ( Conakry) à vil prix pour couvrir DADIS CAMARA de ses tueries dans un stade. Je m’arrête.
Beaucoup de courage Monsieur Mohamed Belaali pour la victoire du bien sur le mal.
Cordial , Rachide Nassardine ( Abidjan RCI)

28/10/2009 11:24 par Anonyme

A savant ?? (je suis l’anonyme de 19h58) : Interdire les marchés à terme et les futures, il n’en est pas nécessairement besoin. Ils jouent quand même un rôle quand on n’est pas un spéculateur mais quelqu’un souhaitant se prémunir contre une évolution brutale des prix. On peut déjà prendre des mesures simples : rendre les contrats incessibles, côtés une seule fois par mois. En concernant le volet juridique : on me fera difficilement croire qu’il est impossible de définir juridiquement la notion de spéculation. On a tous les outils théoriques pour le faire. Il suffit d’y coller quelques normaliens. Ensuite, on interdit juridiquement la spéculation, et on fait planer l’épée de Damoclès juridique sur les boîtes financières exactement de la même façon que n’importe quelle entreprise informatique a la trouille des brevets des autres...

Mais la problématique sur les marchés dérivés est pour moi bien plus simple : pourquoi n’existe-t’il pas un produit dérivé me permettant d’empocher des gros sous quand le chômage augmente, ou quand le PIB baisse... Une sorte de contrat d’assurance en sorte. On me dira que pour les paticuliers, il y a toute sorte d’assurances, etc... Mais pourquoi ces mêmes assurances n’ont-il pas participer à la création d’un tel marché dérivé sur des indicateurs comme le PIB ou comme le taux de chômage ?

Complexité de tels produits, car le sous-jacent n’est pas un produit financier classique ? Fainéantise ? Mauvaise foi ? Ou simplement je-m’en-foutisme car les "commodity futures" sont plus juteux ?

Parce que quand vous lisez les travaux de Debreu qui justifient l’existence de ces marchés dérivés, vous êtes frappés par le décalage entre la théorie et la pratique. Ceux qui ne voient pas le décalage ont tous simplement le nez collé à leur univers financier et font preuve d’autisme intellectuel.

(Par ailleurs, j’attends de voir d’autres "économistes" me sortir un théorème de Kakutani de derrière les fagots. Je suis sidérés par l’inculture mathématique des économistes modernes. Faire des processus stochastiques avec des règles de trois dans Excel, j’te jure... Et on parle de "science" après... On est vraiment en Pat’Sup - "Pâte à modeller supérieure")

G.

30/10/2009 16:50 par Delpech Michèle

Bonjour,

Je désire savoir les modalités pour obtenir un micro-crédit dans le cadre d’une création d’activité de loisir. Est-il possible de se faire accompagner pour les démarches à effectuer dans ce cadre. Je vis à Couëron, près de Nantes, et veux créer une micro entreprise de promenades en canoë sur la Loire. Il me faut pour acheter le matériel dont j’aurais besoin, une somme d’environ 3 000 euros. Je me suis renseignée auprès des autorités fluviales pour savoir s’il y avait des dangers potentiels à naviguer sur un esquif de ce genre et personne n’a su me répondre. Je vis avec le minimum - 400 euros. Je désire m’en sortir parce que je sais que mon projet tient la route. Je m’entraîne tous les jours physiquement pour être à la hauteur de ma tâche. Aidez-moi, je vous en prie !

Salutations

01/01/2010 21:35 par Michel Virard

J’avoue avoir été surpris par la violence des attaques contre le micro-crédit à la fois dans le texte de Mohamed et la plupart des commentateurs. J’avais plutôt une opinion positive à ce sujet quoique superficielle. Alors je suis parti aux renseignements et je peux confirmer que plusieurs défauts signalés son tout à fait réels. En particulier les taux pratiqués peuvent certainement être considérés comme très élevés. Le fait que les banques classiques sont aussi à l’affut de rendements juteux dans cette histoire est aussi à mettre au passif.

Toutefois, cela met en cause les modalités de mise en pratique du principe du micro-crédit mais pas forcément sa valeur intrinsèque en tant qu’outil de développement, surtout là où toutes les autres tentatives ont échouées. Si les taux sont élevés il faut quand même comprendre que, même avec ces taux élevés, il y a encore de ces organismes de micro-crédit qui perdent de l’argent. Il y a trois sources de frais élevés, le loyer de l’argent si ce dernier provient d’une banque commerciale, le coût des frais de dossier et enfin les défauts de paiement. Apparemment, même avec un organisme de gestion de prêt honnête et désintéressé, on se trouve dans une situation assez immorale dans laquelle les emprunteurs responsables payent pour les pertes causées par les emprunteurs délinquants. Le coût des frais de dossier est difficile à comprimer vu les conditions dans lesquelles ces micro-banques opèrent (l’infrastructure communication et informatique est souvent déficiente) mais on peut espérer que les choses vont aller en s’améliorant. Enfin le loyer de l’argent à payer aux prêteurs n’est pas toujours la raison principale du coût élevé du prêt en bout de ligne. J’ai découvert qu’il y avait des organismes sans but lucratif qui opèrent différemment des banques et ont donc la possibilité de diminuer effectivement les taux en bout de ligne (au moins d’éviter des taux franchement usuraires). Je me suis inscrit à Kiva et suis devenu "prêteur" pour de très modestes sommes ce qui m’a permis de me familiariser plus directement avec le micro-crédit. Kiva filtre les organismes de prêt sur le terrain pour éviter justement de se faire embarquer par des opérateurs à la conscience élastique. D’autre part en faisant appel directement à un public philanthropique et non aux banques comme source de capitaux, Kiva a évidemment une marge de manoeuvre plus grande qu’une banque quand il s’agit de fixer ses taux aux organismes sur le terrain. Je pense que ce modèle va se développer (la croissance de Kiva est impressionnante) et qu’il représente clairement un moyen efficace de corriger les défauts, fort justement signalés, de cet outil de développement.

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