Le vacherin, fraise et glace vanille de Tahiti, nous faisait carrément de l’oeil. Et subitement, avant même d’avoir attaqué la meringue, François Hollande a eu ces mots définitifs, surprenants, lâchés au terme d’un long et rare exercice d’introspection politique : « Il faut un acte de liquidation. Il faut un hara-kiri. »
C’est du Parti socialiste qu’il parle, ce soir-là, 11 décembre 2015, devant nous. « Son » PS, dont il envisage ainsi froidement la dissolution. En vue de sa réélection, en 2017, il mise sur une recomposition de sa famille politique.
Car il compte bien y aller, évidemment.
Trop envie d’en découdre, de renouer avec ce sentiment exaltant que procure une campagne présidentielle, cette excitation propre à toute conquête, ces poussées d’adrénaline au moment des grands débats télévisés…
De Gaulle, Giscard, Mitterrand, Chirac, Sarkozy…
Ils ont tous retenté leur chance, avec plus ou moins de succès. Le pouvoir est un opiacé et François Hollande, incarnation même de l’homo politique, n’est pas le moins accro. Avec son fatalisme coutumier, il nous confie, début 2016 : « Je pense que si je n’ai pas les résultats, que je sois candidat ou que je ne sois pas candidat, la droite gagnera et la gauche perdra. N’importe qui à gauche et n’importe qui à droite, s’il n’y a pas les résultats. S’il y a des résultats et la dynamique qui laisse penser qu’il y en aura, ce n’est pas gagné, mais alors, ça se joue. Sinon, c’est perdu. On dira, vous, vous écrirez, peut-être : finalement il a fait des réformes, il a tenté… »
Pour cette nouvelle campagne, il le sait pertinemment, répondre aux attaques de la droite, tourner en ridicule ses propositions, se délecter de la primaire fratricide opposant Sarkozy, Juppé et consorts, tout cela ne lui suffira pas à convaincre les Français de lui refaire confiance.
Il part de très loin. Sa réélection ? Plus qu’une gageure, une mission quasi impossible. Lui y croit, au mépris des cassandres qui lui prédisent, au mieux, un destin à la Jospin, humilié au premier tour de la présidentielle de 2002.
Son salut réside sans doute dans la prise de risques. Lui-même constatait en octobre 2015 : « Une campagne, c’est du risque. » Il va lui falloir forcer sa nature. En tout cas, il a déjà esquissé un programme. Mieux, donc, dans l’idée de provoquer un électrochoc, à gauche, il veut porter le coup de grâce à ce Parti socialiste totalement nécrosé, dont il pressent qu’il est arrivé au bout d’une histoire vieille de près d’un demi-siècle – le PS fut fondé en 1969 sur les décombres de la SFIO.
Il a même imaginé un nom pour ce nouveau mouvement. Les dîners présentent cet avantage de délier les langues. Il faut croire qu’un président de la République n’échappe pas à la règle. Alors, entre le boeuf bourguignon et le fameux vacherin, Hollande s’est épanché sur cette refondation du PS qui, dit-il, le hante depuis « longtemps ». Après quelques considérations sur le paysage politique, le chef de l’État en est venu à l’essentiel. « Tant qu’il y avait des partis de gauche, les communistes, les Verts, qui acceptaient de faire alliance avec le PS et qui représentaient quelque chose, on n’avait aucun intérêt à refondre le PS, commence-t-il. Mais dès lors que ces alliés se sont rigidifiés, sectarisés, il faut faire sans ces partis-là.
Comment ? Avec le parti le plus important, on en fait un nouveau qui permet de s’adresser aux électeurs ou aux cadres des autres partis. Ce que vous ne faites plus par les alliances, vous le faites par la sociologie. Par l’élargissement. C’est une oeuvre plus longue, plus durable, moins tributaire d’alliances. Vous pouvez imaginer que viennent aussi des gens qui n’ont jamais fait de politique partisane, des gens du centre… » Ça ne peut pas être un jeu d’appareil, insiste Hollande, parce que ce n’est pas en additionnant les socialistes, un bout de Radicaux, quelques communistes et quelques écologistes, c’est en disant : voilà, on fait une grande formation politique… »
Ce nouveau mouvement, susceptible de réunir toute la gauche dite de gouvernement, Hollande imaginait alors le lancer dès le « début de l’année 2016 ». Il a pris du retard, manifestement. Ou n’a pas osé franchir le pas. « Il y a intérêt à le faire dans la perspective d’une élection présidentielle plutôt qu’au lendemain », justifie-t-il, pourtant, ce 11 décembre 2015.
Et pourquoi pas dans le cadre de la campagne de 2017 ? « Non, dit-il, ça ne marche plus, ça fait “coup”. Ou cela fait accompagnement du candidat. » Une évidence à ses yeux : « Ce n’est pas à moi de le faire. » Qui alors pour porter un tel projet, révolutionnaire pour le coup, si ce n’est le premier secrétaire du parti, l’expérimenté, le fiable et surtout l’hyper-manoeuvrier Jean-Christophe Cambadélis ?
« Cela devrait être lui, normalement, approuve Hollande. Il n’a pas tellement le choix, d’ailleurs : qu’est-ce que ça devient, son organisation ? Il dit qu’il est prêt. Et Valls est pour. » Le contraire eût été étonnant : depuis dix ans, le Premier ministre, partisan d’une totale mise à jour du vieux logiciel socialiste, ne manque pas une occasion de souligner l’urgence d’un changement de nom, censé symboliser l’entrée dans une nouvelle ère.
Un chamboulement susceptible de contrarier les vieux militants socialistes. « Il y en a de moins en moins ! balaye crûment Hollande. Et puis, le propre d’un électeur ou d’un militant socialiste, c’est de vouloir gagner. Ce n’est pas de conserver. Mais il faut garder Jaurès, on a une histoire, on ne vient pas de nulle part. »
« Il faut créer quelque chose qui ne soit pas factice, insiste-t-il. Si c’est factice, on nous dira : c’est un tour de prestidigitation, on a compris. Vous avez fait un coup comme Sarkozy avec l’UMP, pour échapper à la justice électorale au moins ! Il faut dire que c’est l’hériter du PS. Le PS ne peut se dépasser que si d’autres viennent le rejoindre. Chaque fois que j’en parle à Cambadélis, il me dit :
“On va le faire, on va le faire.” Mais ça tarde. »
Il faudrait encore trouver une dénomination, un choix plus que délicat.
« Le meilleur nom qu’on pourrait trouver, c’est le “Parti de la gauche”, quand on y réfléchit bien », confie-t-il. Oui, mais Jean-Luc Mélenchon a déjà préempté la marque. Au fer rouge.
« Comme on ne peut pas s’appeler comme ça, opine Hollande, il y a le “Parti du progrès”. Le parti des progressistes. On peut y mettre les écolos. C’est facile à comprendre : vous êtes pour le progrès ? Oui. Le progrès social, humain. »
Le Parti du progrès, donc. Un nom qui ne fait pas franchement rêver. Sobre et abstrait, consensuel et conceptuel, à l’image de son promoteur, tout simplement. « De toute façon, il faut bouger », assure-t-il.
Près d’un an après ces confidences assez sensationnelles, rien n’a vraiment avancé. Cambadélis semble avoir reculé devant l’obstacle, même s’il a lancé, au printemps 2016, sa Belle Alliance populaire, supposée ramener au bercail les déçus du Hollandaise. Et comme Hollande ne veut pas apparaître en première ligne…
Ce n’est que partie remise. Débaptiser un parti riche d’une telle mémoire ne sera pas chose facile, mais c’est sans doute le sens de l’histoire. Au mieux social-démocrate, le PS n’a plus grand-chose de socialiste. Il n’est plus, depuis bien longtemps, le parti des classes populaires, et sa conversion à l’économie de marché est désormais totale.
À l’évidence, il ne déplairait pas à Hollande, incarnation du syncrétisme politique, d’être celui qui aura permis au PS d’effectuer sa mue, comme l’ont fait, avant lui, le Britannique Tony Blair avec le « New Labour » ou l’Allemand Gerhard Schröder au sein du SPD. Quitte à prôner une politique de centre-gauche – voire centriste tout court, sur certains plans plus sociale-libérale que sociale-démocrate, autant l’assumer jusqu’au bout. Sortir enfin de cette ambiguïté dans laquelle François Hollande s’est lui-même trop souvent complu. De toute façon, s’il ne le fait pas, Manuel Valls se chargera de la besogne, sans aucun état d’âme. Lui dont le voeu le plus cher est d’en finir une bonne fois pour toutes avec les tenants de l’orthodoxie socialiste, frondeurs ou pas, totalement en décalage de son point de vue avec le monde du XXI siècle. Le Premier ministre se rêve en Matteo Renzi français. Le jeune et flamboyant président du Conseil italien est lui aussi classé à la droite de son mouvement de centre-gauche, le Parti démocrate. Cela fait un bon moment, déjà, que l’ex-maire d’Évry, théoricien des « gauches irréconciliables », juge nécessaire une « clarification » au sein du PS, opération dont il ne lui déplairait pas d’être le maître d’oeuvre. Si ce n’est pas pour ce coup-là, il patientera. L’avenir lui appartient.
Contrairement à une idée longtemps propagée, au cours du quinquennat Hollande, les deux hommes n’ont jamais été en concurrence dans l’optique de la présidentielle de 2017. Le président nous redit sa confiance totale dans la fidélité de son Premier ministre. Non, Valls ne le trahira pas, il ne se lancera pas dans la course contre Hollande. Ne serait-ce que parce qu’il n’y aurait aucun avantage… « C’est son intérêt, explique Hollande. Il se dit : “Si ça ne marche pas, pourquoi j’irais moi au casse-pipe ?” Il préfère dire : “Finalement, Hollande a fait ce qu’il a pu, je l’ai soutenu, ça a été honorable, on a perdu, je serai le candidat pour 2022.” C’est humain. Ça ne veut pas dire qu’il le sera, car pour 2022, il y aura d’autres inconnues. Mais il peut se dire : “Après, qu’est-ce que j’ai ? J’ai Montebourg, je n’en ferai qu’une bouchée le moment venu, Aubry, ce sera terminé, Ségolène, ce sera terminé, Hollande aura donné ce qu’il pouvait…” Voilà. Dans sa génération, sauf à être dépassé par un plus jeune… » Emmanuel Macron, par exemple.
S’il devait se choisir un successeur, entre Valls et Macron, la loyauté d’un côté, l’ingratitude de l’autre, Hollande n’hésiterait pas.