Accord prétendument majoritaire de 4 syndicats sur 5 le 11 janvier 2007 = mensonge
Nous voilà , dans tous les médias, dans le langage officiel, en présence d’un mot fabriqué, quasi grotesque car aussi paradoxal qu’incompréhensible : « flexisécurité ».
Allez dire aux millions de salariés qu’ils vont être « flexisécurisés » par une « loi de modernisation du contrat de travail », vous éveillerez la certitude légitime qu’on va les rouler dans la farine. Alors autant utiliser des mots simples, que les communicants ne pourront renier : flexicurité = foutaise !
Tout ce qui est dit sur la loi que François Fillon et Xavier Bertrand font voter au Parlement repose sur des manipulations, de la désinformation volontaire, pour masquer une offensive scélérate anti droit du travail !
Il ne s’agit pas d’une loi de modernisation mais de régression sociale ;
Première foutaise : qu’on ne nous dise pas qu’elle a été approuvée par 4 syndicats sur 5. Car là commence la foutaise : il existe 8 syndicats d’importance et non pas 5. Et les 4 syndicats signataires sont-ils majoritaires ? Contrairement à ce que dit toute la vulgate médiatique, ce n’est pas certain.
En France, à cause d’une loi Fillon du 4 mai 2004, on prétend qu’un accord est « majoritaire » quand il obtient la signature d’une majorité de syndicats même si ces syndicats représentent une minorité de salariés par rapport à ceux qui ne signent pas l’accord. En fait c’est un vote « par ordre » et non pas « par tête » comme avant la Révolution française. C’est comme au temps où le clergé et la noblesse l’emportaient par deux voix contre une, contre le tiers-état. C’est la procédure antidémocratique que Fillon a imaginé pour fausser les négociations syndicales : c’est purement archaïque, scandaleux, mais c’est hélas, comme cela que la droite fait fonctionner notre pays. C’est comme si, pour adopter une loi au Parlement, on comptait le nombre de groupes parlementaires qui la votent et non pas le nombre de députés. Dans la métallurgie, par exemple, FO, CFTC et CGC signent les accords avec l’UIMM, tandis que CGT et CFDT les refusent : ces accords sont réputés « majoritaires » alors que FO, CGC, CFTC représentent moins de 20 % des voix aux élections professionnelles de la branche et CFDT et CGT qui représentent 80 % sont minoritaires.
Pourquoi parle-t-on de 4 syndicats sur 5 alors qu’il y en a huit dans le pays ? Pas parce qu’ils ont obtenu plus de voix de la part des salariés ! Justement non, ça n’a rien à voir avec les voix qu’ils ont obtenues, ni avec l’audience réelle qui est la leur. C’est seulement parce qu’ils figurent sur une « liste » d’un vieil « arrêté » datant de 1966 ! A l’époque, cinq syndicats ont été retenus sur une liste officielle : CGT, CFDT, FO, CFTC, CGC. La liste de ces cinq syndicats qui sont seuls à bénéficier d’une « présomption irréfragable de représentativité » n’a jamais été mise à jour : ainsi ni la FSU, ni l’UNSA, ni Solidaires n’y figurent. Pourtant ces syndicats sont devenus plus représentatifs que la CFTC ou la CGC par exemple. S’en tenir aux « cinq » syndicats « officiellement représentatifs » de la liste pour déterminer si un accord est majoritaire ou non, est donc une fiction. Mais ça ne fait rien, la mystification est reprise sans le moindre état d’âme, la moindre honnêteté par les rédac’s chefs des médias officiels.
On vous ment sciemment : puisque quatre syndicats ont signé l’accord du 11 janvier 2007, le pouvoir prétend qu’il devrait automatiquement devenir une loi que chaque élu du peuple au Parlement est censé voter, et les salariés devraient s’incliner puisque cela provient d’une « majorité de leurs syndicats ». Foutaise encore !
Il n’y a pas de légitimité à cet accord, et les quatre syndicats qui l’ont signé ne peuvent pas prouver qu’ils représentent une majorité. Et, de surcroît, leur propre base n’a même pas été consultée : on pourrait gager que si elle l’était, une telle régression serait rejetée.
De quoi s’agit-il ? De 4 grandes régressions et de 17 capitulations moindres mais tout aussi défavorables aux salariés :
Quatre grandes régressions :
a) Commençons par un des aspects les moins soulignés mais les plus choquants : il y aurait un plafonnement des indemnités de licenciement pour les salariés. Le chiffre de 9 mois de salaires aurait été avancé. Comment peut-on oser proposer cela dans un pays où les émoluments des patrons incluent des retraites chapeaux, des parachutes dorés, des stocks options parmi les plus élevés d’Europe ? Dans un pays où il y a de telles fraudes en matière de licenciements abusifs que des salariés se voient spoliés gravement toute leur carrière, parfois toute leur vie ? Dans un pays ou il y a des centaines de milliers de licenciements abusifs, sans cause réelle et sérieuse, pendants aux prud’hommes ? Des employeurs sans scrupule, seulement pour hausser leurs profits, pourront donc mieux « virer » des salariés ayant 20 ou 30 ans de bons et loyaux services sans le payer trop cher !
b) Des ruptures de contrats individuelles pourront avoir lieu en échappant à tout droit collectif du licenciement : l’employeur et le salarié pourront négocier des ruptures individuelles de gré à gré. Ce qui caractérise le contrat de travail est un « lien de subordination juridique permanente ». Dans ce cadre d’employeur à subordonné, c’est toujours le salarié qui sera dans un rapport de forces défavorable. C’est « la séparabilité » comme aime à le dire Laurence Parisot : un « divorce à l’amiable » ! Sauf que c’est toujours le même qui part avec les meubles ! Et la loi prétend que, passé 15 jours après la signature de l’accord, celui-ci sera « homologué » par les autorités administratives, et il n’y aura plus aucun recours, pas de prud’hommes, pas de regret, pas d’appel. Spectaculaire recul du droit protégeant les salariés : licenciement sans encadrement juridique et sans recours.
c) Les périodes d’essai seraient « allongées ». Depuis que la droite a perdu sur le CNE (contrat nouvelle embauche) et le CPE (contrat première embauche), elle ne cesse de regretter ces projets inhumains (condamnés par toutes les déclarations des droits de l’homme et la convention n° 158 de l’OIT) ou l’employeur pouvait licencier sans motif. Alors elle allonge au maximum les périodes d’essai d’un mois ou de quatre mois, jusqu’à huit mois, presque la moitié d’un CNE. Qu’est ce qui justifie qu’un employeur vous garde huit mois « à l’essai » ? Rien, absolument rien, sauf la volonté de vous laisser plus longtemps à merci, soumis, « virable » du jour au lendemain, sans motif !
d) D’incroyables contrats de 18 à 36 mois, « CDD à termes incertains » soumis à une obligation jusqu’à 18 mois, mais pouvant être rompus comme un CNE pendant 18 autres mois, vont être imposés aux cadres. C’est une vie de précarité qui attend ainsi des centaines de milliers de cadres : la fin du contrat dépendra de la fin de la mission, de la tâche, de l’objectif à atteindre, et elle pourra être anticipée dans la deuxième partie de ce contrat atypique. Longue certitude mais sans avenir pendant 18 mois, incertitude quotidienne et fragilité pendant 18 autres mois… et l’on recommence. Façon d’empêcher les cadres de défendre leurs droits, leurs carrières, de les empêcher de s’organiser, de se syndiquer en les vulnérabilisant au maximum. De tels contrats dérogatoires au CDI, seront-ils exportés à d’autres populations de salariés que les cadres ?
17 capitulations petites et grandes contenues dans l’accord du 11 janvier 2007 :
La liste des renoncements que les quatre organisations syndicales de salariés ont osé signer est encore plus vaste :
1/ Acceptation du principe de l’utilité des emplois précaires (article 1 de l’accord)
2/ Acceptation du principe que ce sont les freins au licenciement qui freinent les embauches ! (article 12)
3/ Acceptation d’interventions « plus systématiques » des patrons dans les écoles (article 2)
4/ Acceptation du principe selon lequel l’insuffisance de ces interventions serait source de l’échec scolaire (article 2)
5/ Acceptation du remplacement du service public de l’orientation professionnelle par les patrons (article 2)
6/ Acceptation de la transformation des stages pédagogiques en « périodes d’essai » (article 3)
7/ Acceptation du remplacement progressif des qualifications (sanctionnées par des diplômes nationaux) par des « compétences » individuelles que le salarié ou futur salarié essaiera de vendre (« passeport formation », « VAE », « bilan d’étape professionnel ») (articles 3, 6, 7)
8/ Acceptation de la disparition progressive du contrat d’apprentissage comme contrat de travail réduit à la seule composante formation professionnelle (article 3)
9/ Acceptation de l’individualisation et de la culpabilisation des futurs licenciés et des déjà licenciés, demandeurs d’emploi. Le chômage et la précarité c’est votre faute, pas assez de compétences, pas assez souples, pas assez mobiles, pas assez motivés pour rechercher le travail absent (articles 3, 6, 7, 8, 18)
10/ Acceptation du démantèlement des statuts (et des garanties qui vont avec) en effaçant les frontières entre eux (privé/public, salarié/indépendant) (article 8)
11/ Acceptation de la suppression d’une des garanties essentielles du contrat de travail : désormais, ce qui n’est pas écrit dans le contrat de travail, le patron pourra le modifier unilatéralement sans l’accord du salarié ; acceptation, cela va ensemble, que soit réduite l’obligation d’information actuelle des salariés, dès leur embauche, sur ses droits issus de la convention collective (article 11)
12/ Acceptation que le reçu pour solde de tout compte signé soit libératoire au bout de 6 mois, ce qui retire au salarié des possibilités de recours aux prud’hommes (article 11)
13/ Acceptation d’un préavis du salarié avant de saisir les prud’hommes, ce qui permettra toutes les pressions, comme pour le droit de grève (article 11)
14/ Acceptation du principe de non-responsabilité de l’entreprise pour les licenciements des salariés pour cause de maladie. (article 13)
15/ Acceptation de considérer que la démission d’un salarié est établie dès qu’il ne répond pas à une demande de l’employeur de reprendre le travail. Ainsi un employeur ne serait plus responsable de la rupture du contrat de travail lorsque qu’un salarié qui refuse de ne pas être payé ou d’être harcelé ne reprendra pas le travail. (article 16)
16/ Acceptation d’une indemnisation individualisée du chômage (article 16)
17/ Acceptation de l’illégalité des sociétés de portage et acceptation du marchandage organisé dans ce cadre, qui permettra aux entreprises d’intérim (encore elles) le retour à l’esclavage (des « salariés » « à leur compte », où la durée légale du travail a disparu, les tarifs minimums - SMIC et salaires conventionnels - auront disparu, que du bonheur). (article 19)
Ces régressions ne sont exigées par rien dans notre pays ni par les nécessités de l’emploi, ni par celles de la productivité, ni par celles de l’économie : le pays n’a jamais été aussi riche, le taux de productivité horaire est le plus élevé au monde, les bénéfices n’ont jamais été aussi faramineux ! C’est par pur fanatisme idéologique des partisans du Medef et de la droite néo-libérale conservatrice au pouvoir, dans leurs efforts pour démanteler progressivement, pan par pan, le droit du travail. Cela vise uniquement à baisser le coût du travail en affaiblissant les capacités juridiques des salariés de se défendre.
On nous vend l’idée que les 4 syndicats qui ont signé ce maudit accord, l’ont fait pour empêcher que cela ne soit encore pire sous les coups de boutoirs des députés ultra-libéraux. Cette excuse ne vaut rien : « je collabore un peu avec la droite pour empêcher les effets les plus néfastes de sa politique », c’est un raisonnement vieux comme les vaincus qui affaiblit les mobilisations, nourrit les renoncements. Mais gageons que les salariés, trompés, pas consultés, trouveront quand même la voie de la résistance sinon de la contre-attaque : il y a de l’explosion sociale dans l’air.
L’autre « foutaise » autour de cet accord et de cette loi de « modernisation du contrat de travail », c’est de nous vendre une pseudo idéologie trés curieusement nommée « flexisécurité » : certains manieurs d’idées creuses croient avoir trouvé au Danemark un « modèle » pour cela.
C’est totalement faux, le Danemark n’a rien, mais absolument rien à voir avec les récits qui en sont faits, et aucune transposition avec la France, contrairement aux clichés qu’on entend ici et là , n’est possible.
D’abord, parce que l’économie danoise n’a pas grand-chose à voir avec l’économie française. La population active y est dix fois moins importante qu’en France, et, à l’exception de Lego et de Karlsberg, l’économie danoise est une économie de PME. Le Danemark compte 9 millions d’habitants, parmi lesquels 600 000 à 700 000 salariés changent effectivement d’emploi chaque année, soit 30 % en 2003. Or, en France, la mobilité est déjà supérieure à celle du Danemark puisque 40 % des salariés changent d’emploi chaque année…
Ensuite, parce que si l’on compare le taux d’emplois supplémentaires entre 1994 et 2004
– 10,7 % en France contre 5,5 % au Danemark - on constate que la « flexisécurité » n’a pas favorisé la création d’emplois. Si le chiffre du chômage a été divisé par deux, c’est sous l’effet des modalités de comptabilisation du nombre de chômeurs qui a diminué au rythme de l’augmentation du nombre de préretraités, de stagiaires en formation, de salariés déclarés « inaptes » ou en congés sabbatiques. Le Danemark dénombre ainsi 190 000 chômeurs officiels, soit 4,6 % de la population active, mais au total ce sont 475 000 personnes (16 %) qui sont « retirées » de l’emploi. Si l’on adoptait cette méthode, cela voudrait dire 2,25 millions de préretraités en France au lieu de 79 000 !
Enfin, parce que le budget de l’État danois atteint 49,8 % du PIB contre 45,7 % en France en 2003 et que le patronat danois acceptait, jusqu’alors et contrairement au Medef, de véritables compromis sociaux. C’est ce qui explique que si les entreprises ont la liberté de licencier (quasiment sans préavis et sans indemnités), les salariés qui ont perdu leur emploi peuvent bénéficier pendant quatre ans d’une allocation (plafonnée à 22 900 euros) égale à 90 % de leur salaire. Pour cela, ils doivent répondre à des obligations de recherche d’emploi, sinon l’allocation est réduite ou supprimée. Si Nicolas Sarkozy entend transposer cette dernière clause en envisageant « deux refus d’emploi maximum » à capacité professionnelle égale, la différence réside toutefois dans les 21 000 agents chargés de former et accompagner les chômeurs au Danemark, soit un pour neuf chômeurs. Pour atteindre le même rapport en France, il faudrait 250 000 agents alors que l’ANPE n’en a que 28 000. Ce système coûte 4,49 % de son PIB au Danemark qui dépense 2,7 fois plus que la France pour chaque chômeur. A effort comparable, cela représenterait 7,84 % du PIB français, soit trois fois plus qu’aujourd’hui…
Alors pourquoi ces stupides emballements autour de la promotion du « modèle » danois ? Dans un seul but : faire accepter aux salariés français d’être licenciés abusivement sans protester en échange d’un hypothétique droit au reclassement que le gouvernement n’a aucunement la volonté de mettre en place.
Gérard Filoche, inspecteur du travail depuis 1985, est militant syndical et politique, socialiste. Il a notamment publié "Pour en finir avec le chômage de masse" (La Découverte), "Carnets d’un inspecteur du travail" (Ramsay), "La vie, la santé, l’amour sont précaires. Pourquoi le travail ne le serait-il pas ?" (Jean-Claude Gawsevitch).
Il est rédacteur en chef de la revue Démocratie et Socialisme.