WSWS, 20 juillet 2006.
A en juger par les médias internationaux, l’attaque du Liban et de Gaza par le gouvernement israélien recevrait le soutien quasiment unanime de la population israélienne. A en croire les citoyens israéliens interviewés, ils sont immanquablement en faveur de la guerre, répétant avec insistance que c’est le seul moyen de protéger le peuple israélien.
Malgré ce déluge de propagande en faveur de la guerre dans les médias israéliens, une opposition visible commence à apparaître. Quelque 2.000 personnes ont défilé dans la capitale commerciale israélienne de Tel-Aviv dimanche pour exiger des négociations avec le Hamas palestinien et le Hezbollah libanais en vue de l’échange de prisonniers et la fin de l’offensive contre le Liban.
« Oui à la paix », « Arrêtez la monstruosité de la guerre », « Dites non aux bombardements brutaux de Gaza » et « Nos enfants veulent vivre » sont quelques slogans lancés par la foule de manifestants juifs et arabes organisés par plusieurs groupes anti-guerre israéliens.
Ils ont aussi accusé le premier ministre Ehud Olmert et le ministre de la défense Amir Peretz d’assassiner des enfants et de commettre des crimes de guerre en complicité avec la politique américaine. Parmi les slogans il y avait « Olmert est d’accord avec Bush : Guerre et occupation » et « Peretz, tu verras, on se retrouvera à la Haye ».
Malgré toutes les prétentions de démocratie en Israël, le rassemblement n’a reçu presque aucune couverture dans les médias locaux ou internationaux et a été dispersé par la police au bout de deux heures. La police a arrêté 3 manifestants, au motif qu’ils avaient organisé une manifestation non autorisée.
Quelques-uns des manifestants interviewés pour Ynet, site internet israélien, ont exprimé leur effroi face aux atrocités commises en leur nom. Eitan Lerner a dit : « Israël entre dans un nouveau cycle de combats et poursuit la bêtise d’une agression exagérée. Je suis venu manifester parce qu’il y a un lien entre affamer et opprimer les Palestiniens et bombarder le Liban. »
Manuel Amuri, de Jérusalem, a dit : « Ce qu’Israël est en train de faire a provoqué la mort de civils, d’enfants innocents et ne sert à rien sinon la vindicte du gouvernement. Je pense que c’est bien de montrer qu’il y a des Arabes et des Juifs en Israël qui sont contre la guerre. »
Abeer Kopty a mentionné tous les efforts faits pour semer la panique dans l’opinion publique. « Ils n’arrêtent pas de nous dire qu’il y a un consensus en faveur de la guerre, mais ce n’est pas vrai. Ils ne cessent de dire aux citoyens que c’est la seule solution, et je crois, moi, qu’il y a une autre solution. »
Dimanche il s’est aussi tenu une manifestation de femmes, près du dépôt ferroviaire du centre d’Haifa où avait explosé une roquette du Hezbollah un peu plus tôt dans la journée, tuant 8 personnes. Les femmes ont dit que dans les jours qui viennent elles allaient réunir un nouveau groupe de femmes arabes et juives contre la guerre.
Quelques jours plus tôt, juste quelques heures après le début de l’attaque contre le Liban, 200 personnes s’étaient rassemblées devant le ministère de la défense à Jérusalem. D’après Adam Keller du mouvement pour la paix Gush Salom, dans Al Jazeerah du 15 juillet, les manifestants s’étaient retrouvés là suite à un courriel envoyé par un groupe de jeunes gens.
Sous le titre « les pluies d’été provoquent des flots de sang », le courriel accusait le gouvernement de faire usage de « force armée cruelle et de punition collective contre les populations civiles de Gaza et du Liban ».
Et le courriel de poursuivre : « Les derniers événements de Gaza et du Liban sont directement liés à la campagne du gouvernement d’Israël contre les dirigeants du peuple palestinien. Cette politique empêche toute possibilité de créer un canal de communication et des négociations diplomatiques avec nos voisins, et laisse le champ libre à ceux qui veulent continuellement se battre. »
Lors du rassemblement on pouvait entendre ces slogans : « Peretz, tu avais fait des promesses pour l’éducation et les retraites, et tout ce qu’on a eu c’est des tanks et des cadavres », « Peretz, Peretz, ministre de la défense/ Tu as tué 7 enfants aujourd’hui », « Juifs et Arabes/ Refusons d’être ennemis. »
Tensions politiques grandissantes
Ces sentiments reflètent assurément des inquiétudes plus larges quant à la perspective d’être entraîné dans une guerre plus étendue, ainsi qu’une profonde méfiance envers le gouvernement de coalition de fortune mis en place par le parti Kadima d’Olmert et le parti travailliste de Peretz après des élections nationales en mars. Le climat pro-guerre dominant dans les médias et l’establishment politique a jusqu’ici largement noyé ces voix, mais les tensions sociales et de classe sous-jacentes à l’ébranlement de l’État sioniste s’accumulent juste en dessous de la surface.
Dans un article publié sur Arabic Media Internet Network, Uri Avnery de Gush Shalom a commenté l’étouffement de tout sentiment pacifiste. « Le public n’est pas enthousiaste au sujet de la guerre. Il s’y résigne, dans un fatalisme stoïque, parce qu’on lui dit qu’il n’y a pas d’alternative. Et de fait, qui peut être contre ? Qui ne veut pas libérer les "soldats enlevés" ?... Dans les médias, ce sont les généraux qui règnent, et pas seulement ceux en uniforme. Il n’y a presque aucun ancien général qui n’est pas invité par les médias à commenter, expliquer et justifier, et ils parlent tous d’une même voix. »
En dépit de cette campagne concertée, un certain nombre de commentateurs ont attiré l’attention sur les failles qui apparaissent dans la justification officielle de l’assaut militaire. Sur le même site web, Gilad Atzmon, un musicien et auteur né en Israël et habitant la Jordanie, a noté ceci :
« Bien que les militants palestiniens comme ceux du Hezbollah visaient initialement des cibles militaires légitimes, la riposte israélienne était clairement dirigée contre des cibles civiles, détruisant l’infrastructure publique et tuant en masse une population innocente. Il ne faut pas un génie pour se rendre compte que ce n’est pas vraiment la manière de gagner une guerre ou de confronter cette forme particulière de combat connue sous le nom de guérilla. »
Le chroniqueur de Haaretz, Gideon Levy, a écrit le 17 juillet : « C’est regrettable, mais les forces de défense israéliennes ressemblent de nouveau au petit despote du voisinage. Un soldat a été enlevé à Gaza ? Tout Gaza payera. Huit soldats sont tués et deux sont enlevés au Liban ? Tout le Liban payera. Israël ne connaît qu’un langage, celui de la force....
« A Gaza, on enlève un soldat appartenant à l’armée d’un État qui arrache fréquemment des civils de chez eux pour les enfermer pendant des années avec ou sans procès - mais nous seuls avons le droit de le faire. Et nous seuls avons le droit de bombarder des centres civils peuplés. »
Dans une colonne mise en ligne le 16 juillet, Shmuel Rosner, correspondant en chef du Haaretz aux États-Unis, a précisé qu’en octobre 2000, quelques mois seulement après qu’Israël ait mis fin à 18 ans d’occupation du Liban sud, trois soldats israéliens ont été enlevés à la zone frontalière. Ehud Barak, premier ministre travailliste d’alors, décida de fermer les yeux, approche répétée plusieurs fois par son successeur du Likoud, Ariel Sharon, afin d’éviter d’ouvrir un « deuxième front » en plus des territoires palestiniens.
Rosner a attribué le changement de politique aux frustrations qui s’étaient accumulés parmi les Israéliens envers les dirigeants politiques et militaires du pays. « On peut les entendre à chaque coin de rue, à chaque café, et dans presque tous les salons : des gens de droite ou de gauche, jeune et vieux, du nord et du sud, tous frustrés, endurcis, désillusionnés....
« Dans une telle atmosphère, aucun dirigeant militaire et aucun décideur civil ne peut même penser à la retenue. L’atteinte d’au moins un des deux buts qu’ils se sont fixés dans l’opération actuelle au Liban - ramener les soldats à la maison et "changer les règles du jeu", c’est-à -dire plus de milices du Hezbollah à la frontière israélienne - aura un impact décisif non seulement sur l’avenir du front du nord mais aussi sur l’avenir politique des dirigeants israéliens. »
Cette évaluation passe sous silence le soutien accordé à l’agression israélienne par les États-Unis, sans parler du cycle de guerre déclenché par les invasions sous égide américaine de l’Afghanistan et d’Irak. Pourtant les références de Rosner à la frustration populaire et à l’avenir politique incertain du gouvernement Olmert-Peretz sont révélatrices.
Un facteur important alimentant le militarisme du gouvernement sioniste est la nécessité de détourner le mécontentement populaire et la polarisation sociale produite par le programme gouvernemental anti-ouvrier de « réformes de marché » et coupes dans l’aide sociale.
En novembre dernier, Peretz, un ancien chef syndical national, a vaincu de manière inattendue le vétéran Shimon Pérès dans la course à la direction du parti travailliste. Peretz a remporté la victoire en promettant de mettre fin au conflit avec les Palestiniens par un règlement négocié et de s’occuper des intérêts des familles israéliennes ordinaires gravement lésés par le gouvernement Likoud-travailliste de Sharon.
Peretz a retiré les membres travaillistes du cabinet de la coalition de Sharon, déclenchant un réalignement de la politique israélienne. Dans une tentative de regagner un certain soutien, Sharon a été rejoint par Pérès dans la mise sur pied d’un nouveau parti, Kadima, et le déclenchement d’ élections nationales en mars dernier. Mais dans ce qui a représenté un échec cuisant, Kadima - dirigé par le successeur de Sharon, Olmert - a échoué à remporter une majorité, alors que ce qui restait du Likoud a été balayé.
Les mesures de Sharon avaient causé une telle hostilité que son ministre des finances, Benjamin Netanyahou, qui a succédé comme chef du Likoud, a cherché sans succès pendant la campagne électorale à faire des excuses pour la douleur sociale qu’il avait infligée.
Mené par un Peretz au discours gauchisant, le parti travailliste a profité de cette opposition, tout comme un nouveau parti pro-aide sociale, le parti des pensionnaires, et Shas, dont la base est formée par les sépharades ultra orthodoxes (juifs du Moyen-orient), qui viennent largement d’un milieu ouvrier.
Cependant, après avoir fait campagne contre les coupes dans les prestations familiales et d’aide sociale appliquées par le gouvernement Sharon, les trois partis ont promptement rejoint le gouvernement mené par Kadim, même si Olmert avait indiqué son intention indiquée de continuer les mesures favorables au monde des affaires. En particulier, le gouvernement est déterminé à faire baisser davantage les salaires afin de rendre Israël « compétitif sur la scène internationale ».
Ce programme comprenait des privatisations et des baisses d’impôt profitant aux plus riches, accompagnées de coupes dans les prestations sociales telles que les indemnités pour chômage et enfants, la sécurité sociale et l’aide au revenu, de même qu’une hausse de l’âge de la retraite ainsi que des restrictions au droit de grève.
Ces mesures ont déjà apporté le chômage et la pauvreté à un nombre croissants de travailleurs et à leurs familles et donné à Israël un des taux d’inégalité les plus élevés dans le monde, devancé seulement par les États-Unis parmi les pays avançés. Selon l’Institut pour le bien-être national, les familles les plus riches ont 14 fois plus de revenus que les plus pauvres, alors qu’un quart des 6 millions d’habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté, et 1 enfant sur 5 souffre de la faim tous les jours.
Tandis que des milliards de dollars US ont été accaparés par les dépenses militaires pour soutenir la guerre contre les Palestiniens et une expansion des colonies subventionnés dans les territoires occupés, la plupart des travailleurs israéliens et leurs familles ont subi une baisse de leur niveau de vie.
Aidé par Peretz, Olmert et ses généraux militaires sont déterminés à canaliser le mécontentement grandissant dans une guerre fratricide contre les masses libanaises et palestiniennes appauvries. Mais les conditions sont en train d’être réunies pour qu’un nombre croissant de jeunes et de travailleurs israéliens se rendent compte que le projet sioniste d’un foyer national pour les juifs et d’un refuge contre la persécution s’est transformé en cul-de-sac et en cauchemar.
Mike Head
– Source : WSWS www.wsws.org
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