Du fond de ma noirceur, j’envie sa liberté. Il nous souhaite, à lui et à moi, « plein de bonnes idées et d’heureuses initiatives ». Il ajoute « bonne année dans le bonheur et la joie de la fraternité et l’enthousiasme de la lutte et des victoires ». Comme si c’était le thème ! Il y a des gens qui ne peuvent s’empêcher de mettre de la politique partout, de tout politiser. Sans doute pour se faire remarquer. Comme si la politique était affaire de bons vœux !
Cet expéditeur téméraire, au nom bizarre et inquiétant, a osé faire figurer son adresse au dos de la lettre. « Expéditeur : Georges Ibrahim Abdallah. N° d’écrou 2388/ A 221. » La prison, c’est chouette, surtout lorsqu’on a déjà plus que purgé sa peine, et qu’on pourrait être dehors ! Heureusement que la France est un pays où fleurissent et sont protégées les libertés individuelles ! En prison, on a tout le temps d’écrire son courrier, de refaire le monde, d’expier ses convictions communistes, de s’enorgueillir d’être parmi les plus anciens prisonniers politiques. Ah ! Il est mieux là où il est... En liberté, sait-on jamais, il aurait pu conseiller les grands démocrates Erdogan et Netanyahou, invités par le jeune et ex-jupitérien président des riches, peu regardant sur la quantité de sang versé par les peuples (on s’en fiche, ils ne sont pas riches). Il paraît que Georges serait même en contact permanent avec le satrape de Caracas. Le « terroriste » embastillé à Lannemezan est né au Nord Liban, un havre de paix touristique à l’époque, le « Club Med » de l’impérialisme ; et il menace tellement « la sécurité de la France » qu’il est régulièrement invité à rester en prison, nourri, logé, blanchi aux frais de la princesse. De quoi se plaint-il ?
Plus sérieusement, mais cela fait du bien de se foutre de la poire des pommes qui nous prennent pour des idiots, le plus grave crime de Georges : être devenu un militant révolutionnaire des causes palestiniennes, libanaises, moyen-orientales...
On peut comprendre l’acharnement politique contre cet homme, lorsque l’on sait que le gouvernement israélien ne pourrait commettre ses crimes sans le soutien des États-Unis, et celui, plus filou, de la France.
Les Fractions Armées Révolutionnaires Libanaises (FARL) tuent à Paris, le 18 janvier 1982, un officier étatsunien, et le 3 avril 1982, le responsable à Paris des redoutables services secrets israéliens, le Mossad. La violence des oppresseurs entraîne parfois, souvent, celle des opprimés.
Le 24 octobre 1984, Georges est arrêté à Lyon, et condamné à quatre ans de détention pour « possession d’armes et d’explosifs ». Plus tard, ce qui charge la barque, on aurait trouvé dans un appartement « loué à son nom », l’arme ayant servi aux attentats évoqués, et qui, selon la DST, lui appartiendrait. Lorsque, bien des années plus tard, Georges Abdallah a demandé une vérification par test ADN, la justice a débouté sa demande, au motif que son ADN ne figurait pas dans ses dossiers officiels. Alors, montage politico-policiaco-judiciaire ? Quel agent, et de quel service, distrait en diable, aurait pu oublier cette arme, si elle n’appartient pas à ce Georges au nom si « arabe » ?
Mais qu’importe ! Georges est le bouc-émissaire idéal. Condamné d’abord à 4 ans, il est ensuite jugé une deuxième fois, après la « découverte » de l’arme, et condamné à perpétuité. Toutes ses demandes de liberté conditionnelle ont été depuis rejetées, parce que « les convictions anti-impérialistes » du prisonnier, « très solides », « sont demeurées intactes ». C’est écrit. Des convictions ? Des qualités rares en nos temps de travestisme et de cynisme politique.
Les gouvernements étasunien, israélien et français, multiplient les pressions et les péripéties judiciaires, cherchant à faire mourir à petit feu un « otage » révolutionnaire indestructible, de haute stature, un homme aux convictions inébranlables, non négociables ; un homme digne, droit, d’idéal éthique pour lequel il a engagé sa vie. Il est des hommes qui portent en eux la dignité de tous les hommes.
Je t’embrasse, Georges, frère d’idéal, de courage... et dont l’humanité résiste à tous les écrous, à tous les trouducs qui prétendent veiller à notre bien tout en nous saignant à la fémorale (c’est plus efficace). Georges, mon frère, mon camarade, on fera tout pour te sortir du trou !
Jean ORTIZ