Mardi 3 juillet 2007.
"Les chanceux sont ceux qui arrivent à tout... Les malchanceux sont ceux à qui tout arrive."
Eugène Labiche
Mon ami Bébert fait partie des malchanceux.
Il travaille à l’usine mais il a appris qu’après cinquante ans on est trop vieux, pas assez rentable, pas assez souple et qu’il a intérêt à ne pas la ramener. Il se demande comment il va pouvoir cotiser pendant 42 annuités si on l’empêche de travailler.
Son fils a réussi des études qui l’ont conduit au chômage. Lors des entretiens d’embauche pour un premier emploi on lui demande toujours s’il a de l’expérience professionnelle. Finalement, il fait de l’intérim dans un fast-food où on vous demande surtout... de la boucler.
Sa femme est malade et elle se démoralise à l’idée de creuser le trou de la sécu.
Les trois ont voté au second tour des élections présidentielles de 2007 contre Sarkozy avant d’apprendre que leur candidate n’avait jamais cru aux 35 heures ni au SMIC à 1500 euros.
Le fils aurait préféré un candidat comme Kouchner. Mais, bon, son parti ne l’a pas retenu parce que les sondages disaient que Ségolène allait gagner tranquillou-Gilou. Elle a perdu et Kouchner est ministre de Sarkozy.
Bébert a chargé la voiture, attelé la caravane et a dit à ses voisins, pour se marrer : « On part passer quelques jours sur un yacht, à Malte ». En vérité, il va à Narbonne-plage, si la voiture ne tombe pas en panne, si la caravane n’est pas couchée par le vent, si sa femme n’est pas opérée.
A son retour,après deux coups de soleil et des piqûres de moustiques plein les bras, il sait qu’il va affronter quelques soucis : la TVA qui augmente, les prix aussi, le gamin qui déconne à force de désespérer, le voisin chômeur de longue durée qui écoute la télé à fond et qui gueule « j’irai plus, à l’ANPE » et lui-même qui va sans doute être convoqué chez le DRH qui va lui annoncer la mauvaise nouvelle, lui offrir un entretien gratuit avec le psychologue, lui proposer des stages de formation, un plan de reconversion et peut-être un travail à Dunkerque ou en Birmanie. Bébert criera : « La Birmanie, pas question » et il acceptera Dunkerque.
Il se demandera si, au cours de sa vie, il a lutté comme il fallait dans sa boîte et s’il a voté comme il fallait pour défendre les types comme lui et leur famille. Il va en conclure que non et il va déprimer, Bebert.
Chômage familial, maladie, pannes, moustiques, hausses des prix, dépression. Bébert fait partie des malchanceux à qui tout arrive.
Heureusement, la France compte aussi des chanceux qui arrivent à tout.
Charles-Edouard vit à Neuilly et il a quelques points communs avec Bébert. Sa femme a été opérée plusieurs fois : des seins, du nez et des pattes d’oie au coin des yeux. Lui, il fréquente aussi les DRH, dans les réunions de DRH puisqu’il est DRH d’une usine de papa. Il sait ce que c’est qu’une panne de moteur puisque c’est arrivé une fois à son jet privé, heureusement avant le décollage. Il est familier des caravanes puisqu’il en croise parfois dans le désert à bord de son 4X4 au cours des raids des anciens de Science po, promotion Henry Ford. Comme la candidate de Bébert, il n’a jamais cru aux 35 heures ni au SMIC à 1500 euros.
Comme Bébert, il est prêt à changer de région si nécessaire. Il a même des projets d’usines en Pologne et au Maroc.
Par contre, il ne se demande jamais s’il a bien fait d’adhérer au MEDEF, de voter pour des gens soutenus par le MEDEF. La fortune que lui a léguée son père ira à ses enfants avec une jolie plus-value. C’est normal, il l’a gagnée pour eux à la sueur de son front ou de celui des Bebert.
Charles-Edouard va créer un journal pour que tous les Bébert de France qui le liront trouvent c’est pire ailleurs.
Charles-Edouard ne déprime pas. Un psychanalyste de luxe travaille à lui faire admettre le drame de sa vie : la perspective de la mort. Comme un vulgaire Bébert.
Que souhaiter à Charles-Edouard ? Que beaucoup de Bébert, de chômeurs, d’ouvriers, d’étudiants, d’enseignants, de cadres continuent à croire que tout est de leur faute, que les lois de l’économie sont gravées dans l’airain, qu’il faut accepter de vivre pauvres pour que la France reste un pays riche. Souhaitons-lui aussi qu’aucun Bébert ne découvre que le quotidien Le Monde n’est plus celui de Beuve-Méry, Libération celui de Jean-Paul Sartre et que la quasi totalités de nos médias appartiennent à deux marchands d’armes et à un gars du bâtiment. Souhaitons-lui que ceux qui n’ont presque rien protestent, mais sans remettre en cause le système, quand ceux qui ont tout leur enlève le peu qui reste des conquêtes sociales du passé.
Que souhaiter à Bébert ? La baisse du prix des crèmes solaires et des lotions anti-moustiques, mais surtout la rencontre avec des esprits éclairés qui leur apporteront la bonne nouvelle : Karl Marx n’est pas mort. Il paraît qu’il dort et qu’on peut le réveiller.
Pour cela, à la rentrée, il va falloir faire du bruit.
Maxime Vivas
Sarkozy et l’arme du déficit budgétaire... comme son ami Bush, par Danielle Bleitrach.