Cela permettra de faire ressortir dans quel contexte plus général menace d’intervenir le transfert, au Panthéon, des cendres du socialiste Pierre Brossolette, dont il est de plus en plus clair qu’il a tout fait – en particulier à travers l’intervention, provoquée par lui, du colonel cagoulard Groussard – pour anéantir le créateur et premier président de cet organisme souverain qui risquait de réduire à néant le grand homme des socialistes pour toute la durée de la seconde guerre mondiale : Charles de Gaulle.
Voici un extrait du document rédigé par Pierre Brossolette dès son arrivée à Londres, en avril 1942 :
"Ce que nous demandons, c’est qu’on cherche et qu’on trouve l’accord de l’opinion française sur cette idée capitale que le général De Gaulle n’est pas seulement un chef militaire, mais qu’il est le représentant du peuple français et le dépositaire de la légalité française. Nous savons que déjà cela se trouve sous-entendu dans tout l’effort fourni par la radio des F.F.L. [Forces Françaises Libres], mais il faut reprendre cette tâche, et non point sous la forme de proclamations nobles, mais sous la forme la plus simple et la plus familière, pour expliquer aux bonnes gens ce que tous pensent déjà en réalité, c’est-à-dire que nous ne pouvons pas, après la guerre, recommencer comme autrefois, et que si nous ne voulons ni de Vichy, ni de Déat, nous ne pouvons pas non plus songer à réinstaller au pouvoir tous les cacochymes et tous les corrompus dont le souvenir est si douloureusement lié, dans la mémoire des Français, à la déroute et à l’exode."
Plus tard, dans le Rapport qu’il écrit pour le colonel Passy, Pierre Brossolette affirme, au nom de "nous, les gaullistes de France" :
"En ce qui nous concerne, nous pouvons essayer d’approcher les organisations telles que les socialistes, les catholiques, les P.S.F. [Parti social français], les anciennes ligues féministes, pour bien nous assurer qu’elles voient dans le général De Gaulle le représentant légal de la France en même temps que le chef des Forces Françaises Libres, et pour nous mettre bien d’accord avec elles sur la nécessité de lui faire confiance pour présider à « l’interrègne » entre le départ des Allemands et la mise en train du nouveau régime. Nous pouvons essayer d’obtenir de leurs chefs qu’ils orientent en ce sens la pensée de leurs dirigeants locaux."
Plus tard, préparant son camarade socialiste, André Philip, au rôle essentiel qui va être le sien à Londres, Pierre Brossolette se montre prêt à tout pour combattre les positions qui sont, non seulement celles de Jean Moulin, mais, ainsi qu’il l’écrit lui-même, celles de Comert, Labarthe (l’ami de Jean Moulin et de Pierre Cot), Louis Lévy (Idem) et Mme, Gombault père et fils, qui se trouvent à Londres :
"Leur antienne est qu’ils veulent bien voir en De Gaulle un chef militaire, mais pas un chef politique. Notre thèse au contraire (la mienne, la vôtre telle que je la connais, celle de la France) est évidemment, au contraire, que par son geste de 1940 De Gaulle est devenu le chef moral, le chef total de la France et qu’il est habilité par là même à diriger la remise du pays sur pied."
Ensuite, Brossolette présente à André Philip l’organisme pour lequel il travaille lui-même depuis son arrivée à Londres : le B.C.R.A.M., dirigé par le colonel Passy, de qui il est lui-même l’adjoint – et ceci parce que, quelques semaines avant la venue de Jean Moulin à Londres, la tentative de reprise en main du Service Action par le commandant Moret avait échoué. Or, l’instrument que Brossolette va nous décrire maintenant servira, bientôt, aussi mal que possible Jean Moulin, pour finir par le condamner à mort à travers une manœuvre de grande envergure :
"En fait c’est ce service seul qui a assuré et qui doit assurer, puisque nous sommes en guerre, toute la besogne de renseignements et d’action sur la France, que ces renseignements et cette action soient militaires, paramilitaires, semi-politiques ou politiques. C’est par lui que parviennent à Londres les seules informations valables sur la France ; c’est lui qui vient de vous y transporter. Bien entendu il ne doit s’agir là que d’un service d’exécution. L’inspiration militaire et politique doit venir d’ailleurs."
D’un ailleurs qui s’appelle "De Gaulle", bien sûr. Pas d’"exécution", même quand il ne s’agit que de broutilles, sans l’ordre de De Gaulle... C’est donc écrit ici aussi. Or, après celui de De Gaulle, il n’y aura pas de pouvoir français plus important, à Londres, que celui que devrait recueillir André Philip, selon ce que Pierre Brossolette croit en savoir – et il ne se trompe d’ailleurs pas. Le Général va en effet se rallier, sans plus de formalités ou de chichis, à Léon Blum et aux socialistes, sans qui, il le sait, il serait, à la mi-42 complètement cuit :
"Sauf erreur, De Gaulle va vous proposer de prendre le Commissariat National à l’Intérieur, à la place de Diethelm qui passera aux Finances. Il faut accepter sans discuter. C’est capital pour toute l’affaire. En même temps qu’elle vous placera à la tête de différents services importants, cette désignation vous mettra en mains, sous l’autorisation de De Gaulle, la détermination et la direction de toute l’action politique sur la France."
Voilà l’organisme auquel Jean Moulin va se heurter de toute la force de sa conviction que le parti communiste ne peut, en aucun cas, être écarté de l’organisme souverain en quoi consistait le Conseil de la Résistance tel qu’il en avait rédigé lui-même les statuts...