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relations Cuba-Etats-Unis

Les sauts de cabri d’Obama.

The New York Times rapporte ce jour-ci les propos d’Ian C. Kelly, porte-parole du département d’Etat : « Nous nous efforçons d’utiliser la reprise des conversations pour réaffirmer l’engagement des deux parties envers une migration sûre, légale et ordonnée ; pour réviser les dernières tendances en matière de migration illégale de Cubains aux États-Unis ; et pour améliorer les relations opérationnelles avec Cuba sur les questions migratoires. »

Nouveau beau geste de Barack Obama dans le droit fil de sa nouvelle politique envers Cuba, penseront ceux qui ignorent les antécédents dans ce domaine ; simple geste pour la galerie, disent ceux qui savent.

En effet, et le journaliste du New York Times est bien forcé de le reconnaître, ces conversations migratoires remontent au milieu des années 90 au moment de la « crise des balseros », et se sont poursuivies pendant dix ans jusqu’en 2004 où Bush, qui les avait mises en veilleuse dès son entrée à la Maison-Blanche, décida de les supprimer purement et simplement.

Bref, comme dans le cas de la levée des obstacles aux voyages et envois de fonds des Cubano-Américains, Obama se contente, passant outre aux décisions vindicatives de Bush fils, de reprendre la politique envers Cuba là où Clinton l’avait laissée sans faire un pas de plus.

Un pas de plus, ce serait par exemple engager des conversations sur les trois accords de coopération bilatéraux que la Révolution cubaine avait proposé de signer avec son antécesseur démocrate sur des points tout à fait concrets et auxquels celui-ci avait opposé une fin de non-recevoir sans jamais le dire : lutte contre le trafic de drogues ; lutte contre l’émigration illégale ; lutte contre la traite d’êtres humains

Au sujet de ces conversations migratoires, il y aurait bien plus de choses à ajouter à ce qu’en dit le journal new-yorkais. En fait, tout au long des relations entre les deux pays, l’Empire n’agit jamais en faveur de Cuba : il ne fait que réagir à des cas extrêmes dans lesquels la situation devient embarrassante ou gênante pour lui, ou cesse de l’arranger. Ainsi, mais on ne le sait guère, le point de départ essentiel de l’émigration illégale cubaine est l’existence de la Loi d’ajustement cubain adoptée par le Congrès de Washington, qui remonte à 1966 et en vertu de laquelle tout Cubain parvenant à mettre le pied sur le territoire étasunien, quel que soit le moyen qu’il aurait employé pour ce faire, y compris après mort d’homme ou piraterie aérienne ou maritime, est immédiatement accueilli, reçoit une aide, se voit offrir un travail et bénéficie au bout d’un an du droit de séjour aux USA, un privilège exorbitant réservé uniquement aux Cubains parmi toutes les autres nationalités du monde et qui vise bien entendu à stimuler l’émigration illégale. Le jour où il existera par exemple une Loi d’ajustement mexicain, ou salvadorien, ou haïtien, ou chilien, ou argentin, etc., les USA seront inondés. Mais seuls les Cubains, je le répète, jouissent de cet incommensurable privilège qui se maintient tel quel, bien que Washington ait durci les conditions d’entrée dans le pays et expulse les illégaux à tour de bras !

Bref, la première mesure pour garantir, selon le souhait des deux gouvernements en 1994, cette « migration sûre, légale et ordonnée », une terminologie bateau reprise dans chaque déclaration, serait bien entendu - et n’importe qui le comprend sans être un diplomate de génie - d’abroger le facteur clef de cette émigration illégale, de briser le miroir aux alouettes, à savoir la Loi d’ajustement cubain. Mais comme celle-ci est une arme de la guerre tous azimuts que Washington livre depuis cinquante ans contre la Révolution cubaine, il n’en est pas question à la Maison-Blanche. Faute, donc, de régler la situation migratoire à sa racine, comme le demande constamment La Havane, Washington se contente de laisser faire les choses tant que cela « embête » l’adversaire et de réagir quand certains événements impliquent pour ses propres intérêts un retour de bâton.

Ce fut le cas à l’été 1994 lors de la fameuse « crise des balseros », découlant à la fois de la terrible situation économique que connaissait Cuba après l’effondrement du camp socialiste européen (« Période spéciale ») et de l’énorme propagande (du niveau de la guerre psychologique, avec incitation à la violence et au terrorisme) en provenance de Miami pour pousser les Cubains à partir (le pays est sans avenir et va s’effondrer, mieux vaut l’abandonner). Je ne vais pas refaire cette histoire. Juste signaler, parce que c’est une constante, que cette crise comme tant d’autres (entrées dans des ambassades, piraterie aérienne ou maritime) fut soigneusement planifiée, la simultanéité des évènements en faisant foi.

Ainsi, le 28 mai 1994, des individus pénètrent dans la résidence de l’ambassadeur belge ; le 18 juin 1994, plus d’une centaine d’individus (dont vingt-cinq enfants, l’un ayant à peine quelques mois) pénètrent dans les ambassades de Belgique et d’Allemagne et au consulat du Chili ; cette affaire conclut quelque temps après, une fois que le gouvernement cubain a fait savoir qu’il n’y aura aucune négociation à ce sujet : « Absolument personne entrant de force dans un siège diplomatique n’aura l’autorisation de partir du pays, ni avant ni après. C’est là une position invariable, et nous ne céderons sous aucun prétexte. »

Le coup des ambassades ayant fait fiasco, la nouvelle tactique s’oriente vers la piraterie maritime. Dès le 13 juillet 1994, des individus détournent un remorqueur en réparation dans le port de La Havane et tentent de gagner les États-Unis. Un autre remorqueur qui, sur décision de son équipage, s’est lancé à la poursuite pour empêcher ce détournement, le heurte à sept milles de la côte - la mer est mauvaise - et le premier coule. Les services de garde-côte parviennent à sauver trente et une personnes, mais un nombre indéterminé de candidats à l’émigration illégale périt. Le 26 juillet, quatre individus fortement armés séquestrent un petit ferry qui fait la navette entre les deux rives de la baie de La Havane et où se trouvent trente passagers, dont certains sont jetés à l’eau ; au large, un garde-côte étasunien récupère les pirates, tandis que le bateau cubain peut regagner le port. Le 3 août, des individus armés détournent un autre ferry et le conduisent aux USA. Le 4 août, des individus séquestrent le ferry déjà attaqué le 26 juillet, assassinent un jeune policier de dix-neuf ans qui fait partie des passagers et prennent le large ; à court de carburant, ils sont abordés par un garde-côte cubain qui libère les passagers et capture les pirates. Le 5 août, de nombreux individus qui se sont rassemblés sur le front de mer havanais dans l’attente de navires qui doivent censément venir de Miami les amener aux USA (c’est du moins ce que la radio de Miami leur a fait croire), tentent, pleins de frustration, de provoquer une émeute, brisent des vitres de magasins et d’hôtels, attaquent la police ; la population intervient pour mettre un terme à l’émeute, l’intervention de Fidel désarmé accompagné de ses gardes du corps désarmés eux aussi ramenant le calme définitif. Le 8 août, un individu détourne un bateau auxiliaire de la marine de guerre à Mariel, assassinant pour ce faire un lieutenant de vaisseau, et arrive aux USA où les autorités l’accueillent en héros et refusent de le renvoyer à Cuba pour y être jugé comme meurtrier. Le 14 août, un pétrolier battant pavillon maltais qui fait du cabotage le long des côtes cubaines est abordé au port de Mariel par des centaines d’individus afin de gagner les USA, apparemment avec la complicité de son capitaine grec ; la fermeté des autorités cubaines fait échouer ce détournement.

Et c’est justement au terme de ces trois mois de troubles - dans lesquels les USA sont loin d’être innocents, bien entendu - que Clinton décide finalement de « faire quelque chose ». Le 20 août, compte tenu de l’élévation de l’immigration illégale et des ennuis que cela lui cause, son administration adopte différentes mesures pour l’empêcher - pour la première fois depuis le début de la Révolution cubaine ! Ainsi, les émigrants illégaux ne pourront jamais entrer aux USA et seront enfermés une fois capturés dans la base (illégale) de Guantánamo. (Comme on le voit, l’idée d’ouvrir une prison dans cette base volée à Cuba n’est pas de Bush ! D’ailleurs, le ministère des Relations extérieures cubain avait dû protester, le 10 août, contre le fait que les USA y détenaient dans des conditions infrahumaines près de 16 000 émigrants haïtiens capturés en mer.) Ce qui entre en contradiction, bien entendu, avec la Loi d’ajustement cubain…

Mais, curieusement, dans le style « le bâton et la carotte », l’administration Clinton adopte des mesures de représailles contre Cuba : elle supprime totalement les envois de fonds familiaux des Cubano-Américains à leurs familles de l’île, restreint strictement la quantité de médicaments et d’aliments qu’ils peuvent expédier, réduit la quantité de dessertes aériennes hebdomadaires entre Miami et La Havane. (Encore une fois, les représailles visant l’argent et les biens que peuvent envoyer les Cubano-Américains ne sont pas une invention de Bush fils ; elles proviennent de Bill Clinton.) Le 24 août, la Section des intérêts nord-américains (SINA) de La Havane avertit dans une note que tout Cubain abandonnant illégalement le pays sera expédié à la base navale de Guantánamo, qu’il n’y sera pas traité en tant que réfugié et qu’il n’obtiendra pas de visa pour entrer aux USA.

Le 30 août 1994, on apprend que les gouvernements étasunien et cubain soutiendront des conversations sur les questions migratoires. A peine dix jours après, le 9 septembre, les deux pays souscrivent un accord migratoire dont l’essentiel est le suivant : 1) Les Cubains qui tenteraient d’entrer illégalement aux USA et seraient arraisonnés en mer ne pourront pas y pénétrer, mais seront placés dans des installations hors du pays ; 2) Les USA renoncent à leur pratique de délivrer une autorisation provisoire à tous les émigrants cubains qui entrent dans le pays par des voies irrégulières ; 3) Cuba adoptera les mesures à sa portée pour empêcher les départs sans sécurité ; 4) Les deux parties font leur la récente résolution des Nations Unies sur le traite des êtres humains ; 5) Les deux gouvernements prendront les mesures efficaces à leur portée pour empêcher l’usage de la violence par les pirates de la mer ou de l’air ; 6) Les USA permettront l’entrée légale d’au moins 20 000 Cubains par an, faciliteront l’entrée des Cubains en ayant le droit qui se trouvent sur la liste d’attente. Le retour éventuel des Cubains arrivés aux USA ou dans des installations extérieures, sera réglé par les voies diplomatiques ; 7) Les deux pays continueront de converser sur des points relatifs à l’émigration non encore abordés et réviseront tous les quarante-cinq jours l’exécution de l’accord.

Voilà en quoi consistait l’accord migratoire signé à l’époque de Clinton et mis sous le boisseau puis carrément éliminé par Bush fils. Comme on le voit, la Loi d’ajustement cubain reste sur pied, ce qui est parfaitement contradictoire ! Obama ira-t-il plus loin que son prédécesseur démocrate ou se bornera-t-il à un simple retour au passé, au statu quo ante ?

Ou bien laissera-t-il la mafia terroriste cubano-américaine de Miami le mener par le bout du nez, comme elle avait mené Clinton, quand elle fit l’impossible pour torpiller cet accord migratoire qui ne lui convenait pas (aucun arrangement entre Washington et La Havane, si minime soit-il, ne lui étant profitable…), les nombreuses incursions des avions du groupe Hermanos al rescate ayant visé précisément, entre autres objectifs, à provoquer des incidents avec les autorités cubaines : le piège réussit parfaitement et conduisit à l’ « incident » (prémédité) du 24 février 1996 où les Migs cubains abattirent deux Cessna à usage militaire dans les eaux territoriales de l’île, prétexte rêvé aux mains de la mafia pour mobiliser toutes ses influences au Congrès et dans l’administration pour obtenir que Clinton, censément à contrecoeur, signe la Loi Helms-Burton.

Oui, Obama continuera-t-il de faire des sauts de cabri par-dessus l’administration Bush pour en revenir à l’administration Clinton ou se dotera-t-il d’une politique à lui ?

Jacques-François BONALDI
La Havane

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