TASS, l’agence de presse officielle de la Russie, a confirmé que les troupes russes sont en train de prendre position le long de la route du Castello - la principale route au nord d’Alep, qui avait été reprise par l’armée syrienne en juillet.
Lors de la conférence de presse de dimanche à Genève, le secrétaire d’Etat américain, Kerry, a confirmé qu’une partie de l’accord entre les États-Unis et la Russie pour un cessez-le-feu en Syrie porte sur la « démilitarisation » de la route du Castello, pour permettre un accès humanitaire vers Alep.
Voici ce que dit Kerry
« ... ..cet arrangement (l’accord russo-américain - AM) exige aussi que les forces des deux camps se retirent de la route du Castello - et nous avons convenu de ce retrait. La route du Castello est une artère majeure vers Alep, et ce retrait va créer une zone démilitarisée autour de cette route, ce qui permettra la reprise du trafic civil et humanitaire le long de cette route, le plus vite possible. Et il y aura des contrôles pendant un certain temps, ce qui est nécessaire pour son application ».
Les termes de l’accord ne sont pas publics et la nature exacte de ce qui a été convenu ne ressortait pas clairement de ce que Kerry a dit. Mais c’est en train de devenir de plus en plus clair.
Il ressort du rapport de l’agence TASS que, à mesure que les troupes syriennes se retirent de la zone immédiate de la route du Castello, les troupes russes prennent leur place - apparemment des troupes d’infanterie de marine qui viennent de la base russe de Khmeimim.
Le rapport de l’agence TASS indique aussi, clairement, que les combattants djihadistes de l’est d’Alep sont censés remettre leurs armes et évacuer l’est d’Alep en passant par la route du Castello. Voici comment Sergey Kapitsyn, le responsable russe sur place, l’a expliqué, selon l’agence TASS :
« Cette route est maintenant le couloir de sortie des hommes armés de la partie orientale d’Alep qui ont décidé de cesser le combat et de rendre les armes. Dans le cadre des accords du 9 septembre entre la Russie et les Etats-Unis sur le rétablissement du cessez-le-feu, un accent particulier sera mis sur la route du Castello. Elle sera une route clé pour livrer des cargaisons humanitaires à Alep. Il y a actuellement des travaux en cours ici pour équiper le poste de contrôle de la Société syrienne du Croissant-Rouge à travers lequelle les cargaisons humanitaires seront acheminées vers la partie orientale et la partie occidentale de la ville, »
(Italiques en gras ajoutés)
Ceci explique pourquoi, comme annoncé précédemment, la force aérienne syrienne a largué des tracts sur Alep il y a quelques jours, qui donnaient deux jours aux combattants djihadistes de l’est d’Alep pour déposer les armes ou partir. Les Syriens ont devancé l’annonce de l’accord russo-américain qui exige, comme c’est maintenant clair, que les combattants djihadistes quittent l’est d’Alep. L’accord est entré en vigueur lundi, c’est-à-dire deux jours après que les tracts ont été largués.
Soit dit en passant, l’affaire des tracts confirme que les Russes tenaient les Syriens informés de l’avancement des négociations avec Kerry, comme ils le disent.
Des rapports antérieurs qui ont circulé il y a quelques semaines affirmaient que les Russes avaient dit à Kerry qu’ils voulaient que tous les combattants djihadistes aient quitté l’est d’Alep à la mi-septembre. Il semble de plus en plus certain que l’accord américano-russe contienne en effet une telle disposition, mais peut-être avec un délai plus souple.
La proposition américaine originale de cessez-le-feu que les Russes ont rejetée lors du sommet du G20 à Hangzhou exigeait que l’armée syrienne se retire de la route du Castello quand les djihadistes dirigés par Jabhat Al-Nusra contrôlaient le district de Ramousseh et avaient donc fermé la route de Ramousseh qui mène à Alep depuis le sud.
Bien qu’il y ait évidemment plus de deux routes qui mènent à Alep, la route du Castello venant du nord et la route de Ramousseh venant du sud sont les deux routes principales qui mènent à la ville.
Si les Américains avaient eu gain de cause, l’armée syrienne aurait dû abandonner le contrôle des deux routes principales qui mènent à Alep : la route Castello au nord et la route Ramousseh au sud. Cela aurait rendu la position du gouvernement à Alep extrêmement précaire et vulnérable en cas d’échec du cessez-le-feu.
Les récentes victoires gouvernementales au sud-ouest d’Alep ont radicalement changé la donne. Maintenant que l’armée syrienne a repris le contrôle du district de Ramousseh, ses communications avec le sud sont sécurisées.
Si la ligne dure à Washington avait le projet d’imposer un cessez-le-feu à Alep qui aurait facilité la reprise de la ville par les djihadistes, cela a échoué. Au contraire, il semble que le plan actuel est que les combattants djihadistes soient évacués de l’est d’Alep, ce qui donnera le contrôle de la ville au gouvernement.
Il faut toutefois rester prudent. Ce n’est pas parce que les Russes prennent le contrôle de la route du Castello à la place de l’armée syrienne et que l’accord russo-étasunien semble indiquer que les combattants djihadistes de l’est d’Alep doivent évacuer la ville, que cela se produira.
On entend déjà dire que des groupes djihadistes rejettent l’accord que Kerry et Lavrov ont conclu à Genève, dimanche. Il semble beaucoup plus probable et beaucoup plus logique quand on les connait, que les combattants djihadistes de l’est d’Alep creusent des tranchées au lieu de s’en aller.
L’accord russo-étasunien ne signifie donc pas que la bataille d’Alep est terminée. Ça signifie qu’une faction de Washington – et donc pas nécessairement l’ensemble de la bureaucratie de Washington - a maintenant accepté à contrecœur l’idée que la bataille est perdue.
Afin de sauver quelque chose du naufrage, ils essaient de sauver la vie des combattants djihadistes de l’est d’Alep et de faire en sorte qu’ils restent une force cohérente en acceptant leur retrait en des termes qui leur permettent de sauver la face. Les combattants djihadistes ne vont sans doute pas apprécier leurs efforts et vont presque certainement refuser de faire ce que les États-Unis ont prévu pour eux, mais ça c’est une autre affaire !
Alexander Mercouris
Traduction : Dominique Muselet