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Les ravages de la LRU (suite)

Selon Francis Blanche, "la trahison est une moisissure verte et douce comme le duvet. Elle ronge en silence et par l’intérieur".

On le répétera jusqu’à ce que les vaches rentrent à la maison, comme on dit en anglais : la LRU est une arme de guerre conçue par l’hyperbourgeoisie internationale pour privatiser l’enseignement supérieur français et sortir ses personnels de la Fonction publique en une génération. Ont lutté contre cette ignominie, outre, évidemment, toutes les bonnes volontés individuelles, le Snesup, la CGT, Sud, une partie du syndicat autonome (droite), le Parti communiste, le NPA, le Parti de gauche, ainsi que deux associations d’universitaires : Sauvons l’Université ! et Sauvons la Recherche !. Le SGEN-CFDT, l’UNSA, le Parti socialiste (très tardivement) se sont fort mollement opposés à Pécresse. Les deux confédérations syndicales participent désormais à la gestion de l’Université de manière plutôt zélée. Le Parti socialiste, qui n’a jamais condamné globalement la logique de la LRU, ne prévoit pas de faire abolir cette loi en cas de victoire aux prochaines élections présidentielle et législatives.

Un psychodrame vient tout récemment de se dérouler autour de la personne de Bertrand Monthubert, ancien animateur de Sauvons l’Université !. Scientifique de premier plan, Monthubert a joué un rôle déterminant dans le combat contre la LRU. Membre du Parti socialiste, il a choisi d’accepter, après s’être retiré de la direction de SLU, des fonctions éminentes dans ce parti.

Le Parti socialiste avait décidé d’inviter à Toulouse (la ville où exerce Monthubert) Étienne Boisserie, l’actuel président de Sauvons l’Université !, à l’occasion d’une journée consacrée à l’université. Très choqué par le programme du Forum des idées du PS, Boisserie, dénonçant la manière dont ce parti accompagne les réformes de la droite en matière d’enseignement supérieur et de recherche, vient d’adresser une lettre ouverte à Monthubert ;

Cher Bertrand Monthubert,

Je vous remercie de votre invitation à venir assister aux débats du PS à Toulouse.

J’ai bien entendu regardé attentivement l’organisation de vos travaux, les thèmes abordés et les personnalités invitées. Pour vous dire les choses avec une franchise que je juge préférable, connaissant les combats que vous avez menés, je dois bien avouer une grande déception. De toute évidence, vous avez totalement oublié les représentants des personnels (toutes catégories confondues), un certain nombre de thèmes et de secteurs fondamentaux de nos universités, et particulièrement ceux qui souffrent déjà - et continueront de souffrir - des effets des " réformes " conduites depuis 2007. J’entends bien qu’un président d’université - a fortiori quatre - a une certaine expérience des RCE et de l’application de la loi LRU, mais cela ne vous aidera certainement pas à calibrer l’indispensable balayage des effets les plus délétères de la LRU et des graves dysfonctionnements introduits dans les structures universitaires par les différents « -ex » que nombre de vos invités ne manqueront d’ailleurs pas de louer. Au demeurant, l’idée d’inviter à vos travaux un « grand témoin » qui, la veille, aura présenté dans une librairie parisienne le livre qu’il cosigne avec la ministre, permettant ainsi à celle-ci de vanter urbi et orbi son miraculeux « bilan », est un pied de nez qui doit être apprécié à sa juste valeur.

J’entends bien, par ailleurs, que « l’innovation » - qui se substitue bien trop à la « recherche » pour ne pas devoir susciter quelques interrogations - est une composante essentielle du discours ambiant, mais quid de pans entiers de l’université ? Des SHS ? Des IUT ? Quid des conditions de travail des personnels soumis à la RGPP - les Biatoss depuis un moment, les enseignants-chercheurs sous peu ?

Beaucoup de « vedettes » et de discours convenus en perspective, un mauvais signal adressé à la communauté universitaire, une incapacité à poser un diagnostic autrement qu’avec ceux qui ont accompagné - ouvertement ou dans les faits, avec zèle ou toute honte bue - des transformations redoutables.

Avez-vous oublié que votre groupe parlementaire avait, en plein mouvement de 2009, certes tardivement, mais clairement, pris position contre la loi LRU ? Avez-vous oublié que vous-même aviez pris une telle position au même moment ? Êtes-vous en train de vous préparer à annoncer au nom du Parti, comme M. Cambadélis l’a fait en son nom dans le JDD du 8 mai, que la réforme des universités est « peut-être » la seule réussite du quinquennat de Nicolas Sarkozy ? Votre idée de « la société de la connaissance » ne cache-t-elle pas une conversion définitive à « l’économie de la connaissance ? Et, enfin, pourquoi diable avoir pris la peine de consulter les associations SLR et SLU en décembre dernier si c’était pour produire un tel cadre de débat et de réflexion publique ?

Je reconnais bien volontiers que ce courrier n’est pas une réponse courtoise à votre aimable invitation, mais comment un parti comme le vôtre peut-il à ce point évacuer autant de dimensions du problème de l’enseignement supérieur et de la recherche ? Comment peut-il aussi durablement éviter de tracer des priorités nouvelles pour un secteur gravement affecté depuis 2007. Or, il est consternant de constater qu’aucun de vos invités - à l’exception sans doute de votre élue régionale - n’a jamais pris la mesure de ces bouleversements et des effets néfastes des réformes en cours, quand il ne s’en est pas réjoui au nom d’une « excellence » qu’il est désormais convenu dans les cercles « réalistes » d’invoquer à tout bout de champ, comme jadis, en d’autres lieux, on en appelait aux mannes du « socialisme scientifique » ? Mesurez-vous vraiment - votre parti, pas vous-même - le degré de renoncement atteint, qui consiste à copier le discours de l’adversaire par crainte du discrédit ?

Cela ne remet pas en cause mon estime pour le militant que vous fûtes, ni mon espoir d’une alternance politique. Mais cela ne sera pas à n’importe quel prix et vous devez prendre enfin la mesure du désarroi des femmes et des hommes sans lesquels l’université n’existe pas. Je ne doute pas que le programme de votre « Forum des idées » - certains d’entre nous y ont lu un « Forum des Idex » - provoquera chez beaucoup d’entre eux un sourire mi-las, mi-désabusé, chez d’autres une grande inquiétude.

En espérant que votre parti saura un jour comprendre que ce n’est pas seulement d’une alternance dont l’Université et la Recherche ont besoin, mais bien d’une alternative aux politiques en cours, je vous prie de croire, cher Bertrand Monthubert, en mes sentiments les plus cordiaux.

Étienne Boisserie

Président de Sauvons l’université !

Deux remarques explicatives avant de poursuivre. Le " grand témoin " dont parle Boisserie, qui a cosigné un livre avec Pécresse, n’est autre que le président de l’université Paris V, élu en 2007. Homme assoiffé de pouvoir et de reconnaissance, Axel Kahn eut, pendant la lutte contre la LRU, une attitude plus qu’ambiguë de soutien voilé aux agissements de la droite. Dans sa jeunesse, Kahn fut membre du Parti communiste puis, brièvement, du Parti socialiste. Il est vice-président des Amis du journal L’Humanité et fut membre - au titre de ses compétences en génétiques, peut-être - de la commission de révision de la Constitution française présidée par Simone Veil. Bref, l’homme navigue à la godille, un pied dans chaque camp. Heureusement, il n’y a que deux camps. Je n’ai aucune compétence pour évaluer le savant. Je note ceci dans la page Wikipédia qui lui est consacrée :

« Présenté parfois par les médias comme le « généticien français le plus renommé en Europe », Axel Kahn ne figure cependant pas dans la liste des 137 scientifiques français les plus cités, établie par l’Institute for Scientific Information. Cette liste comporte une bonne dizaine de généticiens français, parmi lesquels Pierre Chambon, Daniel Cohen, Jean-Louis Mandel, Marie-Geneviève Mattéï et Jean Weissenbach. Il a néanmoins publié plus de 500 articles dans des revues internationales. »

Dans sa lettre, Boisserie joue avec le suffixe " ex " . Il faut savoir que les inventeurs de la LRU et les nombreux universitaires qui la soutiennent se gargarisent désormais du concept d’excellence. Cette notion bidon sert à mettre les institutions universitaires en compétition les unes avec les autres, tout comme les personnes. C’est ainsi qu’ont été créés des " laboratoires d’excellence " ou Labex. Une minorité de labos pourra bénéficier de cette prestigieuse étiquette et des subventions afférentes. Mais à l’intérieur de ces labos remarqués, seuls 30% des personnels pourront se prévaloir de l’excellence. On imagine donc la lutte à couteaux tirés entre les labos et à l’intérieur même de chaque labo. Ce n’est pas le lieu de se demander ici combien de ministres pourraient bénéficier du label...

La lettre d’Étienne Boisserie a été reproduite par Mediapart. Je voudrais, pour terminer, citer quelques commentaires des lecteurs de ce site.

Il y a ceux qui pensent, comme 70% des Français, paraît-il, que trop d’universitaires sont des fainéants assistés qui, comme les bénéficiaires du RSA doivent faire leurs preuves en matière d’excellence. On me permettra de ne pas leur faire de publicité. Je préfère citer les lecteurs choqués par les dérives des socialistes :

Si le PS doit prolonger ce qu’a fait Pécresse, inutile pour les enseignants-chercheurs et les Biatoss de voter pour lui en 2012. Nous attendons tous le départ du tandem Sarkozi-Pécresse comme une délivrance. Depuis 2009, il y a de plus en plus de collègues qui n’en peuvent plus et "ne travaillent plus ou à peine", faute de moyens et de perspectives. Savez-vous que désormais, au moins en SHS, les colloques français (y compris de dimension internationale) sont exclus du champ de l’évaluation par l’AERES (la nouvelle autorité d’évaluation) ? La LRU a des effets pervers que l’on ne va plus tarder à mesurer hors de l’université (mais que les enseignants-chercheurs ont d’ores et déjà pu mesurer). Et s’il faut évaluer, c’est par la LRU qu’il faut commencer, de toute urgence. Un enseignant-chercheu), avant la LRU, était évalué de façon permanente par ses pairs, et de façon très supérieure à ce qui se fait ailleurs la plupart du temps dans la plupart des métiers : DEA, puis thèse, puis habilitation à diriger la recherche, concours de bourse ATER, concours de maître de conférences, concours de professeur des universités, passage à la première classe, à la hors classe, et sans cesse la recherche d’aides à la recherche, de financements aux programmes de recherche et d’ouverture de nouvelles formations (DESS, DEA, aujourd’hui masters) ; animation de séminaires et d’écoles doctorales, accueil d’étudiants et de collègues étrangers, contributions aux équipes de recherche, contributions aux journées de recherches, colloques, échanges internationaux, publications et direction de projets de publications, de revues, etc. Facilement 50 heures de boulot par semaine, y compris (surtout) pendant les "vacances". Tout ça chez 99 % des collègues.

Militant du parti socialiste, je peux en effet, faire remonter l’extrême mécontentement des collègues envers les ambiguïtés de mon propre parti. Par ailleurs, la rumeur voudrait (mais je n’ai guère de certitudes en la matière faute de temps ) que Mr Axel Kahn aurait obtenu de V. Pécresse, un recul de l’âge du départ à la retraite des présidents d’ Université qui expliquerait sa moindre opposition à la réforme.

Dans bien des métiers en lesquels les choses changent vite et en lesquels les formations sont rapides, les exigences sont inévitablement à court terme, mais la Science procède par approfondissement et cette réforme lui est nuisible. Et, en fait, c’est peut-être encore plus vrai dans les sciences "dures" (celles que Mr Monthubert connaît le mieux ...) que dans les SHS. Les lazzis sur Mr Cambadelis qui aurait eu, comme expérience essentielle de la vie universitaire, la gestion de la MNEF n’arrange pas l’image de mon parti auprès des universitaires, sauf peut-être ceux qui ont investi massivement les tâches administratives , et sont probablement les vrais gagnants de la réforme. Rappelons, pour finir, qu’un des ingrédients des défaites de 2002 et 2007 fût l’abstention des enseignants du second degré suite aux propos déconcertants de Claude Allègre. Mon parti a suivi les orientations d’un de ses membres qui s’est empressé de le quitter quand les tentations de " la politique d’ouverture " se présenta. Immense gachis pour la Gauche...

Pour revenir à la forme que prend ce "Forum des idées" du PS, on ne comprend vraiment pas que n’ait pas été entrepris le travail minimum d’une représentation de la pluralité des acteurs de l’université et de la recherche. Pourquoi 4 présidents d’université quand on sait l’essentiel de la CPU acquis à la politique actuelle ? Et pourquoi Monsieur "Axcellence" (Axel Kahn) qui signe un livre avec Pécresse ? Faire de lui le "Grand témoin" de ce forum socialiste n’est pas seulement un mauvais signal envoyé à toute la communauté universitaire, c’est acter une pleine adhésion du PS à l’ensemble de la politique d’excellence qui restructure et déstructure la carte territoriale de la recherche et les laboratoires au seul profit des grands groupes industriels et financiers en faisant au passage les choux gras du secteur véreux et incompétent de la consultance.

Beaucoup attendent que le PS se prononce enfin clairement sur trois sujets centraux : le soutien ou non à la loi LRU et toutes ses conséquences délétères en matière de démocratie et de respect de la collégialité ; l’adhésion ou non à la politique d’appel d’offre via les projets d’excellence qui redessinent de façon absurde la carte territoriale de la recherche en concentrant les moyens sur quelques grands pôles et des secteurs disciplinaires à rentabilité immédiate ; le devenir des SHS et des Humanités qui sont instrumentalisées et menacées d’affaiblissement ou de disparition sur les deux tiers du territoire universitaire français.

Un dernier petit mot sur ce qui se passe actuellement outre-Manche. Les pouvoirs publics ont permis aux universités d’augmenter les frais d’inscription jusqu’à 10000 euros par an environ. Pour la plupart des universités, ces frais se situent aux alentours de 3 à 4000 euros, ce qui est déjà considérable. Conséquence : de très nombreux jeunes ne peuvent plus s’inscrire. Une université sans étudiants étant une coque vide, certaines facs sont en train de brader les inscriptions en inventant le bas coût (low cost). A pleurer !

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