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Les millionnaires de la chance. Rêve et réalité. Michel Pinçon, Monique Pinçon-Charlot.

Depuis une quinzaine d’années, le couple Pinçon-Charlot nous parle dans leurs livres de ceux qui ont de l’argent, dans des études consacrées aux ghettos du Gotha, aux Rothschild, à la chasse à courre, à la grande bourgeoisie, aux châteaux et châtelains, aux beaux quartiers etc. Cette fois-ci, ils se sont penchés sur le cas de ceux qui n’avaient pas plus d’argent que vous ou moi (souvent même, moins), mais pour qui le ciel est un jour tombé sur la tête sous la forme de un, cinq, dix, vingt millions d’Euros gagnés grâce à un billet acheté à la Française des Jeux. Alors là , évidemment, tout a basculé : le rêve est devenu réalité. Et ce n’a pas toujours été simple et gai.

De même que c’est la mer qui prend l’homme, un gagnant n’a définitivement gagné, préviennent les auteurs, que « lorsqu’il a été gagné par son gain ». Toucher son chèque ne suffit pas. Par-delà la sidération produite par ce coup du sort, il faut intérioriser, surmonter ce bouleversement. Cela peut effrayer, même si, de mémoire de responsables de la FDJ, aucun vainqueur n’a sciemment refusé son lot. Cela dit, ce n’est pas pour rien que la FDJ a créé en 1993 un " Service gagnant " pour aider les joueurs qui se retrouvent soudain en possession de plus d’un million d’euros. On note, depuis que les gagnants les plus pauvres, par timidité sociale principalement, et les plus riches, parce que déjà compétents en matière de gestion, ont le moins recours à ce service après-gain.

La soudaineté de la richesse révèle « la puissance des apprentissages sociaux » parce que les rapports sociaux sont bouleversés. Le corps même est atteint au plus profond de son intimité. Si nous jouons disait Zola dans L’Argent, c’est « pour être dieu », donc après avoir goûté de l’antidote au plomb de la présivibilité.

Quand on a gagné, que fait-on ? D’abord, expliquent les auteurs, on s’offre quelques petits plaisirs qui eussent été possibles sans avoir gagné : une belle voiture, quelques très bons restaurants, un voyage au Pérou. Puis on monte d’un cran en culbutant l’ordre social : on se fait construire une superbe maison avec piscine, on souscrit à de très confortables assurances-vie (5000 euros par mois jusqu’à sa mort, par exemple). C’est alors que le bât blesse : « en accédant au monde de la richesse, les gagnants expérimentent que l’ampleur des inégalités sociales ne renvoie pas seulement à la richesse matérielle. Le sentiment d’extériorité face au monde de l’art et des antiquités, sans parler des spectacles et de la littérature, fait sentir que la vraie richesse est difficilement accessible. » Le château ne fait pas le châtelain. On peut posséder Chenonceau et ne pas être reconnu comme châtelain car on est un marchand de chocolat. Le statut implicite suppose une reconnaissance de la population locale et d’institutions politiques ou culturelles.

Pour être bien dans son gain comme on est bien dans sa peau, il faut donner du sens à cette richesse nouvelle. Alors, peut-être, pourra-t-on ne pas renier ses idées, sa vision du monde et de la société : « cette cohérence sociologique, allant de pair avec la cohérence psychique acquise, permet d’absorber le choc de l’enrichissement soudain ». Est-il possible de tuer son ancien moi, s’interrogent les auteurs ?

La façon dont les gagnants vont faire face à la richesse procède du corps social et s’enracine dans l’histoire de l’heureux élu. Il n’est pas facile de se retrouver dans une position supérieure à celle de ses parents, ou de son patron. On doit souvent s’avancer masqué, se taire, bref, comme l’expriment de saisissante manière les Pinçon-Charlot, « ne pas se trahir en trahissant qu’on a trahi, ne pas dévoiler ses origines là où l’on est arrivé, ni son point d’arrivée à ceux de là d’où on vient ». Le gain peut, en effet, être perçu comme une sorte de trahison - surtout si l’on vient d’un milieu modeste - alors même que jouer au Loto est plus répandu en milieu populaire qu’ailleurs. Et puis le vainqueur n’a volé personne. Il n’a rien fait d’autre que capter l’argent des autres par consentement mutuel. Mais rien n’y fait : les héritages peuvent déchirer les familles, le gain est susceptible d’éveiller des ressentiments liés à des souvenirs douloureux, à des rancoeurs, voire des haines, «  qui ont ailleurs que dans le gain leur raison d’être ».

La culpabilité morale et politique qui fait suite au gain est fort peu ressentie par les héritiers pour qui la richesse va de soi, ou encore pour les travailleurs certains de leur mérite. Aujourd’hui, où la réussite et la richesse sont valorisées plus que tout, où l’argent décomplexé est une fin et non plus un moyen, mais où l’ascenseur social est en panne, le Loto est une source essentielle d’un avenir meilleur. Mais d’un avenir de rentier, une condition difficile à avouer à son voisin de palier. Il faudra chercher des subterfuges pour cacher la soudaine richesse, en déménageant, par exemple. Il reviendra à ce rentier de construire le regard de l’autre, jaloux, admiratif ou déférent. Déférent comme le banquier pour qui vous n’étiez qu’un numéro de compte et qui, maintenant, vous invite dans des réceptions mondaines ou culturelles ultrachicos.

Paris : Payot , 2011.

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