On saura bien un jour ce qui s’est concocté entre les Etats-Unis et les Frères musulmans, contentons-nous aujourd’hui d’observer leurs relations à la lumière de l’actualité égyptienne et tunisienne. Dans les deux cas, il y a une volonté manifeste de conforter la victoire électorale, purement arithmétique, par une offensive qui vise à asseoir l’hégémonie des Frères sur l’Etat et sur la société. Cette offensive utilise deux modes opératoires différents. Elle est plus brutale en Egypte, parce que la confrérie dispose d’une base sociale assez importante pour contrer les opposants.
En Tunisie, le dispositif est plus sournois. Ennahda, dont les partisans sont loin de constituer un poids significatif, sait que le rapport de force n’est pas en sa faveur et cherche son inversion par le grignotage des espaces et par la destruction ou, au moins, la neutralisation des forces sociales susceptibles de lui barrer le chemin. Ce processus se produit sous le regard complaisant de la « communauté internationale », qui après avoir consacré le « printemps » affiche une « neutralité » douteuse, quant elle ne menace pas les contestataires. Il s’agit de « soutenir la transition » ou d’« encourager les islamistes modérés », explique la diplomatie occidentale à ceux qui n’ont pas compris que le gouvernement des Arabes et assimilés nécessite un contenu religieux, en attendant une hypothétique démocratie. L’important étant que l’ouverture aux forces du marché soit assurée contre les velléités d’émergence de courants, qui peuvent les compromettre. D’où l’intérêt d’une prise en main autoritaire qui peut être « consentie » grâce à un regain de religiosité, garante du respect de la libre-entreprise. Une grande difficulté se présente : la situation économique très précaire conjuguée à des attentes incommensurables qui s’expriment ouvertement. Ceci dans une dynamique de libération de la parole et d’une prise de conscience aiguë de l’iniquité du système en place.
On comprend, dès lors, que les Frères musulmans aient immédiatement entrepris de juguler les adversaires. En Egypte, le président Mohamed Morsi, oubliant sa fonction, en appelle à ses troupes contre l’opposition populaire qui refuse son diktat. En Tunisie, c’est le chef des Frères, Ghanouchi qui lance, sans l’assumer publiquement, des milices autoproclamées, les « Comités de protection de la révolution », contre l’Union générale des travailleurs tunisiens, principale adversaire sur le terrain économique et social, et contre tous ceux qui pourraient contester une gouvernance à la sauce religieuse. Il n’hésite pas à défendre les miliciens et à les légitimer, sans les revendiquer. Selon lui, ce sont eux qui « donnent la légitimité aux autres ». Dans le pays, un rapprochement est fait, à juste titre, avec les Sections d’assaut (SA) nazies qui terrorisaient les adversaires d’Adolf Hitler et qui ont fini par les éliminer. En Egypte, ce sont des foules qui sont mobilisées pour intimider l’opposition, quitte à risquer un affrontement aux conséquences dramatiques, en prévision de l’instauration, dans le même temps, d’une incontestable hégémonie des Frères dans la société.
En arrière-plan, les Etats-Unis attendent. Ils sont prudents, dit-on. Peut-être, les Frères devraient-ils se méfier. S’ils perdent, il y a toujours les Amr Moussa, Beji Caïd Essebsi et autres libéraux qui pourraient faire l’affaire.
Ahmed Halfaoui
http://www.lesdebats.com/editions/131212/les%20debats.htm