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Les Etats-Unis tortureront à nouveau – et nous sommes tous responsables (The Daily Beast)

Sans surprise, voici Dick Cheney qui démolit le rapport du Sénat sur la torture et déclare sur l’usage de la torture : « Je le referai et sans hésiter. » Personne n’en doute. Mais la question plus intéressante et stimulante est celle-ci : le pourrait-il ?

Plus précisément, est-ce qu’un autre Cheney du futur, après une nouvelle attaque terroriste sur le sol américain, pourrait nous refaire le coup ? Est-ce qu’un gouvernement futur pourrait remettre en place l’édifice frauduleuse et immorale - un ministère de la Justice qui définirait la torture de manière si étroite que, comme par magie, elle ne comprendrait ni la privation de sommeil ni l’hydratation par voie rectale ni les simulations de noyade, suivi par une CIA et un appareil militaire qui diraient « Hé, c’est quoi le problème ? Ce que nous faisons est légal ! » ? (Même dans sa conférence de presse jeudi, le chef de la CIA John Brennan a reconnu que cela pourrait se reproduire : « Je m’en remets aux responsable politiques, » a-t-il dit, en parlant de l’avenir.)

Les gens comme moi sont censés dire quelque chose comme : Non, nous valons mieux que ça. Hélas, je dis que nous ne valons pas mieux que ça. Ca pourrait se reproduire. Et facilement.

En fait, allons un peu plus loin. Cheney est aujourd’hui une figure de l’horreur et du grotesque (pas pour tout le monde – pour le public de Fox News devant lequel il a prononcé les mots ci-dessus, sa parole est d’évangile). Mais pouvons-nous dire honnêtement qu’en 2002, 2003, 2004, il n’incarnait pas la volonté du peuple ? Nous avons le gouvernement que nous méritons, a dit de Tocqueville. Et avec Bush-Cheney, c’est exactement ce que nous avons eu.

Il existe quatre mécanismes de notre démocratie par lesquels l’État peut être contraint de respecter ce que nous appelons - de manière plutôt ridicule au vue de la semaine que nous venons de vivre - « nos idéaux ». Il y a la volonté du peuple ; la détermination de la classe politique ; le courage des médias ; et l’autorité des tribunaux. En ce qui concerne la torture, tous les quatre ont échoué, et lamentablement.

Les gens étaient, en théorie, contre la torture. J’ai devant moi sur mon écran une étude du Reed College qui affirme que de 2001 à 2009, la majorité de l’opinion publique s’est constamment prononcée contre la torture, avec des chiffres entre 40 et 55 %. Ce qui est peut-être vrai, dans l’abstrait. Mais les Américains étaient-ils suffisamment opposés à la torture pour exiger qu’elle cesse ? Jamais.

En fait, au cours de la majeure partie de l’ère Bush, ce fut le contraire. Je me souviens très bien de l’humeur du public après les attentats du 11/9. Il y avait de la colère justifiée, du choc et du chagrin. Mais ces sentiments étaient noyés par d’autres, moins honorables. Une combinaison paradoxale de, d’une part, un désir de vengeance sous une forme quelconque chez une partie de la population, et d’autre part une peur panique chez une autre partie qui approuvait tout ce qui était commis en son nom. Trop de gens sont retombés dans un état infantile, et voulaient un père-protecteur. Et non, ce n’était pas compréhensible dans les circonstances.

Quant à la classe politique, je ne pense avoir beaucoup de mal à vous convaincre de son échec. Il fut total et général. Les Démocrates timorés, à quelques rares exceptions comme Robert Byrd, ont largement adhéré à la guerre mondiale contre le terrorisme. Quant aux Républicains, eh bien, vous les connaissez. Les milieux de la politique étrangère à Washington et dans une certaine mesure à New York se sont alignés derrière l’administration sur presque toutes les questions importantes. Cette classe a toujours tendance à se laisser emporter par le courant : En 2003, lorsque le Council on Foreign Relations cherchait un nouveau dirigeant, il a choisi Richard Haass, qui avait fait partie du Departement d’Etat [ministère des affaires étrangères] de Bush. Il a depuis déclaré qu’il était à 60-40 contre la guerre, mais on aurait eu du mal à le savoir à l’époque lorsque son patron, Colin Powell, nous mettait en garde contre ces armes de destruction massive qui n’existaient pas. Sur la question de la torture, cette classe s’est indignée lorsqu’il était facile de s’indigner, comme lorsque l’histoire d’Abou Ghraib a éclaté, mais l’indignation était toujours de courte durée.

Dans les médias, il y avait pour sûr de nombreux journalistes courageux - Jane Mayer, Robin Wright, et beaucoup d’autres - qui ont publié article après article sur la torture. Nous leur en sommes reconnaissants. Mais leur excellent travail a été plus que contrebalancé par le lobby de l’ambiguïté, par ceux qui disaient, eh bien, nous ne pouvons pas être vraiment sûrs que ce soit de la torture. Et puis il y avait aussi la partie des médias qui a applaudi tout le long et dès le début. De manière plus générale, les médias dans leur ensemble avaient peur de sortir du rang. J’ai eu un certain nombre de conversations avec d’éminents membres des médias – de la télévision et de la radio, des noms connus - qui, pour justifier leur manque de zèle et d’opposition dans les jours qui ont suivi le 11/9 ont tenté d’expliquer combien de courriels furieux ils recevaient chaque fois qu’un article s’écartait de la ligne officielle.

Et le système juridique ? Là aussi, il y a eu quelques juges courageux qui ont essayé. Un juge fédéral de la Virginie nommé Gerald Bruce Lee a statué en 2009 que quatre détenus d’Abou Ghraib pouvaient poursuivre CACI, l’entrepreneur militaire privé en Irak. Mais dans l’ensemble le système juridique n’a pas fait grand chose pour dire « ceci est contre la loi ». Une grande partie de la faute, bien sûr, est due à Barack Obama, qui a choisi dès le début de ne pas demander des poursuites contre des fonctionnaires de l’administration Bush. Et même maintenant, quel est votre niveau de confiance que quelqu’un sera poursuivi à la suite de la publication de ce rapport ? C’est bien ce que je pensais.

Des échecs, de bout en bout. A présent, on aimerait pouvoir dire que nous, en tant que société, avons tiré les leçons de ces échecs et ne permettrons pas que cela se reproduise. N’y comptez pas. S’il y a une nouvelle attaque terroriste sur le sol américain, il y a de fortes chances que cette sombre tragédie soit rejouée du début à la fin, si un régime néo-conservateur occupe la Maison Blanche. Les gens réagiraient avec la même peur, ce qui entraînerait le même comportement, et la classe politique et les médias et les tribunaux s’y joindront à nouveau.

Alors oui, que Cheney dise qu’il referait la même chose est une horreur morale. Mais il est probable aussi qu’un autre Cheney du futur arriverait à le refaire aussi. Et cette horreur là est bien plus grande, et nous refusons de la voir, car elle nous concerne tous.

Michael Tomasky

Traduction "Ah, le fameux "Nous Sommes Tous des Américains"" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.

»» http://www.thedailybeast.com/articl...
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