« Ce n’est pas que les chrétiens soient moins nombreux, c’est que le nombre des chrétiens médiocres augmente ».
Georges Bernanos (Extrait de Lettre aux Anglais)
Encore une fois, les croyants, qu’ils soient chrétiens ou musulmans, sont appelés à s’entre-tuer sous le regard intolérant d’un Occident qui instrumentalise le sacré pour arriver à ses fins et diviniser le money-théisme véritable veau d’or qui broie les spiritualités les instrumentalise et les dresse les unes contre les autres pour le plus grand bien d’une mondialisation -laminoir ; A ce malheur s’y ajoutent aussi trois paramètres importants : le prosélytisme des évangélistes qui fait de plus en plus de dégâts, les ingérences du pape en faveur des chrétiens et enfin les intrigues en sous-main du sionisme chrétien pour qui les dissensions entre chrétiens et musulmans sont du pain bénit sur tous les plans. Les ingérences occidentales ont généré une réaction extrémiste dans « la galaxie Ben Laden » dont on se demande comment il arrive à gérer et à se déployer partout en semant la terreur.
Le 31 décembre, l’Eglise copte d’Alexandrie a fait l’objet d’un attentat qui a fait des dizaines de morts. Cet attentat affreux et condamnable et semblable aux dizaines d’autres attentats qui endeuillent le Moyen-Orient, a provoqué la colère des Egyptiens de confession chrétienne, les Coptes mais aussi des autorités religieuses musulmanes. Le président de l’Union mondiale des Ouléma, Cheikh Youssouf Al Qaradawi a condamné très fermement l’attentat contre l’église copte d’Al Kidissine à Alexandrie. En des termes très clairs, il a renouvelé les condamnations qui avaient émané d’autres autorités officielles de l’Islam au Moyen-Orient, notamment du Cheikh d’Al Azhar, Ahmad Al Tayeb. Les clameurs indignées en Occident ne se sont pas faites attendre. On diabolise les autres citoyens égyptiens musulmans comme on a diabolisé les autres irakiens. Cette compassion a géométrie variable a mobilisé l’Occident et la papauté. Comme le faisait remarquer l’anthropologue Hosham Dawod dans Le Monde du 10 novembre 2010, « Chrétiens d’Irak : ne choisissons pas nos victimes ! », à propos de l’accueil de réfugiés irakiens chrétiens en France : « La décision prise le 2 novembre d’accueillir sur le sol français 150 chrétiens victimes de l’attentat de Baghdad du 1er novembre (...) est à cet égard emblématique. Sous les traits d’une démarche humanitaire, c’est choisir ses victimes. (...) [car au même moment], une vingtaine de voitures piégées ont explosé dans divers quartiers de Baghdad, faisant des centaines de victimes. Et, depuis, cela n’a pas provoqué la même compassion. »
Qui sont ces Arabes chrétiens d’Orient ?
Les Coptes sont des Egyptiens, le mot copte veut dire égyptien. Comme le dit le livre des Actes des Apôtres, le jour de la Pentecôte, il y avait des Egyptiens à écouter les apôtres et Saint Pierre. La tradition fait remonter à Saint Marc l’évangélisation du pays, à son voyage à Alexandrie. Aujourd’hui, la présence chrétienne en Egypte se chiffre dans les 8 millions sur les 80 millions d’habitants. Dans une superbe contribution, René Naba dresse le portrait des Arabes chrétiens. Ecoutons-le : « Situés à l’épicentre du conflit entre Islam et Occident, perçus tantôt comme passerelle entre deux mondes tantôt comme les supplétifs d’une cinquième colonne d’une nouvelle croisade contre l’Islam, au gré des exacerbations des conflits entre les deux rives de la Méditerranée (...). Singulier est le destin de ces chrétiens originels, de ces chrétiens des origines de la chrétienté, dits « chrétiens d’Orient », ballottés entre Orient et Occident, tiraillés entre leur appartenance socioculturelle arabe et la communion religieuse qui les lie à l’Occident, entre leur communauté de destin avec leurs compatriotes de confession musulmane et leur communauté de croyance avec les Occidentaux. Environ 13 millions de chrétiens. Selon les estimations les plus généralement admises. Les chrétiens dans le Monde arabe appartiennent à une douzaine d’Églises différentes(...) une communauté riche d’une histoire prestigieuse, d’un patrimoine ancestral, d’une expertise irremplaçable.(1)
Il cite ensuite les causes qui fragilisent l’entente intercommunautaire « La judaïsation rampante de la Palestine, l’implosion de l’Irak du fait américain, auparavant la guerre inter-factionnelle du Liban, l’instrumentalisation de l’Islam à des fins politiques contre le courant nationaliste à l’apogée de la guerre froide soviéto-américaine (1950-1990), la montée en puissance des islamistes en Egypte, les manifestations contre les caricatures de Mahomet (publiées dans des pays « chrétiens »), l’isolement iranien depuis la crise nucléaire ont aggravé la marginalisation de ces minorités au point que cette présence bimillénaire risque d’être balayée par le vent de l’histoire, victime de la radicalisation des crispations transméditerranéennes. René Naba nous parle ensuite d’une façon spécifique entre ceux qui prônent l’altérité et la nécessité de construire l’Etat libanais à l’image de Emile Lahoud ou du général Michel Aoun et ceux tentés par le choc des religions, sensibles au chantre des sirènes de l’Occident qui n’a cessé de s’ingérer depuis Saint Louis « protecteur auto-proclamé » des Maronites, « L’alliance des milices chrétiennes des Forces libanaises avec Israël, l’ennemi officiel du Monde arabe, constituera l’un des points noirs de l’histoire de la chrétienté arabe, et les chefs de cette équipée suicidaire, (...) Le soutien constant manifesté, en dépit de leurs turpitudes, aux Forces libanaises, ordonnateurs de la collaboration avec Israël, par le patriarche Nasrallah Sfeir a valu au chef de l’Eglise maronite le titre désobligeant de « patriarche de la désunion ». (1)
« (...) Du magma libanais, un homme se distinguera, toutefois, à distance : l’exilé de Paris, Raymond Eddé, figure de proue des Chrétiens modérés, l’antithèse des chefs de guerre. En 1975, il se dressera contre la partition du Liban, projet qu’il prêtera à Henry Kissinger, secrétaire d’Etat américain, dont il dénoncera quotidiennement les menées. (...) Protectrice des chrétiens d’Orient, la France a institutionnalisé et instrumentalisé le communautarisme tant au Liban que dans l’ensemble des pays sous son mandat, au mépris du principe de la laïcité et de la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Tous les grands exodes des chrétiens d’Orient auront été consécutifs à des opérations occidentales. Il en a été de la création d’Israël, comme de la guerre civile interlibanaise, comme de l’invasion américaine de l’Irak. Au vu de ce bilan, la conclusion s’imposait sans appel, à savoir que les chrétiens arabes auront toujours été les grands sacrifiés au bénéfice de la stratégie israélo-américaine et qu’il importait désormais que le sort des chrétiens arabes soit scellé dans son ancrage avec son environnement arabe, tant il est vrai que les chrétiens arabes n’ont pas vocation à devenir une diaspora complémentaire des diasporas dans les pays occidentaux, à titre de vestige d’une civilisation perdue.(...) »(1)
Même à Ghaza
Les chrétiens d’Orient, écrit Alain Gresh, ne constituent pas une « ethnie » : rien ne les différencie de leurs compatriotes, ni la langue ni la culture, ni la plupart des traditions. Ils sont une partie intégrante de l’Orient arabe et ils ont contribué de manière importante aux mouvements de renaissance du XIXe siècle, à la création du nationalisme arabe. L’affaiblissement de ce nationalisme, auquel l’Occident a largement contribué, a favorisé l’émergence d’un discours islamiste, aux tendances multiples, qui a amené chaque minorité à s’organiser sur un mode confessionnel (...) »(2)
Pour Hayat Huwaik Atiya, « c’est l’Occident, dit -elle, qui est le générateur historiquement du racisme et du sionisme avec tous les résultats connus et notamment ceux que cet Occident exerce depuis des décades contre le Monde arabe pour saper cette cohésion sociale et religieuse dans le Monde arabe. L’Occident n’a jamais cessé de faire des plans et des luttes géostratégiques pour saper l’unité arabe et la richesse de sa diversité religieuse. (...) En conséquence, Votre Sainteté, sachez que nous - Arabes chrétiens - nous ne sommes une minorité en aucune façon, tout simplement parce que nous étions des Arabes chrétiens avant l’Islam, et que nous sommes toujours des Arabes chrétiens après l’Islam. Nous n’avons besoin d’aucun protectorat occidental. »(3)
Qu’en est-il de l’attitude du Hamas envers les minorités chrétiennes de Palestine ? Michel Sabbah, patriarche mettait en garde contre l’idée trop souvent relayée en Occident d’une hostilité grandissante des sociétés majoritairement musulmanes envers les populations chrétiennes. Lucide, il reconnaissait que certains « incidents individuels entre musulmans et chrétiens peuvent parfois prendre une dimension communautaire » mais tout en ajoutant qu’en « Palestine, cela n’est jamais allé plus loin. Aucun massacre, aucun attentat contre les églises, aucune persécution ouvertement antichrétienne » avant de conclure que « même à Ghaza, les chrétiens sont protégés par le Hamas, souvent présenté comme une organisation terroriste ». Autre illustration de cette harmonie, qui se rappelle aujourd’hui qu’une femme chrétienne avait été nommée maire de Ramallah en 2005 et qu’un député chrétien avait été élu sous la bannière du Hamas lors des élections législatives palestiniennes de janvier 2006 ?(4)
Pour l’histoire, les ingérences occidentales ont de tout temps existé. On situe les premières luttes conte l’Islam au déclenchement des croisades par le pape Urbain II. Pendant près de deux siècles et demi et d’une façon continue, huit croisades eurent lieu.La relève européenne fut reprise par la Reconquista qui bouta hors d’Espagne, sur près d’un siècle, plus d’un million d’Andalous (musulmans et juifs) qui furent accueillis au Maghreb. Après les luttes de l’Empire ottoman, le tournant fut donné par la prise de Constantinople. A partir de cette date, le Monde musulman entame un déclin depuis plus de trois siècles et tout le XIXe siècle vit le dépeçage de l’Empire ottoman : « L’homme malade de l’Europe » selon Bismarck. Toutes les provinces périphériques lui furent arrachées (Bulgarie, Grèce..). En Syrie, un moutassaref chrétien fut imposé au sultan ottoman par les Français et les Anglais pour gérer les affaires des chrétiens après les émeutes de Damas en 1856. Sarkozy en a fait allusion le 8 janvier en présentant ses voeux aux Coptes, et a parlé du rôle exemplaire de l’Emir Abdelkader qui a sauvé d’une mort certaine les chrétiens de Damas au nombre de 10.000.
Cette ingérence de l’Occident se poursuit de nos jours. Nous apprenons que les Evangélistes ne reculent devant rien. On dit qu’ils ont été embarqués sur les chars américains en Irak et qu’ils passaient d’un mourant à un autre pour leur donner l’extrême onction. Tandis que le Synode des Evêques pour le Moyen-Orient se déroulait au Vatican, en octobre 2010, une autre réunion de quelque 4 200 missionnaires évangéliques, préparée par le Comité de l’Evangélisation mondiale, se passait à la même période, à Cape Town, en Afrique du Sud, ayant aussi pour thème cette hystérique « évangélisation du monde », (...) A noter que cette déclaration Michée est issue du Réseau Michée, constitué d’un groupe de plus de 330 organisations chrétiennes actives émanant de 81 pays. Est-il lieu d’ajouter que le budget de l’évangélisation en 2009 comprenait le chiffre de 370 milliards de dollars ?!(5)
Pour mémoire, l’Occident a instrumentalisé indifféremment, au gré de ses intérêts, les Chrétiens d’Orient et les musulmans. Souvenons-nous que les taliban et Ben Laden sont une création des services secrets américains, anglais et pakistanais dans les années 1980 pour détruire l’empire soviétique en Afghanistan. Une analyse lucide nous est donnée par le site du Parti des indigènes de la République. Nous lisons : « Depuis l’intervention franco-britannique au Liban en 1860, destinée à préparer le démantèlement de l’Empire ottoman en 1920, jusqu’à la dernière invasion états-unienne de l’Irak en 2004, l’impérialisme occidental a toujours su poursuivre le même objectif : exploiter voire créer de toutes pièces des problèmes communautaires au Moyen-Orient, utiliser telle communauté contre telle autre, mettre en place des régimes corrompus dictatoriaux empêchant la réalisation de projets rassembleurs et émancipateurs ; le tout devant aboutir à imposer dans la région des mini Etats à base religieuse ou ethnique, à sa dévotion. Ce n’est pas autrement que furent créées l’entité sioniste Israël, pilier colonial et gendarme principal du système régional impérialiste, ainsi que les minimonarchies pétrolières du Golfe. »(6)
Sionisme chrétien
Quelles sont les conséquences des multiples ingérences occidentales et sionistes ?Les chrétiens d’Orient sont considérés par les islamistes, comme « des croisés » au même titre que les Américains auxquels ils sont identifiés. C’est le signal d’alarme qu’avait tiré en 2006 Sa Béatitude le Patriarche Michel Sabbah et d’autres personnalités religieuses. Le programme sioniste chrétien propose une conception du monde dans laquelle l’Evangile s’identifie avec l’idéologie impérialiste, colonialiste et militariste. Dans sa forme la plus extrême, il met l’accent sur des événements eschatologiques qui mènent à la fin de l’histoire plutôt qu’à l’amour et à la justice vivants du Christ. « Nous rejetons catégoriquement les doctrines du sionisme chrétien (...). Nous rejetons encore davantage l’alliance actuelle entre les dirigeants sionistes chrétiens et des organisations dont font partie des membres du gouvernement d’Israël et des Etats-Unis, qui imposent à présent, de manière unilatérale et anticipée, leurs frontières et leur domination sur la Palestine. Nous rejetons les enseignements du sionisme chrétien (...) Ces actes de discrimination transforment la Palestine en ghettos de pauvreté entourés par des implantations exclusivement israéliennes. La construction du Mur de Séparation sur une terre palestinienne confisquée, ébranlent la viabilité de l’Etat palestinien ainsi que la paix et la sécurité de toute la région. (7)
« Pour que la lutte commune contre l’intégrisme puisse être mise en route, écrit René Naba, il importe que la chrétienté d’Orient opère un repositionnement sur son environnement arabe, renonçant à son alignement inconditionnel sur les pays occidentaux, symétriquement à une démarche de l’Islam sunnite, dominant dans le Monde arabe et musulman, de s’appliquer, parallèlement, ses propres préceptes qui firent sa gloire et sa réussite du temps de la conquête arabe, un principe de saine gouvernance dans une société pluraliste, lointaine préfiguration de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, fondement du principe de la laïcité, à savoir : Ad Dine Lillah Wal Watan Li Jamih (La religion relève de Dieu et la Nation appartient à toutes les composantes de sa population) ».
Nous ajouterons que pendant des siècles les Arabes musulmans et les Arabes chrétiens ont vécu d’une façon apaisée jusqu’à la moitié du XIXe siècle. A partir de là les ingérences occidentales ont tout fait pour attiser les tensions.Le XXe siècle un autre acteur s’en mêle pour promouvoir ses intérêts ; ce sont les Etats-Unis, avec dans leur sillage les évangélistes ces sionistes chrétiens qui achètent la foi d’une façon sonnante et trébuchante et jouent ainsi sur les misères comme on le voit dans les pays en développement comme le Maghreb. Roger AKL, Secrétaire général fondateur de l’Institut Tchoba a raison d’écrire que les persécutions actuelles des chrétiens sont dues justement au fait que « les pays, qui le font, sont tous alliés des Etats-Unis, donc d’Israël N’est-il pas étonnant que l’occupation américaine de l’Irak ait résulté dans l’assassinat, l’oppression et la purification ethnique de ses chrétiens, à tel point qu’il n’en reste plus que la moitié ? Veut-on bien se rappeler que la communauté chrétienne d’Iraq était la communauté la plus nombreuse au moment du protectorat anglais sur la Palestine, la Jordanie et l’Irak et que ce sont les Anglais qui ont été les premiers à opprimer les chrétiens irakiens et à les faire émigrer, à tel point qu’ils n’existent presque plus ? (8). Les Arabes chrétiens d’Orient sont des citoyens à part entière dans leur pays respectifs et leur force viendra de leur attachement à leur terre, et de leur identité culturelle qu’ils partagent avec les autres Arabes musulmans d’Orient qui transcendera leur confession. Ceci leur permettra de déjouer toutes les manoeuvres visant à les diviser.
Pr Chems Eddine CHITOUR
Ecole Polytechnique enp-edu.dz