Il y a maintenant plusieurs décennies – et plus spécifiquement à partir des années 1970, pour être précis – que nous assistons à la réinvention constante de la critique et de l’indignation contre la logique socioéconomique dominante. Que cela soit sous l’angle de la justice sociale, de la crise écologique, de la vacuité spirituelle, de la manipulation marchande, etc., la critique a tout essayé sans jamais réellement percer le modèle qu’elle critique. À l’inverse, ce que nous constatons c’est que sous toutes ses formes : du livre à l’article en passant par la conférence au documentaire vidéo, la critique a toujours été instrumentalisée pour devenir, elle-même, un bien de consommation parmi d’autres. À côté de cela, nous ne pouvons pas négliger la critique sous forme d’action ; je pense ici aux manifestations, aux grèves, et aux nombreux mouvements qui sont nés, pour ceux que j’ai à l’esprit, après la crise de 2008. Or, il est important de dire qu’actuellement, nous sommes encore en plein là-dedans ; la crise qui nous touche n’est assurément pas qu’économique ou politique. D’ailleurs, en amont de cette critique et de ces actions, il y a des existences réelles. Il y a la critique de ceux qui ne trouvent pas les mots pour exprimer leur souffrance et qui, par ce manque de moyens, deviennent des spectateurs malheureux d’une réalité qu’ils pensent fatale. Puis, nous ne pouvons pas l’ignorer, il y a le suicide, cette forme de critique qui devient corps avec l’esprit (lorsque ce n’est pas le contraire). Le suicide est alors, souvent, la réponse à un monde dont le sens n’a pas été perçu. Car, c’est évident, pour survivre dans ce monde, il faut avoir un esprit combatif, mais surtout il faut pouvoir s’inventer individuellement un sens à ce combat. Or, il semble que certaines personnes ne comprennent pas le sens de celui-ci ni ne comprennent le sens de cette fatigue que le producteur s’impose à lui-même pour devenir ensuite un bon consommateur.
Toute la question est de savoir si l’on peut véritablement, sans trop se marginaliser, ne pas accepter ce combat. L’autre question qu’on pourrait se poser est celle de la cible ou de la responsabilité ? En effet, contre qui ou contre quoi pouvons-nous nous révolter, nous indigner ? Il y a tellement de raison. Puis, on peut être indigné un jour, deux jours, un mois, deux ans, et après ?... On reste seul, car personne n’a envie de s’infliger longtemps la conscience critique alors que le contexte dans lequel on se trouve tente par tous les moyens d’exciter nos désirs pour qu’on les réalise et pour qu’on rentre volontairement dans la danse des consommateurs.
Cela dit, si l’on veut traiter du terrorisme contemporain, il faut envisager les limites du désir à la consommation. On peut certes se satisfaire de l’objet et de l’apparence, mais pour certains la question du sens et de l’être est trop forte. Ils voient alors dans la critique, une forme désespérée pour exprimer de manière radicale leur cri au monde. C’est ainsi que la folie, l’exclusion, la violence – qui se trouve, je le souligne, en puissance dans nos sociétés - les conduits à construire des actes qui donneront, croient-ils, un sens à leur critique. Dès lors, on peut dire que le suicide et le terrorisme sont très proches ; ils sont des épiphénomènes qui cachent un problème plus grand que l’on ne veut pas voir, car – dans le cas global qui nous concerne – il rapporte du capital au système dont nous sommes entièrement dépendants. Surtout, le terroriste est un peu comme un bouc émissaire ; pendant qu’on le fixe, on ne s’interroge pas soi-même. Il devient alors un divertissement, au sens d’un détournement ou d’une diversion. Il peut également être perçu comme une sorte de projection. On se rassure alors que nous sommes les « gentils », alors qu’ils sont les « méchants ». Ainsi, la seule définition correcte que l’on peut donner au mot ’terrorisme’ c’est le suicide que l’on montre pour dissimuler le meurtre. Pourtant, il faut le redire, ce type de suicide ne doit pas être compris comme un acte isolé, car le terrorisme est un état total inhérent au relativisme et au cynisme de la société de consommation.
Pour conclure, je dirais que combattre le « terrorisme » ce n’est pas combatte contre une cible extérieure, mais bien plutôt se mettre à l’écoute de la critique et percevoir la violence qu’on subit et qu’on fait subir, par notre résiliation ou notre égocentrisme, à ceux qui osent encore croire en d’autres valeurs.
Luca V. B.
Doctorant en philosophie politique et sciences sociales