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Le Nord a-t-il abandonné le climat ?

En préparant la conférence sur le climat à Cancun, les Etats-Unis et l’Union européenne ont exercé des pressions sur des pays du Sud. Voilà ce qu’on peut lire dans un document révélé par le ministre cubain des Affaires Etrangères et qu’il a dévoilé lors de la conférence.

« Lorsqu’il y avait encore de la neige au Mount Everest,
nous étions tous réduits au silence. » Buurman (Chanteur belge)

Ces dernières semaines la communauté internationale s’est réunie à Cancun pour réfléchir sur son avenir commun. Le temps pressait, la planète ne pouvait et ne peut pas se permettre beaucoup plus après la débâcle de Copenhague. Or, le résultat est maigre, trop maigre.

Pourtant, les pays du Sud insistaient d’avance pour atteindre des accords contraignants. Au moment de la réunion, le Venezuela et la Colombie étaient frappés d’importantes inondations. Mais les Etats-Unis et l’Europe s’étaient efforcés pour que la voix du Sud ne fût pas trop entendue. Cela apparaît dans un document auquel s’est référé Bruno Rodrà­guez, ministre des Affaires Etrangères de Cuba. Ce document révèle comment les EU et l’Union européenne ont tout essayé pour faire passer le nommé ’Accord de Copenhague’, moyennant des accords minimaux. Parallèlement, des pays ’récalcitrants’ du Sud, comme le Venezuela, la Bolivie, l’Equateur, Cuba et le Nicaragua, doivent être « neutralisés, cooptés ou marginalisés », en utilisant, par exemple, l’arme de l’aide au développement. D’après le document, Connie Hedegaard, la commissaire européenne pour le climat, remarque sur un ton d’ironie que « l’Europe est un donateur important de ces pays, alors que Cuba, par exemple, essaie d’une manière active de les convaincre de ne pas signer l’Accord ». [1]

Est-ce que l’élite du Nord a toutefois abandonné les efforts pour sauver le climat ? Il semble que ce soit le cas. The Economist, peut-être le magazine le plus influent du monde et porte-parole de l’élite économique, le dit sans détours : « L’action mondiale n’arrêtera pas le changement climatique. Le combat pour limiter le réchauffement global à des niveaux acceptables est donc révolu. » (sic) Il ne faut pas essayer de stopper le réchauffement climatique, il suffit que le monde s’efforce davantage à comprendre comment « il faudra vivre avec ». Le niveau de la mer augmentera peut-être d’une mètre, voir deux mètres. Il faut l’accepter et s’y préparer en construisant des digues, en évacuant des millions de personnes à des endroits à un niveau plus élevé, il faudra réorienter la médecine vers les maladies tropicales, etc. Tant pis pour les pays du Sud : ils seront les plus touchés et disposent de moindres moyens pour y « faire face ». [2]

« Après nous le déluge », en interprétation très littérale. Cependant, ce raisonnement ne tient pas debout du tout. Le réchauffement climatique n’est pas une fatalité inévitable. Il est bien possible, par l’action mondiale, de restreindre le réchauffement climatique à des niveaux acceptables. Cuba montre qu’un développement social élevé peut être combiné avec une empreinte écologique minimale. (Voir Vanbrabant I. & Demuynck K. Cuba, la révolution au cour vert). Mais pour y arriver, il faut faire des choix de taille. Et c’est ça qui gêne. Evidemment, The Economist ne l’avouera jamais, mais ces choix sont impossibles dans le cadre de la logique du profit propre au capitalisme. Comme disait Susan George lors du Forum Social Mondial en 2001 : « Le capitalisme est comme cette fameuse bicyclette qui doit toujours avancer ou tomber et les entreprises sont en concurrence pour voir qui peut pédaler le plus vite avant de s’écraser contre le mur. » [3]

Dans la logique du profit le réchauffement climatique semble être incontournable, mais au sein de ce réchauffement climatique il y a encore moyen de faire du profit. Les entreprises de construction, par exemple, qui construisent des digues ainsi que les compagnies d’assurances pourront faire de belles affaires. Le commerce des droits d’émission offrent également de belles perspectives en termes de profit. Et, sans nul doute, les secteurs de la technologie et de l’énergie verte ont de nombreuses opportunités. La commissaire européenne pour le climat se trouve totalement sur cette longueur d’onde. Dans le passé, elle parlait encore de la « responsabilité morale » et de la « survie de l’humanité ». Récemment elle a changé le fusil d’épaule. « Finalement, ceux qui vont améliorer l’efficience énergétique ainsi que l’innovation, vont épargner plus d’argent. Ceux qui ne le feront pas vont se faire dépasser par les concurrents chinois. » [4] Pédaler donc, à la plus grande vitesse. Le journal boursier The Financial Times observe à cet égard subtilement que les lobbyistes à Cancun ne seront peut-être pas d’accord sur quelques points avec la commissaire européenne, mais « qu’ils doivent, en tout cas, admettre qu’elle essaie au moins de parler leur langue ». [5]

La volonté de survivre est la plus forte motivation humaine. Comment expliquer que la logique du profit soit capable d’éliminer cet instinct ? Comment expliquer que l’opinion publique se fait moins de soucis alors que la situation ne cesse pas de s’aggraver ? [6] Dans son dernier livre, Erich Fromm donne une explication intéressante. Il raconte une expérience bizarre d’Arthur Koestler, philosophe renommé. Un jour, lors de la guerre civile espagnole, cet homme se trouva dans une villa confortable d’un ami. Les dépêches annoncèrent l’arrivée imminente des troupes de Franco. Il ne faisait aucun doute qu’il aurait été tué dès qu’elles seraient arrivées à la maison. Il fallait fuir pour se sauver la vie, mais la nuit était humide et froide, et à la maison il faisait chaud et confortable. C’est la raison pour laquelle il resta à la maison. Il fut arrêté, et il put se féliciter qu’on lui laissa la vie parce que, après quelques semaines, des journalistes sympathisants le défendirent. C’est la même sorte de comportement démontré par des malades qui préfèrent prendre le risque de mourir que de passer un examen médical montrant qu’une intervention importante serait nécessaire. [7]

Espérons que la collectivité humaine soit capable d’activer son instinct de survie à temps. Il n’y a qu’une seule planète.

Marc Vandepitte
http://cubanismo.net/cms/fr/articles/le-nord-t-il-abandonne-le-climat

Notes

[1] Le document qui vient de Wikileaks se trouve sur le réseau : ’US embassy cables : EU mutes criticism of US climate stance’, The Guardian 3/12/2010, http://www.guardian.co.uk/world/us-embassy-cables-documents/249182.

[1] Financial Times 3 décembre 2010, p. 6.

[2] The Economist 27 novembre 2010, p. 79-82.

[3] http://www.tni.org/es/archives/act/1417.

[4] Financial Times 1 décembre 2010, p. 4.

[5] Ibid.

[6] Une récente enquête à grande échelle dans 26 pays montre que la préoccupation n’a pas augmentée, mais au contraire diminuée. L’année passée, 61% des personnes enquêtées disaient encore que le changement climatique était un problème « très important », contre 53% plus tard. Financial Times 3 décembre 2010, p. 6.

[7] Fromm E., To have or to be ?, Londres 1979, p. 20.

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