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Le miracle des emplois « verts » n’aura pas lieu

Dans la rubrique « aménageons le système pour le préserver », les nouveaux emplois « verts » de la révolution écologique rivalisent avec la régulation supposée de la finance dans les discours des institutions. Les Nations Unies, le G20, le Fond Monétaire International, l’Organisation Mondiale du Commerce, le MEDEF ou son équivalent européen BusinessEurope... tous nous assurent que les énergies renouvelables, le véhicule électrique et le recyclage vont générer des centaines de milliers d’emplois de qualité, et, mieux que tout, non délocalisables. L’idée est séduisante, d’autant qu’elle est soutenue à bout de bras par une grande majorité d’écologistes. Ainsi, le programme d’Europe écologie mentionne les « gisements d’emploi massifs dans les énergies renouvelables, le bâtiment, le transport, l’agriculture, l’entretien, la maintenance, la réparation, le recyclage, le commerce de proximité, la recherche et l’innovation ou la protection des écosystèmes ». D’après ce mouvement, il faut également créer des postes « socialement utiles et non délocalisables [dans] l’économie sociale et solidaire » et réduire le temps de travail. L’objectif annoncé : créer 10 millions d’emplois en Europe en 10 ans et diviser par deux le chômage en France « en quelques années ». Qui ne souhaiterait pas partager cet optimisme ? Malheureusement, un examen rationnel de la situation nous montre tout autre chose.

Première idée reçue : les emplois « vert » sont de meilleure qualité que les autres. Faux, nous répond l’organisation américaine Good jobs first. En février 2009, elle publiait un rapport intitulé « La qualité des emplois dans la nouvelle économie verte ». On y apprenait que les salaires moyens pratiqués aux Etats-Unis dans les usines de biens d’équipement destinés aux énergies renouvelables sont inférieurs à ceux versés dans les usines d’autres biens durables. Dans certaines entreprises « vertes », le niveau des salaires est même inférieur à celui qui permet à un adulte seul avec un enfant de vivre décemment. Ce constat est d’autant plus scandaleux que ces entreprises sont soutenues dans des proportions non négligeables avec de l’argent public. Dans une des centrales photovoltaïques étudiée, le montant des aides publiques s’élève à 326 000 dollars par emploi créé !

Deuxième idée reçue : les emplois dans ce secteur ne sont pas délocalisables. Archi-faux, nous disent les statistiques. La Chine n’a pas attendu les appels à la révolution « verte » pour consolider sa position de second exportateur mondial, derrière l’Allemagne. Dès 2007, elle devenait le premier producteur mondial de modules photovoltaïques et fabriquait 56% des composants pour éoliennes vendus sur la planète, dans des conditions sociales et environnementales globalement déplorables. Dans un article instructif, l’hebdomadaire La Vie du 29 avril 2010 décrit le fonctionnement des rares usines chinoises de panneaux solaires qui acceptent d’ouvrir leurs portes aux journalistes : des migrants logés en chambres de six, payés l’équivalent de 100 euros par mois, soudent les cellules et assemblent les panneaux tandis que le terrain vague qui touche l’usine sert de décharge pour les produits toxiques. La recherche du moins-disant social et environnemental a toujours le vent en poupe !

Et ce n’est pas la stratégie dite « de Lisbonne » échafaudée par l’Union européenne pour la recherche et le développement qui changera quoi que ce soit à cette tendance. Selon la propagande libérale, il suffirait d’investir dans la haute technologie pour contrebalancer la désindustrialisation, la crise environnementale constituant une opportunité formidable de se démarquer des pays à bas coût de main d’oeuvre. C’est oublier ou dissimuler deux choses. D’une part, la haute technologie est de mieux en mieux maîtrisée par les pays émergents. L’avantage comparatif des pays développés se réduit comme peau de chagrin au profit notamment de l’Inde et de la Chine. Surtout, les technologies « vertes » utilisent des métaux rares comme le germanium, l’indium, le terbium, ou le lithium... Or, la Chine détient à elle seule 95% des réserves exploitables dans le monde. Elle n’autorise l’accès à ces ressources qu’à des firmes qui acceptent de venir produire... en Chine. En l’état actuel, les politiques de développement des énergies renouvelables sont donc de véritables incitations à délocaliser.

Troisième idée reçue : il reste les emplois de service, par définition non délocalisables, et bien mieux côtés que les emplois industriels. Encore faux répondent, chacun à leur manière, l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et l’Union européenne. D’une part, les emplois à la personne en France (qui couvrent les services à la famille, aux personnes dépendantes et les services de la vie quotidienne) sont des emplois précaires, où le temps de travail moyen est de 12 heures par semaine et où les droits sociaux sont fortement réduits (1). Développer ce type de postes n’a de sens que si les conditions de travail évoluent radicalement, ce que tout le monde oublie de dire. D’autre part, les marchés de service ne sont certes pas délocalisables, mais ils ne favoriseront pas pour autant la relocalisation telle que la conçoivent les écologistes. Ces derniers ont en effet enterré un peu vite la directive « Bolkestein », ressuscitée sous les traits de la directive « Services » adoptée en décembre 2006. Même édulcorée par rapport à son ancêtre, son objectif assumé reste la « libre circulation des services » entre le vingt-sept Etats. Autant dire la concurrence acharnée. Encore un peu de patience et les chantiers de rénovation thermique du Grenelle de l’environnement seront effectués à moindre coût par des salariés bulgares, tirant vers les bas-fonds les conditions de travail dans les pays de l’Ouest.

En résumé, il serait bon que les partis, les syndicats ou les militants ne se laissent pas abuser par des stratégies qui confortent le capitalisme. Celle des emplois « verts », toutes choses égales par ailleurs, est une supercherie, et la marche à suivre pour convertir réellement l’économie est d’une toute autre nature.

Premièrement, il faut détruire le chômage, et non pas chercher à le diviser par deux comme le propose Europe écologie. Il n’y a rien d’irréaliste dans cette idée si nous changeons radicalement d’orientation, en consacrant le droit opposable à l’emploi. Comme l’affirmaient les révolutionnaires du XVIIIème siècle, chaque individu a droit à un travail s’il est valide et à une assistance s’il ne l’est pas. L’Etat doit fournir ce travail si nécessaire et garantir cette assistance. Puisque ce ne sont pas les besoins sociaux à satisfaire qui font défaut, des emplois doivent être massivement financés, notamment le secteur non marchand, en prélevant sur les capitaux et en traquant les niches fiscales.

Dans le même temps, il faut casser le chantage aux délocalisations en stoppant les politiques de libre-échange. Cette mesure est un préalable à toute conversion écologique de l’économie. En effet, comment contrôler démocratiquement une production qui se trouve à l’autre bout de la planète ? Contrairement à ce que laissent croire les écologistes, ce n’est pas seulement la production « propre » qu’il faut relocaliser, mais bien l’ensemble de la production. C’est même en priorité la production « sale » (chimie, métallurgie, mécanique...) qu’il faut ré-implanter localement afin de lui imposer des critères sociaux et environnementaux. Cette « dé-mondialisation » doit s’organiser progressivement : par la mise en place d’un protectionnisme écologique et social, par des mesures de solidarité internationale pour éviter de pénaliser les populations des pays du Sud, par des négociations bilatérales visant à réduire les restrictions en contrepartie d’avancées concrètes en matière de droit du travail et de normes écologiques.

Ces alternatives à la pensée unique pourraient au moins faire l’objet de discussions sérieuses. Mais l’européisme béat et le mondialisme quasi-religieux de l’oligarchie et de certains écologistes les rendent impossibles. Pourtant, si nous attendons que l’Union européenne mette ces sujets sur la table ou que les citoyens du monde, écrasés par une concurrence internationale acharnée, s’en emparent collectivement, nous attendrons encore longtemps. Ces mesures doivent être prises nationalement, quitte à désobéir à l’Union européenne et à sortir de l’OMC. Elles auront un formidable effet d’entraînement sur les mouvements sociaux de nombreux pays, qui verront enfin émerger des politiques de ruptures concrètes sur lesquelles adosser leurs revendications. Elles prouveront que l’Etat et l’internationalisme sont non seulement compatibles, mais tous deux absolument indispensables.

Aurélien BERNIER

Article paru dans le Sarkophage de septembre 2010

(1) Clair et net, OFCE, 28 avril 2008

http://abernier.vefblog.net

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