Ce train de mesures est destiné à accroître la compétitivité de l’économie française plombée par les cotisations sociales, si l’on en croit les chantres du néolibéralisme français.
Plus profond est, par ailleurs, le tournant pris par le président Hollande dans sa reconversion abrupte à la loi de l’offre qui, à ses yeux, conditionne la croissance de la production.
L’idée a été énoncée au cours de sa conférence de presse du 14 janvier dernier dans les termes suivants :
« Le temps est venu de régler le principal problème de la France : sa production. (…) C’est donc sur l’offre qu’il faut agir. Sur l’offre ! Ce n’est pas contradictoire avec la demande. L’offre crée même la demande. »
Michel Santi, économiste français, n’y voit rien de moins qu’une haute trahison des nobles idéaux de la gauche : une observation simple de la conjoncture française aurait pourtant montré que le travail et que l’investissement y sont déficients, non du fait d’un manque de ressources ou de biens produits, mais bien du fait d’une consommation et d’une demande agrégée anémiques (*).
François Hollande s’appuie sur ce que les économistes appellent la loi de Say (ou loi des débouchés), qui énonce que « tout ce qui est produit a vocation à être vendu, et que tout ce qui est vendu donne naissance à des revenus monétaires qui seront dépensés », de sorte qu’« il ne peut y avoir de distorsion durable entre l’offre et la demande » (Alternatives économiques).
La loi de Say, qui fonde la doctrine libérale en économie, peut se résumer à la logique suivante : il suffit de laisser faire ceux qui souhaitent produire, et l’ensemble des mécanismes économiques suivront.
Ce qui fait dire à Michel Santi : « En réalité, cette reconversion abrupte du Président français à la loi de l’offre est surtout époustouflante, car François Hollande conditionne la croissance à la production. En d’autres termes, il part du principe selon lequel la croissance ne repartira que dès lors que les entreprises produiront plus et adopte ainsi les enseignements, pour le moins controversés, de Jean-Baptiste Say (1767-1832) selon lesquels seules l’offre et la production stimulent la croissance. La demande, quant à elle, étant supposée suivre nécessairement…
Ce faisant, François Hollande dépasse sur sa droite les néoclassiques comme John Stuart Mill, qui reconnaissait dans ses Principes d’économie politique qu’il n’était possible de doubler les capacités de production d’un pays qu’en doublant le pouvoir d’achat des consommateurs !
De même que plus tard, Keynes y a vu le principal obstacle à la compréhension des crises contemporaines, marquées selon lui, non par un freinage de l’offre, mais par une insuffisance de la demande.
« On sait pourtant depuis Keynes, qu’une économie peut bel et bien souffrir d’un effondrement généralisé de sa consommation et de son investissement et que la dépense publique n’est nullement en compétition avec la dépense privée. Au contraire, le tassement de la dépense publique conduit nécessairement à une régression de la dépense privée, dans le cadre de crises aiguës comme celle que nous traversons aujourd’hui. Comme Hollande, nombre d’intellectuels français qui se recrutent, y compris au sein de la gauche, voient dans le marché la voie idoine pour l’émancipation.
C’est notamment la thèse défendue par la chercheuse Laurence Fontaine, dans son dernier livre Le marché. Histoire et usages d’une conquête sociale (**). Le marché n’est plus une source d’inégalités, de destruction et de crises à répétition, mais une conquête sociale à encourager. Laurence Fontaine croit en un modèle idéal de marché émancipateur à l’instar de Max Weber, soutenant que « le marché rend libre ».
Le marché est présenté aussi comme un lieu qui permet d’acquérir des droits, un instrument de libération, même s’il souffre de nombreux maux : les fraudes, les monopoles, le pouvoir politique des marchands et l’incapacité à penser le long terme.
Mieux que tout autre observateur, Paul Krugman, prix Nobel d’économie, nous rappelle dans une de ses dernières chroniques hebdomadaires (elles paraissent tous les lundis dans le New York Times) :
« Je prête peu d’attention à François Hollande, le Président de la France, depuis qu’il est devenu clair qu’il n’allait pas rompre avec la politique européenne orthodoxe et destructrice d’austérité. Mais maintenant, il entreprend quelque chose de vraiment scandaleux. Je ne parle pas bien sûr de sa prétendue liaison avec une actrice, qui, même si elle est vraie, n’est ni surprenante (hey, c’est la France), ni inquiétante. Non, ce qui est choquant, c’est son étreinte des doctrines économiques éculées de droite. Il nous revient en mémoire que les difficultés économiques en cours en Europe, ne peuvent pas être attribuées uniquement aux mauvaises idées de la droite. Oui, les dérives aberrantes des conservateurs ont été le moteur de la politique, mais elles ont été rendues possibles et encouragées par de veules et brouillons politiciens de la gauche modérée ».
Et de lui asséner la leçon suivante : « Oh, mon garçon. Toutes les preuves indiquent que la France déborde de ressources productives, à la fois en travail et en capital, qui sont au ralenti parce que la demande est insuffisante ».
Le quotidien l’Humanité ne dit pas autre chose lorsqu’il écrit : « Les propos tenus et les décisions présentées par le président de la République sont largement connotés. Les principales réponses économiques inspirées du Medef sont utilisées depuis au moins trois décennies, sans que la situation du pays ne s’améliore, pire elle s’aggrave. Dans ces conditions, les axes forts du cap politique s’identifient à une orientation libérale. Le terme de social-libéralisme est de plus en plus employé pour qualifier certains partis pris idéologiques. Est-ce un nouveau courant d’idées ou une adaptation, voire une intégration de la social-démocratie au libéralisme ? ».
Ammar Belhimer
(*) Michel Santi, “ Le fossoyeur de la gauche française ”, Marianne, mardi 28 janvier 2014 .(**) Laurence Fontaine. Le marché. Histoire et usages d’une conquête sociale, Nrf essais, Gallimard, 2014.
(***) Paul Krugman, “ Scandal in France ”, New York Times, 16 janvier 2014.