Notre pendule interne rythme le temps qui passe, les aiguilles marquent les rendez-vous de la mémoire. Depuis le massacre à Buziet. Les 66 années qui nous ont précédées ont marqué le caractère immuable de cette mémoire imprescriptible. Acquise, mais jamais totalement immunisé contre les corrosités de l’oubli. Ce souvenir reste aujourd’hui intact, transmis légué, raconté… Il suffit pour en être persuadé de se rendre à Buziet samedi prochain le 17 juillet à partir de 10h30, pour être le témoin du succès que requiert cette manifestation après tant d’années.
Dans notre région en Béarn, 200 Guérilleros opéraient sur trois Maquis situés sur les contreforts des Pyrénées, le Maquis de Pedehourat, le Maquis du Bager D’Arudy, et le Maquis du Col de Marie Blanque.
L’exemple même des chars de la 2ème DB conduit, par des résistants Espagnols qui les premiers sont rentrés dans PARIS occupé et sur lesquels on pouvait lire GUERNICA, TERUEL, MADRID, ALBACETE … ne laisse pas de doute quant à l’importance de l’engagement des Républicains Espagnols dans les combats pour la Libération ; tout oubli de cette réalité serait l’objet d’une cécité intentionnelle de la mémoire officielle.
Héros ils l’ont été, mais une grande et noble modestie les a protégé de toute glorification du souvenir pour une guerre aussi inhumaine et destructrice aux conséquences si désastreuses.
Aussi pour cela ils ont toujours favorisé le retour à la question qui se posait alors pour tous : « ce que j’ai fait est bien moins important que ce pourquoi nous l’avons fait » ? Parce qu’ils aimaient la liberté pour tous et par-dessus tout, qu’ils rêvaient de débarrasser le Monde de la bête immonde, pour qu’enfin ils puissent retourner chez eux, en Andalousie, en Catalogne, en Extremadure, en Aragon… Les célébrations de 1945 ont privé les Républicains Espagnols de « leur » victoire. L’histoire politique de l’Europe et les Etats-Unis a pour la deuxième fois en moins d’une décennie favorisé l’Espagne Franquiste, qui bien au-delà de la guerre mondiale a continué tout au long de son règne à garder intacts tous les principes fascistes qui étaient les siens, accompagnés de son auréole de mort et de son insatiabilité macabre durant 36 années de pouvoir dans une inquiétante et scandaleuse impunité.
L’histoire est ballottée par des contradictions, mais celles des exilés républicains ont cette particularité têtue de continuer à croire en la liberté. Aujourd’hui dans notre société contemporaine, le temps a altéré ce principe mais il retrouvera toute son authenticité quand les jeunes s’en empareront à nouveau.
Julian Martin de Louvie Juzon est décédé à 95 ans. Il était un des initiateurs du maquis de Pedehourat. De cette fraternité de guérilleros « anti-guerre » reste, me semble-t-il ici en Bearn, un seul le dernier survivant de la 10 eme Brigade Des Guérilléros. Cristobal Andrades, 89 ans. Nous nous étions habitué à les voir à Buziet chaque année et avec eux Virgilio Péna, 96 ans et Miguel Martinez 86 ans, deux espagnols républicains. Le premier, l’Andalou Virgilio, après guerre et exil, est envoyé au camp nazi de Buchenwald. Aujourd’hui il semble baigner dans un état de grâce permanent, alerte dans sa tête et dans ses jambes. Un humour décapant et très souvent sinon toujours le dernier mot. Miguel Martinez a mené des opérations de résistance dans la région (du puy de Dôme) pour ensuite rejoindre après la libération de Toulouse le camp de Sers au nord de Pau pour suivre sous les ordres du commandant Santiago Gonzalez, une formation en technique de combat. Pour des missions en Espagne appelées la Réconquista.
L’extraordinaire évasion de trois prisonniers de Franco
Julian était Madrilène et aussi un être singulier. Il doit son arrivée en terre Béarnaise à la chance du hasard. Il est ouvrier boulanger quand il s’engage dans l’armée Républicaine pour défendre la République agressée. Aussi, quand la défaite est consommée, il est trop tard pour fuir avec la « retirade », les soldats Républicains sont regroupés dans un immense stade. Commence alors les exécutions sommaires. Et les emprisonnements tous aussi arbitraires que l’excitation des fascistes espagnols est à son comble. Julian est privé de liberté, mais il a conservé sa vie, sa jeunesse comme sa détermination de ne pas en rester là . C’est alors que commence pour les prisonniers une vie que seule une bonne constitution physique et psychique peut décider du temps à vivre ou de leurs trépas. Volontaire pour les grands travaux du régime Franquiste, ( es barrages…) on le retrouve à construire des fortifications dans les Montagnes qui font face au Béarn. C’est là qu’il décide du sort qu’il doit donner à son existence. Une vie avec de nombreuses années de prison et la mort, tout est possible, ou a contrario pour le pari le plus génial qu’il eut à faire dans sa vie : l’évasion. Julian a constaté que lors de la corvée d’eau il y avait une chance de réaliser cet exploit.
Julian et ses deux compères, après une première tentative qui échoue mais sans alarmer personne, décident de mettre leur plan à exécution. L’évasion la plus « incertaine » est prévue pour le soir même à la tombée de la nuit. Ils savent qu’ils peuvent être tirés comme des lapins mais plus probablement se fracasser contre un rocher après une chute qu’ils ne pourront peut être jamais nous raconter. N’ont-ils pas décidé de s’inventer un avenir plus attractif que celui qui leur est devenu déjà insupportable. C’est en fin de compte la témérité de cette jeunesse, issue - nous pouvons dire - du Frente Popular, qui prend la décision.
Paradoxalement, le danger diminue les risques d’être repris et passé par les armes ; aussi la liberté est à ce prix. Une folie ? Ils en assument les conséquences. Et après-tout le véritable danger n’est-il pas dans les prisons Franquistes ?
C’est un soir de lune pleine, avec des seaux, qu’ils se dirigent vers la source qui est un peu en contre-bas. Ils sont habitués. Un garde surveille d’un oeil exercé mais confiant - il ne s’est jamais imaginé qu’il était possible de s’évader d’un endroit pareil. La pente est rude, parfois même abrupte. Soudain Julian laisse tomber un seau qui aussitôt dévale la pente en prenant de la vitesse, ostia ! vamos a buscarlo !... Spontanément ils se portent tous les trois à son « secours ». Tout leur plan tient sur ce concept : courir comme des dératés « dans un sauve qui peut la vie » si vite que les gardes, le temps de comprendre ce qui se passe, de les appeler, pour les repérer, de fouiller les alentours et de comprendre enfin qu’il leur sera très difficile de les récupérer.... La nuit, la montagne cache ses dangers et les sentiers ne sont pas éclairés. Les trois candidats au « suicide » sont déjà très loin dans la descente.
Ils courent, sautent, tombent, roulent sur le sol se ressaisissent et remettent ça de plus belle. C’est tout juste si leurs pieds touchent terre. Ils volent comme dans le rêve d’Icare fuyant le labyrinthe. Eux aussi ont opté pour des ailes improvisées. C’est une course interminable mais jamais insensée. Ils ne ressentent aucune fatigue. La tension euphorique a crée chez eux l’effet d’une fièvre hallucinatoire qui les a dopé physiquement et maintenu dans un état de rêve permanent. C’est un moment où le rêve se vit comme une situation d’invincibilité.
Vivre le rêve, le consommer encore et encore pour en sortir seulement quand on a pris conscience que l’on a gagné. La course continue, les rares arrêts sont pour se toucher et se dire « pour l’instant tout va bien ». Enfin, après plusieurs heures, Julian et ses camarades atteignent la vallée. Quelques grosses égratignures et bosses sont les marques qui témoignent de la nuit. La jambe de Julian - qu’un éclat d’obus sur le front de la guerre d’agression fasciste en Espagne a failli lui arracher - a tenu le coup. C’est son age - 25 ans - qui fort heureusement l’a épargné.
Les reflets de la lune laissent deviner dans la nuit un effet d’illusion optique : une rivière semble leur barrer le chemin et provoque une bien étrange réaction. Julian pense au pire. Il ne sait pas nager. S’approchant du supposé obstacle, ils constatent leur méprise : c’est une route bitumée recouverte par la rosée du petit matin légèrement effleurée par un rayon de lune. La route leur donne une indication précieuse. Ils sont passés en territoire Français. C’est un véritable exploit qu’ils viennent de réaliser. Au premier village, des autochtones les conduisent au premier poste de police qui sans aucune hésitation les livre aux gendarmes qui, fort de leurs prise, les véhiculèrent jusqu’au camp de concentration de Gurs.
Julian sortit du Camp de Gurs en s’engageant dans les groupes volontaires de travailleurs étrangers. Il exercera comme forestier/ bûcheron en montagne à fabriquer du charbon de bois. Il fut un des initiateurs du Maquis de Guérilleros de Pédehourate. A la fin de la guerre, il continua le dur travail de la montagne.
Ce fut vraiment un jour exceptionnel quand pour la première fois Julian rencontra Marie, une très jolie Béarnaise, alors qu’ils se croisaient sur le pont de Louvie-Juzon… Pour ne plus se quitter.
Les obsèques du guérillero Julian
Le 15 juillet 2010.
L’émotion était sur les visages dans la très nombreuse assemblée réunie sur la place du village de Louvie Juzon puis dans l’église pour rendre un dernier hommage au mari, au père, au grand père… Nombreux sont les amis venus dire au revoir au Guérillero Julian Martin. Sous le porche de l’église, juste avant de franchir le portail, un grand cadre était posé à droite sur le seuil : quatre photos prises pendant les cérémonies de Buziet où Julian aimait se rendre tous les ans avec Marie, accompagnés de leur fille. Julian et ses compagnons, Cristobal qui reste aujourd’hui le dernier guérilléro de la 10ème Brigade, Virgilio l’Andalou le rescapé de Buchenwald, et Miguel celui qui faisait chanter la poudre. Ils ont tous appartenu à ces groupes de combattants de l’ombre.
Le massacre du 17 Juillet 1944 à Buziet
Au petit matin, un commando Nazi venu intentionnellement à Buziet pour immortaliser leur barbarie, firent irruption dans le village et prirent au saut du lit les ouvriers Espagnols qui construisaient la centrale électrique de Buzy. Apres qu’ils eurent fusillé 14 personnes dont 4 françaises, d’autres guérilleros avaient réussi à fuir le village cachés par le maïs.
A la Libération, Cristobal prit en charge « l’appel aux morts » à chaque commémoration et cela sans interruption pendant 63 années. Aujourd’hui, il a passé le relais à Lina qui est la fille de Virgilio l’Andalou, le survivant de Buchenwald. Sur une autre photo placée à l’entrée de église, Miguel le guérillero du Puy de Dôme, l’Espagnol qui savait faire chanter la poudre. Ils étaient là ensemble tous les 4 comme tous les ans à Buziet avant que ne disparaissent le 6éme et le 5éme… Comme le 4éme, Julian, qui sera avec nous Samedi 17 juillet à Buziet très fort dans la pensée. La grande photo plus discrète posée sur un surplomb de pierre sur le côté opposé attire la curiosité des anciens du village. La photo(de l’époque) met en lumière un groupe de 31 guérilleros que certains peuvent identifier. Julian est là , le 5eme du 2eme rang à partir de la gauche. Tout en haut, nous pouvons aussi reconnaître le regretté Francisco Guzman, lieutenant de la 10ème Brigade… ancien Président du mémorial de Buziet et ancien président de l’ ANACR des Pyrénées Atlantiques.
La dernière image forte de cet après-midi caniculaire : Le cercueil de Julian recouvert par les couleurs violet/jaune /rouge du drapeau Républicain Espagnol apporté pour la circonstance par Andrès.
Julian tous les Amis de l’Amicale des Anciens Guérilleros Espagnols En France (FFI) te rendent un profond hommage.
Source : Bellaciao