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Le gel réciproque est le véritable résultat du Sommet Trump-Kim

Les suites du sommet Trump-Kim à Singapour confirment ma première impression sur les pourparlers. Ce à quoi les deux parties se sont engagées, c’est au « gel réciproque » que la Corée du Nord proposait depuis au moins 2015. Les États-Unis mettent fin à leurs manœuvres menaçantes tandis que la Corée du Nord met fin aux essais de missiles et d’armes nucléaires. Les deux parties se sont en outre engagées à poursuivre les pourparlers sur un traité de paix en échange d’un certain degré de désarmement nucléaire.

Sous la pression des faucons, l’administration Trump essaie de faire croire qu’elle a obtenud’autres concessions coréennes. Elle affirme que la Corée du Nord s’est engagée à prendre des mesures « vérifiables et irréversibles ». Elle a tort car c’est faux et seuls les écrits comptent. « La RPDC s’engage à œuvrer à la dénucléarisation complète de la péninsule coréenne », tels sont les mots exacts de l’accord.

En 1970, les États-Unis se sont engagés à procéder à leur propre désarmement nucléaire complet dans le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) :

Article VI - Chacune des signataires duTraité s’engage à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures concrètes concernant la cessation de la course aux armements nucléaires, à une date rapprochée, et le désarmement nucléaire, ainsi que sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace.

Les deux déclarations expriment des objectifs. « Œuvrer pour » et « s’engager à poursuivre les négociations » sont à la fois des expressions intentionnellement vagues et empreintes du même degré de détermination.

La véritable avancée du sommet de Singapour est le « gel réciproque », les États-Unis et la Corée du Nord s’y sont tous deux engagés.

Depuis que la Corée du Nord a testé avec succès un dispositif thermonucléaire et un missile intercontinental, les États-Unis ne peuvent plus lui faire la guerre sans risquer la destruction d’une grande ville américaine. Ils étaient obligés de négocier une nouvelle trêve avec la Corée du Nord qui réduirait le risque d’un conflit nucléaire. Le gel réciproque est la première étape de cette démarche.

La Corée du Nord avait des raisons économiques de se doter d’armes nucléaires. La nécessité d’être toujours prêt à parer à une éventuelle attaque américaine lui coûtait trop cher et était en train de tuer son économie :

Chaque fois que les Etats-Unis et la Corée du Sud lancent leurs très grandes manœuvres, l’armée de conscription nord-coréenne (1,2 million de soldats) doit se mettre en état d’alerte. De grandes manœuvres sont souvent les prémices d’une attaque militaire. Les manœuvres américano-coréennes sont (intentionnellement) organisées pendant la saison de plantation (avril/mai) ou de récolte (août) du riz lorsque la Corée du Nord a besoin de tous ses bras dans ses quelques terres cultivables.

...

Sa dissuasion nucléaire permet à la Corée du Nord de réduire son état de préparation militaire conventionnelle, en particulier pendant toutes les saisons agricoles importantes. Les travailleurs qui étaient soustraits au travail agricole et autre pour des besoins militaires peuvent retourner au travail. C’est maintenant la politique officielle de la Corée du Nord connue sous le nom de ’byungjin’.

La garantie de la fin des manœuvres annuelles des États-Unis permettrait à la Corée du Nord d’abaisser son niveau de défenses conventionnelles sans dépendre des armes nucléaires. Le lien entre les manœuvres américaines et la dissuasion nucléaire que la Corée du Nord fait dans son offre réitérée est direct et logique.

En vertu de cette logique économique, la Corée du Nord a proposé de geler son développement nucléaire si les Etats-Unis et la Corée du Sud gelaient leurs manœuvres à grande échelle. L’administration Obama a rejeté la première offre en février 2015 et une seconde en avril 2016. Le gouvernement chinois s’est alors mis à soutenir activement la notion de « gel réciproque ». Au début de 2017, le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi a expliqué :

Pour désamorcer la crise imminente dans la péninsule, la Chine propose que, dans un premier temps, la RPDC suspende ses activités dans le domaine des missiles et du nucléaire en échange de l’arrêt des exercices à grande échelle entre les États-Unis et la République populaire démocratique de Corée (du sud). Cette suspension réciproque peut nous aider à sortir du dilemme sécuritaire et à ramener les parties à la table de négociation. Nous pourrons alors avancer parallèlement dans la dénucléarisation de la péninsule, d’une part, et la mise en place d’un mécanisme de paix, d’autre part. Ce n’est qu’en répondant aux préoccupations des parties de manière synchronisée et réciproque que nous pourrons trouver une solution viable pour une paix et une stabilité durables dans la péninsule.

Lorsque le président chinois a rendu visite à Trump en avril 2017, il lui a expliqué le concept. Trump a compris et a parlé « d’énorme progrès ». Il avait trouvé un moyen de désamorcer le problème stratégique des bombes et des missiles nord-coréens.

Des négociations secrètes ont eu lieu avec la Chine et la Corée du Nord. En avril, Kim Jong-un a gelé tous les tests en préparation. Après quelques atermoiements, le sommet a eu lieu et la déclaration commune a été signée. Dans sa longue conférence de presse, Trump a expliqué les paramètres du « gel réciproque » :

Les manœuvres coûtent très chers, c’est nous qui payons la plupart d’entre elles, nous faisons venir des bombardiers de Guam, ...

Je sais beaucoup de choses sur les avions, ils coûtent très cher. Et ça ne me plaisait pas. Et ce que j’ai - ce que j’ai dit - et je pense que ces manœuvres sont vraiment une provocation, oui je dois vous dire, Jennifer, que c’est une attitude très provocatrice. Quand je vois la situation, et avec un pays juste à côté, alors si nous pouvons négocier un accord vraiment complet, je pense que c’est mieux que de jouer à la guerre.

...

Nous avons réussi à arrêter les essais de missiles et d’armes nucléaires. Cela fait combien de temps ? Sept mois ? qu’il n’y a pas eu de missile. Pendant sept mois, il n’y a pas eu d’essai nucléaire, il n’y a pas eu d’explosion nucléaire.

...

... il n’y aura plus de tests de missiles et d’armes nucléaires, ils ont fermé leur unique site d’essai…

C’est cela l’accord de « gel réciproque » que la Corée du Nord avait proposé et que la Chine a soutenu. Les Etats-Unis arrêtent les grandes manœuvres « stratégiques » impliquant des bombardiers nucléaires en provenance de Guam, des porte-avions et autres, tandis que la Corée du Nord arrête les essais nucléaires et les missiles. La Corée du Nord a atteint son premier objectif. Elle peut maintenant baisser sa défense miliaire et développer son économie.

La situation est encore quelque peu instable, car les étapes du gel sont réversibles pour les deux parties.

Le « gel réciproque » est, dans l’idée du ministre chinois des affaires étrangères, le point de départ d’une longue série de pourparlers qui pourraient finalement aboutir à un accord de paix et à un certain degré de désarmement nucléaire. Vient ensuite la « la double approche » d’un accord de paix en échange d’un désarmement « de manière synchronisée et réciproque ». Il s’agira d’un processus « pas à pas » qui prendra des années, voire des décennies.

La Corée du Nord restera sous sanctions américaines pour l’instant, mais les dents de la « pression maximale » sont cassées. D’autres pays seront libres de traiter avec la Corée du Nord. Dans sa conférence de presse, Trump en a également parlé :

Dans l’intervalle, les sanctions resteront en vigueur.

...

Les sanctions seront levées lorsque nous serons certains que les armes nucléaires ne sont plus un problème.

...

Le président Xi de la Chine, qui a vraiment fermé cette frontière, peut-être un peu moins au cours des derniers mois, mais c’est OK.

...

... Et je pense que depuis deux mois, la frontière est plus ouverte qu’elle ne l’était lorsque nous avons commencé, mais c’est comme ça, ....

Trump maintiendra les sanctions américaines, mais il est d’accord pour que la Chine ignore au moins certaines d’entre elles. Trump n’insiste plus sur une « pression maximale ». La Russie assouplira également les sanctions, tout comme la Corée du Sud.

Le sommet a été un succès en ce sens qu’il a jeté les bases de la poursuite des discussions. Trump a été plus intelligent qu’Obama. Le rejet par Obama de l’offre de gel a permis à la Corée du Nord d’achever son programme nucléaire. Obama aurait pu empêcher cela. Trump a accepté le concept nord-coréen de « gel réciproque ». Il n’y avait pas d’autre solution viable de sortir du dilemme sécuritaire. De nombreux autres pourparlers suivront et, si tout se passe bien, la paix finira par arriver en Corée et les armes nucléaires « ne seront plus un problème ».

Le sommet est un bon début. Mais L’administration Trump a tort de le présenter comme un accord global.

Le président sud-coréen Moon est également très satisfait des résultats. Cela lui a permis d’écraser l’opposition extrémiste aux élections locales et partielles d’hier.

— -

Maintenant, rions un peu :

Ne manquez pas cet incroyable morceau de propagande qui a été diffusé à la télévision nord-coréenne. Le voyage triomphal du Guide suprême Kim à Singapour où il se promène avant que l’homme d’État ovationné ne discute avec Donald Trump sur un pied d’égalité. La vidéo est présentée par l’incomparable présentateur de télévision Ri Chun Hee. Un chœur de triomphe et de louanges d’une quarantaine de minutes.

Cette vidéo triomphante va mettre en rage ceux qui s’opposaient à ce sommet. A 23h35, on voit Trump saluer un général de la RPDC. Un geste excellent qui a créé une excellente ambiance. Kim Jong-un fait un grand sourire après ça. Mais pour les anti-Trump, ce sera une raison supplémentaire de critiquer le sommet.

La vidéo montre Kim dans un Boeing 747-400 de China Air avec un grand drapeau chinois sur le côté. La Corée du Nord a ses propres avions long courrier et aurait pu faire le voyage dans l’un d’entre eux. Il est hautement symbolique que Kim ait utilisé un avion chinois. Cela montre que c’est la Chine qui l’a amené et ramené. La vidéo insiste bien là-dessus. (L’avion est également plus grand que le Boeing 747-200 de Trump, ce qui permet peut-être de marquer un point supplémentaire).

Autres prises de vues amusantes en rapport avec le sommet : La scène du sommet coupée à la télévision et le sommet style Gangnam.

La photo ci-dessous est aussi amusante. En 2003, la Corée du Nord traitait John Bolton de« racaille » et de « vampire ». Avant de devenir le conseiller à la sécurité nationale de Trump, Bolton soutenait la tenue d’un sommet uniquement parce que cela « réduirait le temps que nous allons perdre dans les négociations ».

Bolton avait tort. Les négociations ont été couronnées de succès. Kim Jong-un l’a battu à plate couture. Il suffit de voir son sourire.

Moon of Alabama

traduction : Dominique Muselet

»» http://www.moonofalabama.org/2018/0...
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