Le Qatar pourquoi ? La question ne semble pas devoir avoir de réponse dans l’immédiat tant du fait de la pertinence de l’accusation portée contre Doha – financement du terrorisme – que de la qualité de l’accusateur, l’Arabie saoudite, financier patenté du terrorisme dit « islamiste ». C’est l’histoire du pyromane qui crie au feu ! Mais ce n’est là qu’un aspect de la crise, car elle ne semble pas aussi simple que l’on veut le faire croire, tant l’enjeu pour l’Arabie saoudite (qui se découvre des postures de leader du Monde arabe) est sérieux qui se positionne en maître à penser des Arabes et des musulmans, tout en se servant en sous-main de la terreur « djihadiste » pour imposer son diktat.
De fait, la « crise du Golfe » se circonscrit au Qatar et à l’Arabie saoudite, les « alliés » de Riyadh n’étant que des comparses. A commencer par l’Egypte devenue, au fil du temps, le jouet du wahhabisme. Gamal Abdel Nasser a dû se retourner dans sa tombe. Grandeur et décadence ! Mais la crise ? Atteinte de folie de grandeur, Doha dérange, c’est indubitable. Le Qatar achète – et se donne les moyens d’acheter – outre le monde, les consciences. Or, quelque part, Doha a marché sur les plates-bandes de l’Arabie saoudite qui n’apprécia pas, alors pas du tout, cette immixtion dans son pré carré : aspiration au leadership régional, soutien et financement des groupes jihadistes, autant de dispositions que les Al-Saoud se réservent. En s’y attaquant, en concurrençant la « suprématie » présumée de Riyadh, Doha a ainsi commis un crime de lèse « puissance régionale ». En fait, au long des deux dernières années, des escarmouches ont opposé les deux pivots des monarchies du Golfe – ils ont rappelé leurs ambassadeurs respectifs à Doha et à Riyadh – qui ont montré au grand jour outre leur inimitié, leur velléité de domination. Dans ce contexte, l’Arabie saoudite n’a pas hésité à exprimer son hégémonie en « créant » en 2015 (sans consulter ses partenaires arabes et musulmans) une « coalition militaire islamique (CMI) » de lutte contre le terrorisme. Ainsi, Riyadh a-t-elle embrigadé manu-militari des pays comme le Pakistan, la Malaisie et l’Indonésie, lesquels sont tombés des nues en apprenant qu’ils font partie d’une « coalition » sortie du néant, de par la seule volonté de l’Arabie saoudite. Or, l’Arabie saoudite à l’origine de l’avènement du « djihadisme » (terrorisme islamiste dont, historiquement, la responsabilité est partagée par Riyadh et les Etats-Unis) veut en même temps en être son « Seif el-Hajjaj » (l’adversaire le plus déterminé du terrorisme).
En fait, on se perd en conjectures face au jeu compliqué et trouble de Riyadh pour assurer son autorité sur les Mondes arabes et musulmans. Mais entre la velléité de puissance et la réalité du terrain, il y a un monde. Ce qu’illustre on ne peut mieux la guerre imposée par l’Arabie saoudite au Yémen. Sur-équipée (avions de chasse, blindés, chars...), l’armée saoudienne n’arrive pas, pourtant, depuis deux ans, à mettre à la raison les milices chiites Houthis, causant en revanche d’effroyables destructions au pays et des milliers de victimes parmi les civils yéménites. Ainsi, n’est pas chef de « coalition » qui veut. Le Qatar finance certes des groupes jihadistes, notamment en Syrie, mais est loin d’arriver au degré de manipulation de cette engeance comme le fait l’Arabie saoudite. Si Washington sait que Doha finance le terrorisme – ainsi, le président états-uniens, Donald Trump a demandé à Doha de cesser « immédiatement » le financement du terrorisme – il sait aussi qu’il en est de même pour l’Arabie saoudite, avec l’accord tacite d’oncle Sam. Les Etats-Unis ne crachent pas sur les pétrodollars saoudiens. Or, le développement et l’expansion de l’intégrisme islamiste dans le monde – et son bras armé le terrorisme djihadiste – est avant tout une oeuvre assidue de l’Arabie saoudite par le biais de la Ligue islamiste mondiale, financée par Riyadh, qui diffuse l’obscurantisme parmi les peuples arabes et musulmans. Il est de fait impossible d’éradiquer le phénomène djihadiste si, dans le même temps, on ne lutte pas – outre son financement – contre le prosélytisme du wahhabisme rétrograde dans le monde. Ainsi, tout en répandant le wahhabisme – négation de l’islam tolérant – l’Arabie saoudite prétend lutter contre ses forfaits : le terrorisme djihadiste. Riyadh joue ainsi un double jeu dangereux qui met en équation le devenir des Mondes arabes et musulmans.
Karim MOHSEN
15 Juin 2017