On connaît les réserves que j’ai exprimées au sujet du Hareng de Bismarck que vient d’écrire Jean-Luc Mélenchon. Non que je ne trouve des qualités, tant dans la forme que dans le fond, à ce livre. Non qu’il ne soit juste. L’ensemble de ce qui y est écrit est d’ailleurs repris, et Mélenchon ne s’en cache pas, à divers auteurs dont il a réalisé une belle synthèse. Ma critique portait bien plus, et je la maintiens, sur l’opportunité de ce livre. Si Mélenchon l’avait écrit au second semestre de 2012 ou en 2013, cet ouvrage aurait eu un réel impact politique. Car, le débat sur le « modèle allemand » a eu lieu en réalité à cette époque, dans la foulée du vote sur le TSCG ou Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l’UEM pour lui donner son nom complet. C’est à ce moment là que fut pris la décision d’arrimer la France à l’Allemagne et non d’ouvrir un débat public avec elle, et sans doute contre elle, sur la question de l’austérité. S’il avait été publié à l’hiver 2012-2013 il y a peu de doutes que ce livre aurait eu un retentissement politique des plus important. Mais, aujourd’hui, nous en sommes à un autre combat. C’est sur la souveraineté que l’on attendait Mélenchon. Je ne reprendrai pas mes critiques, je les ai déjà publiées[2]. Ce qui importe aujourd’hui c’est que ce livre nous donne à voir les tréfonds de bassesse dans lesquels est tombé Henri Weber.
Weber écrit « Jean-Luc Mélenchon file un mauvais coton, celui du nationalisme agressif ». Qui a lu son livre sait fort bien que c’est faux. Mélenchon y salue d’ailleurs la gauche radicale allemande et en particulier Die Linke. On peut regretter qu’il n’aille pas jusqu’à reprendre aussi les positions d’Oskar Lafontaine, qui appelle à dissoudre la zone Euro, mais ceci est un autre débat. L’article d’Henri Weber se continue par une véritable saloperie : « La xénophobie anti-arabe se trouvant de longue date préemptée par le Front national et étant de toute façon incompatible avec la culture et la tradition de la gauche radicale, ce sont les Allemands que Jean-Luc Mélenchon a décidé de cibler, sous couvert d’anti-impérialisme, dans un pamphlet d’une violence inouïe ». Le lien ainsi établi entre la xénophobie et le livre de Mélenchon est indigne et injurieux. Quand il parle de la réunification, il faut qu’Henry Weber se soit crevé les yeux et bouché les oreilles pour ne pas voir ni entendre que celle-ci a été vécue par des très nombreux allemands de l’Est comme une annexion, où on leur refusa les équivalences de diplômes et ou où on les soumit à la houlette de bureaucrates venant d’Allemagne de l’Ouest. Dire cela n’implique pas de dresser le panégyrique de l’ex-RDA. Mais, entre la ferveur de la démocratisation et de la chute du mur, et les années qui suivirent, la population de l’Allemagne de l’Est a payé un bien lourd tribut que tous les chercheurs qui ont été à un moment en poste dans l’ex-RDA on pu mesurer. Il y a là un mensonge évident de Monsieur Weber qui ne voit la réalité qu’à travers les lunettes roses de l’européisme le plus béat. Il est vrai qu’il siège au Parlement de Strasbourg ; cela aide…
Quand le sieur Weber se mêle de faire de l’économie, c’est pour raconter d’énormes sottises. La compétitivité allemande ne vient pas que de l’efficacité germanique. Ach, zette efficacité zi tybique…Non, elle vient de ce que les coûts allemands sont tirés vers le bas par la dévaluation interne des services, et par le recours massifs à une sous-traitance dans des pays à bas coûts salariaux (Slovaquie, Pologne, République Tchèque). Cela, le sieur Weber le sait pertinemment, car, justement, il siège au Parlement européen ou de nombreux rapports ont été écrits sur ces points. Mais il préfère reprendre les ragots les plus éculés…
On sent bien sur d’autres points l’article de commande. Quand il insiste avec l’éléphantine délicatesse qu’on lui connaît sur les accords imposés aux syndicats, et qui sont aujourd’hui en partie remis en cause, c’est pour faire avaler aux travailleurs français l’amère potion de la loi Macron. Quand il insiste sur les concessions – mineures – qui ont été faites par le gouvernement allemand, il cache soigneusement la réalité d’une politique arc-bouté sur l’austérité, qui a imposé à la Grèce comme à d’autres pays des ajustements dramatiques et des politiques mortifères. Le sieur Weber danse sur le cimetière des conquêtes sociales. Ici encore, on devine l’auteur à gages, écrivant sous la dictée de ses maîtres qui ne rêvent que d’appliquer en France la politique de Mme Merkel. Il est vrai que, dans les années 1980, Henri Weber avait produit une étude sur le CNPF, l’ancêtre du MEDEF. Il faut croire qu’il s’est, au fil des années, imprégné de l’idéologie de ceux qu’il avait étudié.
On ne veut pas croire que ce qui a produit cette misérable recension soit la vielle haine interne au mouvement trotskyste dont Weber comme Mélenchon sont issus. Ce serait trop bas, ce serait trop vil. Mais, ce lamentable article a au moins un mérite, celui de nous faire comprendre la différence entre des contradictions au sein du peuple, comme celles qui nous opposent à Jean-Luc Mélenchon, et des contradictions entre le peuple et ses ennemis. Car, n’en doutons pas, Henri Weber a rejoint, et cette article en fait foi, de manière définitive le camp de l’ennemi.
Jacques Sapir