On le sait, grâce à ce blog en particulier, et je remercie Olivier Berruyer de m’héberger provisoirement, mon carnet scientifique, ouvert en septembre 2012 sur Hypotheses.org a donc été suspendu. Je ne puis donc plus installer de notes ni faire des modifications sur les textes publiés. Le communiqué, signé par Marin Dacos directeur d’Open Edition, et installé sur mon carnet dit : « À de nombreuses reprises, l’auteur du carnet y a publié des textes s’inscrivant dans une démarche de tribune politique partisane, déconnectés du contexte académique et scientifique propre à Hypothèses et constituant une condition indispensable pour publier sur la plateforme. »
Prenons ce texte au pied de la lettre. Que me reproche-t-il ? De publier, à côtés de textes qui ont vocation à être publiés ultérieurement dans des revues scientifiques comme par exemple une note du 13 septembre [1] ou un texte de géostratégie publié le 4 septembre [2], ou enfin le texte en anglais du 14 août sur les vices dans les fondations théoriques de l’Euro [3], des textes plus politiques. Cela signifie donc que l’on pourrait séparer ce qui relève de la « science » de ce qui relève de la « politique ». C’est peut-être, et encore, le cas dans les sciences de la nature. Mais, c’est strictement impossible dans les sciences sociales, comme l’économie, la sociologie, l’histoire ou les sciences politiques. On ne peut qu’être étonné par cette prise de position, venant de gens qui avaient la charge d’une plateforme consacrée principalement aux sciences sociales. Cela prouve, du moins en apparence, qu’ils n’en maîtrisent nullement l’épistémologie.
Par ailleurs, j’ai ouvert ce carnet en septembre 2012, et immédiatement j’y ai publié à la fois des textes plus académiques (servant bien souvent de base à des articles scientifiques) mais aussi d’autres textes, plus polémiques, et toujours en lien avec mes propres recherches. Tous ces textes s’inscrivent dans le contexte de mes recherches. De plus, et il faut l’ajouter, de nombreux carnets réagissent eux-aussi à l’actualité. Il est vrai que, dans mes récents textes, j’ai contesté des déclarations ou des décisions d’Emmanuel Macron. Mais, ce dernier est après tout Président de la République. Il est normal qu’on le conteste. Ou bien, alors, cela signifierait-il que le délit de « lèse-majesté » a été rétabli ? [4]
Je conteste donc formellement cette affirmation tout comme cette procédure, dont on peut par ailleurs s’étonner qu’elle survienne maintenant, en 2017. J’aurais compris cette mesure, et je l’ai dit, si mes textes avaient contrevenu au point 10 de la charte d’Open Edition. Mais, un courrier de M. Dacos m’a indiqué que ce n’était pas le cas et que ce n’était pas cela qui m’est reproché.
Ce communiqué apparaît, alors, comme un pur prétexte. Et c’est bien comme cela qu’il a été pris par l’ensemble des personnes qui m’ont apporté leur soutien, qui écrivent tant à M. Darcos qu’à son supérieur hiérarchique M. Beretz. On se souvient du vieil adage « qui veut noyer son chien l’accuse de la rage ». On comprend immédiatement que pour tout auteur, et c’est mon cas, qui estime que la recherche ne se fait pas dans les limbes, les travaux scientifiques conduisent nécessairement à prendre parti dans l’agora électronique, ce que j’ai fait d’ailleurs dès l’ouverture du carnet en septembre 2012. Nous sommes donc, à tout le moins, devant une mesure arbitraire. Alors, peut-être est-ce tout simplement le succès du carnet Russeurope qui m’attire les foudres de Marin Dacos et d’Open Edition. Et il est vrai que Russeurope a connu un développement auquel je ne m’attendais sincèrement pas quand je l’ai créé. Le nombre de connexions mensuelles, tout comme le nombre de visiteurs, a atteint des chiffres étonnants. On peut penser que ce qui aurait été toléré pour un carnet connaissant moins de 30 000 connexions par mois était devenu insupportable pour un carnet connaissant plus de 200 000 connexions mensuelles, avec des pics à plus de 350 000. Ainsi, la note postée sur RussEurope le 22 septembre 2012 n’est nullement différente ni dans son ton ni dans son contenu, de ce que j’ai publié cette année[5]. Mais, clairement, une note publiée sur un carnet qui, à l’époque, avait environ 25 000 connexions/mois gène moins que ce qui est publié sur un carnet à plus de 200 000 connexions/mois. Et ce d’autant plus qu’il était de notoriété publique que les articles et notes de Russeurope étaient repris sur d’autres blogs, que ce soit en France, en Belgique, en Italie ou dans d’autres pays.
Il faut ici revenir sur un autre point dérangeant dans la démarche d’Open Edition. Car, c’est bien là que git le problème. Tous les articles cités datent de 2017, et de la période dite de « campagne présidentielle ». Or, il faut rappeler qu’en 2017 M. Marin Dacos est devenu « Conseiller scientifique pour la science ouverte auprès d’Alain Beretz, Directeur général de la recherche et de l’innovation au Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation ». Ceci correspond à une position officielle. Elle est, d’ailleurs, de nature à induire un conflit d’intérêts avec sa position de directeur d’Open Edition qui, par définition, est une plate-forme ouverte à toutes les opinions. Elle pourrait fonder à penser qu’il y a là la source réelle de la mesure qui me frappe. Ce qui me serait en ce cas reproché n’est point tant le fait de publier des textes politiques, ou s’inscrivant dans une lecture du politique découlant de recherches scientifiques, mais bien les opinions de ces textes. Nous serions donc en présence, si cette hypothèse était vérifiée, un véritable procès d’opinion, chose que l’on croyait bannie dans un pays se disant démocratique.
On découvre donc où sont tombés la démocratie, et les pratiques démocratiques, en France. L’éviction du Nouvel Observateur d’Aude Lancelin il y a quelques mois, indiquait bien que des pratiques plus que malsaines étaient en train de se répandre. Car, on reprochait moins à Aude Lancelin ses articles que le fait, de notoriété publique, qu’elle soit la compagne de l’économiste contestataire Frédéric Lordon. Aujourd’hui, 1er octobre 2017, on voit le gouvernement espagnol envoyer la police et les forces para-militaires, images scandaleuses et révoltantes, pour empêcher la tenue du référendum sur l’indépendance en Catalogne. On bâillonne ici, on réprime là-bas. Si le Prince Hamlet sortait aujourd’hui de sa tombe il pourrait dire qu’il y a décidément quelque chose de pourri dans le royaume de France et dans celui d’Espagne...
[1] https://russeurope.hypotheses.org/6280
[2] https://russeurope.hypotheses.org/6256
[3] https://russeurope.hypotheses.org/6215
[4] Voir la note « Emmanuel Macron et la laïcité », dernière note publiée le 25 septembre. https://russeurope.hypotheses.org/6300
[5] https://russeurope.hypotheses.org/113
Voir aussi : Russeurope en exil (forcé), par Jacques Sapir