Des centaines de procès pour crimes contre les Droits de l’Homme à travers le monde, aucun contre Fidel Castro : pourquoi ?
La mort de Fidel Castro a offert l’occasion aux médias dominants du système de montrer la richesse de leur arsenal technique qui compte, entre autres, l’omission, la tergiversation, le mensonge et la calomnie.
Concernant Castro, l’accusation la plus fréquemment entendue fut qu’il avait instauré à Cuba une dictature impitoyable. Le « régime » cubain était coupable à 100 % des pires crimes contre sa population, soumise encore de nos jours à une surveillance implacable.
Toute dictature féroce utilise un ensemble de mesures de contrôle dans les domaines primordiaux de la vie d’un pays. Domaine militaire, mais pas seulement, car le contrôle s’étend à toutes les institutions : l’économie, les communications, l’éducation, la justice, etc. Ainsi tous les aspects de la vie courante sont maintenus sous la férule du pouvoir.
Les procès contre les dictatures
Dans les années 70 – 80 des dictatures couvraient pratiquement tous les sous-continents d’Amérique Centrale et du Sud. Depuis, la démocratie a été reconquise pays après pays grâce à la lutte persistante de chaque peuple. Cependant, bien que le droit de vote ait été récupéré, certains secteurs de la société restent encore sous la coupe des pouvoirs de fait, notamment l’économie. Les analyses de différentes réalités montrent que les derniers remparts des pouvoirs réactionnaires sont, dans l’ordre, les moyens de communication appartenant aux grands groupes de presse, et les armées. Mais c’est dans le secteur de la justice que les démocrates ont pu ouvrir les premières brèches dans le pouvoir totalitaire des dictatures, même avant que les premières élections ne soient effectives. Ainsi, même si, en général, les juges en place avaient été nommés par des dictateurs illégitimes, craignant pour leurs carrières dans le futur démocratique du pays, ils n’ont pas hésité à ester en justice pour des crimes de lèse humanité imprescriptibles, contre les anciens tyrans et leurs sbires. Une manière de se racheter, même si toute la profession n’est pas un ensemble monolithique.
En effet, les familles de victimes n’ont jamais abandonné la lutte pour que la vérité sorte et que les crimes commis contre leurs proches soient jugés. Car dans tous les crimes accomplis par ces dictatures (disparitions de personnes, vols d’enfants, viols, effroyables tortures, etc.), la vérité est toujours occultée par les génocidaires au moyen de pactes de silence. Néanmoins, la connaissance de faits réels est une condition préalable à l’application de la justice. L’action emblématique qui a fait avancer la jurisprudence, a été l’arrestation de Pinochet à Londres en 1998, dans le cadre d’une demande de la justice espagnole pour des crimes contre les Droits de l’Homme commis au Chili.
La jurisprudence internationale a, à cette occasion, évolué à pas de géant, incorporant la notion de justice universelle qui permet désormais à des nations de juger des crimes pour lèse humanité commis dans d’autres pays que le leur. Même si Pinochet a été libéré grâce à des ruses et la complicité de politiciens et de médecins anglais, les procédures se sont multipliées à travers le monde, d’une part parce que ces crimes sont imprescriptibles et de nature universelle, d’autre part parce que tout tribunal pénal se voit dans l’obligation d’enquêter sur ces crimes quel que soit le lieu où ils ont été commis. Ainsi la lutte contre l’impunité s’est renforcée et on a vu se multiplier des procès pour des crimes contre l’humanité lors desquels les familles des victimes et les survivants sont venus déclarer sous serment dans les prétoires.
Par exemple, des Espagnols résidant en Argentine ont ouvert un procès contre les crimes commis dans les années 70 par la dictature de Franco, disparu il y a 40 ans (1). Une plainte contre trois juges israéliens pour des crimes de guerre et de lèse humanité vient d’être déposée auprès d’un tribunal de Santiago du Chili (2).
Concernant les crimes perpétrés par les dictatures latino-américaines, des procès, en-dehors de ceux qui se tiennent dans les pays des sous continents américain du sud et central, ont lieu un peu partout dans le monde : en Espagne, Angleterre, Italie, France, et même aux États-Unis.
En Espagne, en 2003, contre le tortionnaire argentin A. Scilingo, condamné à 640 ans de prison. En Italie, en 2011, contre A. Podlech, ex-juge sous Pinochet, acquitté pour des raisons techniques. Aux E.U., en 2016, contre l’ex-officier P. Barrientos accusé d’avoir torturé et tué le chanteur Victor Jara, condamné à payer 28 millions de dollars à la famille. Et en France, en 2010, contre les responsables de la disparition de cinq ressortissants français au Chili. Durant ce dernier procès, la Cour a vu défiler dans la salle d’audience des prêtres, des conseillers politiques d’Allende, des médecins, des syndicalistes, des journalistes, des responsables politiques, de simples militants mais surtout, les épouses, les enfants, les frères, venus témoigner en mémoire de chacun de leurs chers morts ou disparus. Chaque participant savait pertinemment qu’un faux témoignage au tribunal, délit de parjure, peut coûter très cher : cinq ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende d’après le code pénal. Pinochet, déjà mort en 2006, et ses complices ayant refusé de se présenter devant le tribunal, ont été condamnés dans un jugement par contumace de 15 ans de réclusion à la réclusion à perpétuité (3).
La campagne contre Cuba
En France, au cours de l’année 2014, l’association « Regarde ! » a organisé dans un foyer de Massy (Essonne) une exposition photographique d’anciens résidents, réfugiés politiques latino-américains. Parmi les photos, le portrait d’une cubaine qui soutenait que son mari avait « disparu » d’un hôpital de La Havane. Soupçonné de se prêter à des manipulations et campagnes anti-cubaines, le responsable de l’association, proche des socialistes, a soutenu le droit de toutes les « victimes » des régimes totalitaires à dénoncer les abus. D’accord, mais dans ce cas, pourquoi ne pas aller devant un tribunal ? Surtout pour la disparition d’une personne. La question est restée sans réponse. En fait, cette association, comme toute la presse systémique en France, s’est prêtée sciemment à une campagne purement rhétorique sans prise sur la réalité.
Même Amnesty International (A.I.), pas tellement proche du « régime » cubain, il faut le reconnaître, s’est avouée incapable d’établir des listes de prisonniers politiques, car les personnes arrêtées séjournent dans les prisons et commissariats moins de deux heures en moyenne (4). On est loin d’une dictature cruelle et sanguinaire. En outre, au cours de vérifications d’identité les autorités cubaines ont pu dépister des journalistes étrangers non accrédités et des diplomates participant illégalement à des manifestations. Mais jamais un journaliste étranger accrédité, et pourtant ils sont des centaines, n’a été molesté ou empêché d’exercer son métier dans l’île. En revanche plusieurs années de suite les rapports annuels de A.I. font mention de morts « aux mains de la police », lors de contrôle d’identité en France (5).
Un des arguments préférés des agents de la récente campagne médiatique anti-cubaine est l’existence d’une importante communauté cubaine exilée en Floride. Il est vrai que certains procès pour des crimes contre l’Humanité concernent des exilés cubains demeurant à Miami. Mais ils sont cités en tant que criminels et mercenaires, et non en tant que victimes. Ces cubains de Miami, organisés par la CIA, après avoir échoué dans la tentative d’’invasion de l’île dans la Baie des Cochons en 1961, se sont lancés dans des attaques terroristes ciblant essentiellement les Cubains à Cuba et à l’étranger, mais pas seulement. Ainsi le pire attentat terroriste perpétré dans les rues de Washington, à Sheridan Circle, situé à moins d’un kilomètre de la Maison Blanche, a été commis par trois opposants au « régime castriste » pour le compte d’Augusto Pinochet. José Suarez, Virgilio Paz et Ignacio Novo ont en septembre 1976 actionné une bombe à distance qui a arraché les jambes et tué Orlando Letelier ainsi que sa secrétaire américaine Ronni Moffitt (6).
Letelier fut le dernier ministre de la Défense d’Allende. Ancien ambassadeur aux E.U., il était devenu dangereux pour la dictature de Pinochet. C’est ainsi que, dans le cadre de l’Opération Condor, accord secret des dictatures latino-américaines pour éliminer toute opposition à l’intérieur et partout dans le monde, des Cubains anti-castristes ont, pour des raisons idéologiques et financières, participé à ces crimes. Par exemple, deux diplomates cubains ont été enlevés et ont disparu à Buenos Aires en 1976. Leurs corps ont été retrouvés dans les années 2012 et 2013, ensevelis dans des tambours remplis de ciment dans une localité au nord de la capitale argentine (7). Cependant, le pire crime contre Cuba a été le premier attentat dans l’histoire commis par l’explosion d’une bombe dans un avion civil en plein vol, en octobre 1976 au dessus de la Barbade. Son auteur, Luis Posada Carriles, exilé cubain, coule des jours paisibles à Miami malgré les demandes répétées d’extradition de la justice vénézuélienne (8). Ainsi, on comprend mieux les réactions de joie, à la mort de Fidel Castro, de certaines couches de l’exil cubain de Miami.
Grâce aux procès intentés par les familles des victimes et par les survivants aux dictatures en A.L., des noms, des prénoms, des dates, des lieux, des indices, des témoignages, bref des preuves tangibles et des données indispensables aux juges pour faire passer la justice, ont été collectés pour donner du crédit aux faits. Faits qui dans le cas de Cuba n’existent que dans les rédactions des médias hégémoniques et notamment en période de campagnes comme celle à laquelle nous avons assisté après le décès de Fidel Castro où on a pu lire que la « dictature castriste » continuait, de nos jours, à violer gravement les droits de l’homme. En revanche, aucun journaliste ni grand reporter ne s’est déclaré prêt à aller témoigner devant un juge au risque d’être poursuivi pour parjure. De même, tous les articles et reportages écrits ou filmés faisant partie des campagnes anti-cubaines ne constituent des pièces suffisantes pour entamer des procédures devant des cours qui, elles, exigent quelque chose de plus que des paroles. Le manque de déontologie de ces journalistes peu scrupuleux, répondant à des intérêts idéologiques inavouables, leur bloque l’entrée des palais de justice.
En conséquence, des centaines de procès pour atteinte aux Droits de l’Homme sont en cours à travers le monde, mais aucun d’eux ne concerne Fidel Castro ou les autorités cubaines.
J.C. Cartagena et Nadine Briatte