Le postulat de l’action intelligente : de la méthode et du temps
Il est méthodologiquement admis qu’aucune action efficiente ne peut être apportée par l’homme, comme réponse opportune, aux problèmes auxquels il est confronté, que par une réflexion intelligente inscrite dans la durée. Le postulat de l’action intelligente suppose un effort dans le temps et par la méthode pour transformer les problèmes en des études de CAS afin de faire émerger la reliance propre à l’intelligence. L’action s’inscrit comme couronnement d’une réflexion porteuse de connaissance par ses succès ou par ses expériences.
C’est d’ailleurs ce que nous apprend l’économie de la connaissance : la connaissance ne peut être produite que là où on prend le temps d’agir avec attention. Un enseignement rassurant, matérialisé par l’équation dite flux de la connaissance : φ(k) ∝ At. Nous faisons l’hypothèse fortement probable que « l’action avec attention » ne peut être, dans ce contexte, que l’action guidée par la réflexion intelligente et la méthode.
Ainsi, une pensée intelligente sera toujours plus efficace que mille actions improductives. Et parmi les milles raisons possibles pour défendre un tel choix de la raison contre la précipitation, on en retiendra deux. La première est que la pensée intelligente apporte toujours un éclairage qui permet de connaitre les causes. Aristote disait que sans connaitre les causes, on ne peut connaitre le vrai. Or, connaitre les causes, c’est d’abord, circonscrire le contexte problématique sur lequel on veut agir ; pour ensuite dégager les éléments structurants capables d’identifier les parties prenantes agissant comme acteurs porteurs de stratégies. La seconde est que sans reliance, sans intelligence, sans inscription dans une finalité, sans expérience éprouvée par le temps, aucune transmission ne peut passer la promesse des fleurs pour devenir appropriation et conduire à la transformation. Or sans contextualisation et appropriation, sans transformation profonde, toutes les actions du monde n’apporteront que frustrations et déception. Car, en habituant l’esprit à se hâter pour agir sans reliance, on finit par rendre les acteurs impatients et on construit le mythe des problèmes insolubles qui induit impuissance et découragement face aux premiers échecs.
La méthode, la rigueur et le temps restent donc des facteurs de performance que nulle expertise ne peut prétendre assurer la quadrature par des raccourcis. On voit bien émerger dans une reliance structurante les thématiques dominantes de cette causalité (étude de CAS) recherchée pour l’action intelligente :
• Le Contexte pour répondre au Quoi, Quand, et Où ;
• Les Acteurs pour identifier Qui ;
• Et la Stratégie pour savoir Comment et pour quelle finalité.
L’urgence comme raccourci de l’impensé et matrice de l’indigence
Au regard de cette reliance, on peut comprendre facilement l’indigence dans laquelle Haïti sombre. Et ce, malgré une grande disponibilité du savoir gravitant autour de l’expertise locale et internationale ; et ce, malgré d’immenses opportunités de financement mobilisées par les projets de renforcement institutionnel portés par les ONG et les agences internationales.
Objectivement, le drame haïtien s’explique en partie parce que le pays n’est ni pensé avec méthode, ni pensé par les Haïtiens, ni pensé dans l’intérêt des Haïtiens. De sorte qu’un immense impensé structurel s’installe au niveau du leadership national haïtien et conduit à ce vide de l’intelligence qui résonne d’impuissance collective et de médiocrité.
Sous l’effet d’une pesante inertie, qui déforme l’espace et le temps, la pensée s’oriente vers des raccourcis et des simplicités où l’invariant et l’insignifiant prédominent. Subjugués par l’urgence, pétris de superficialité de nombreux Haïtiens, au parcours académique impressionnant par les titres et les diplômes cumulés, préfèrent s’installer dans le confort et la certitude de petites actions médiocres, précipitées et insignifiantes, plutôt que de s’engager dans de véritables efforts turbulents de réflexion projetés sur le long terme.
L’impensé stratégique haïtien s’explique par un grand paradoxe : l’expertise à son chevet cherche constamment à prendre des raccourcis sur la méthode et le temps pour résoudre les urgences ; installant l’esprit dans une simplicité qui tend vers l’impatience et l’impuissance. Ce qui contribue à structurer l’indigence
Affaiblir le leadership national pour rester maitre du jeu
Ainsi, bousculée par l’urgence, Haïti ne se donne plus ou n’a plus le temps pour penser ses stratégies de développement durablement et de manière performante. Logiquement, des acteurs de l’ombre, toujours à l’affut de nouveaux échiquiers pour construire leur stratégie géopolitique, tels des charognards en quête de pourriture, le font avec plaisir et avec un rare cynisme sur fond de chaos et de détresse
D’abord, pour nous humilier et nous punir pour l’audace de courage et de liberté de nos ancêtres, nos bourreaux locaux et internationaux, guidés par une même haine de l’Haïtien, se sont arrangés pour donner le pouvoir à des affreux et des mécréants qui sont à leur service. Ils les choisissent aussi vils, aussi sombres que possible pour mieux les contraindre et pour empêcher tout sursaut de dignité et de fierté de leur part. Ils les sélectionnent dans la liste innombrable de ceux et celles dont les lourds passifs empêchent toujours de résister aux ordres infamants. Transfiguré, dénaturé, affaibli, perverti, le leadership national n’est plus qu’un dealership au service de sa survie. Si d’aventure, le peuple s’unisse et choisisse sa voie, ils s’arrogent le droit de récuser le choix du peuple par les coups d’État et par la déstabilisation, puisque ce sont eux qui contrôlent tout à la fois le pouvoir économique et le pouvoir diplomatique.
Ce serait heureux pour Haïti s’ils s’arrêtaient là. Mais, pour infirmer les luttes nationales pour la dignité, sans user de grandes violences autres que les contraintes économiques, ils façonnent aussi l’opposition pour qu’elle soit la moins crédible possible, condamnant ainsi la population à toujours choisir entre le pire et le moins pire, entre la peste et le choléra.
Ainsi, ils se sont arrangés pour que le dossier de la dilapidation des fonds PetroCaribe, soit porté sur les fronts médiatiques qu’ils contrôlent et instruisent :
• Au sénat par ceux qui ont de lourds passifs politiques et judiciaires ;
• Dans la société civile par ceux et celles qui sont à leur service ou qui sont sans grande conviction idéologique et dépourvus de toute conscience politique.
Éroder la pensée pour qu’elle devienne futile
Et même là encore, pour les stratèges du chaos qui pensent pour Haïti, ce n’est toujours pas assez. Car il faut surtout empêcher à la pensée de produire. Il faut la priver d’oxygène pour qu’elle ne puisse point créer de la reliance et conduire à l’action intelligente. Il faut la soumettre et la brider, pour qu’elle ne se radicalise point dans sa quête de valeurs et de sens et de drive vers la dissidence et la révolte. Il faut alors l’éroder pour qu’elle ne soit que publicité et marketing au service du système dominant.
Ainsi, que ce soit sur le plan professionnel, technique, médiatique, politique, technologique, culturel, ce sont les plus souples, les plus dociles, les plus conciliants, les plus neutres, les plus inconsistants, les plus insignifiants, les moins rigoureux, les plus achetables, les plus dépourvus de cohérence qui sont financés, promus, subventionnés, plébiscités et médiatisés.
En même temps qu’ils s’acharnent à décrédibiliser le leadership national, ils font tout pour donner l’illusion d’une dynamique sociale normale. Mais, manifestement, ce sera toujours sans valeur ajoutée et même au rabais et à valeur diminuée. C’est le double standard maintenu par le biais d’élections (toujours précipitées et truquées), par l’existence des oppositions (toujours contrôlées et subventionnées), par la divulgation des idées (toujours simplistes et sans reliance), par le financement de projets (toujours insignifiants et bâclés dans le temps) et par la promotion d’acteurs (toujours affreux et en déficit d’éthique).
Nourrir la résistance par la reliance des divergences structurantes
Face à cette guerre larvée et permanente sur tous les fronts, la résistance nationale doit s’organiser dans une volonté de reliance pour nourrir les divergences structurantes. Elle doit promouvoir ses idées afin de concurrencer la neutralité, la simplicité et la médiocrité dominantes. A défaut de moyens financiers, nous avons la matière grise et la technologie disponible pour mener cette guerre et la gagner. Car la pensée soumise, simpliste et médiocre même multinationalement financée ne peut pas concurrencer la pensée critique, complexe et éthique sur le terrain des idées et de l’engagement.
Alors, il faut structurer ce Réseau Intègre de Citoyens Haïtiens Engagés et Solidaires pour que, même minoritaires et financièrement dépourvus, ses membres, RICHES de solidarité, d’éthique, de dignité, de courage et d’intelligence, puissent imprimer au leadership national un nouvel élan pour forger le mental de la nouvelle génération en lui léguant comme héritage et comme transmission intergénérationnelle le sens du sacrifice de soi pur des valeurs nobles capables de faire triompher la dignité du collectif. La prise de conscience étant le premier pas vers la régénération éthique.
Voici la seule urgence à laquelle il faut se soumettre et encore avec méthode et en se donnant du temps pour éviter les pièges des convergences aliénantes et des précipitations indigentes.
Erno Renoncourt