Quand George W. Bush a été élu, il a décrété que l’allégement fiscal en faveur des riches constituerait le remède à tous les maux : en dynamisant l’économie, tout le monde en profiterait. Cette politique est devenue à la mode en Europe et ailleurs, mais elle a échoué. Les baisses d’impôt étaient censées stimuler l’épargne ? L’épargne des ménages américains est tombée à zéro. Elles étaient censées stimuler l’emploi ? Le taux des actifs est inférieur à celui des années 1990. S’il y a eu croissance, elle n’a profité qu’aux mieux nantis.
La productivité a, certes, progressé mais cela n’a rien eu à voir avec les innovations financières de Wall Street. Les produits financiers créés n’ont pas géré les risques, ils les ont augmenté. Ils étaient si opaques et complexes que ni Wall Street ni les agences de notation ne pouvaient les évaluer correctement. Dans le même temps, le secteur financier n’a pas su créer des produits capables d’aider les ménages à gérer les risques liés à l’accession à la propriété immobilière. Des millions d’Américains vont sans doute perdre leur maison et, avec elles, les économies d’une vie.
De même, au coeur du succès de l’Amérique figure la technologie, symbolisée par la Silicon Valley. Ironie de l’histoire, les scientifiques à l’origine des avancées qui ont permis une croissance fondée sur les nouvelles technologies et les compagnies de capital-risque qui les ont financées n’ont pas été ceux qui ont touché le plus de dividendes de leurs efforts durant l’âge d’or de la bulle immobilière. Ces vrais investissements ont été occultés par les jeux des acteurs des marchés financiers.
Le monde doit repenser les sources de la croissance et en tirer les leçons fiscales. Pourquoi les spéculateurs qui s’enrichissent au casino de Wall Street seraient-ils moins taxés que ceux qui gagnent leur vie autrement ? Les plus-values devraient être taxées au moins autant que les autres revenus.
Etant donné l’immense augmentation des inégalités dans la plupart des pays, il semble cohérent de taxer plus lourdement ceux qui ont réussi afin d’aider les laissés-pour-compte de la mondialisation et des changements technologiques. Cela pourrait limiter les tensions dues à la flambée des prix des produits alimentaires et de l’énergie. Ceux qui, comme les Etats-Unis, disposent de programmes d’aide alimentaire, doivent absolument les augmenter afin de protéger les normes nutritionnelles. Et les pays qui n’en ont pas devraient songer à mettre en place de tels programmes.
S’il faut promouvoir les sources d’énergie renouvelable, il faut en exclure celles qui altèrent l’offre de nourriture. Les subventions américaines à l’éthanol, à base de maïs, profitent plus aux producteurs d’éthanol qu’à la lutte contre le réchauffement climatique. Les énormes subventions agricoles aux Etats-Unis et dans l’Union européenne ont affaibli l’agriculture dans le monde en développement. L’aide au développement consacrée à l’agriculture est passée d’un maximum de 17 % de l’aide totale à ... 3 % aujourd’hui. Et certains donateurs exigent que les subventions aux engrais soient supprimées, ce qui rend la concurrence encore plus difficile pour les agriculteurs à court d’argent.
Réduire, voire éliminer, les politiques agricoles et énergétiques erronées, et aider les pays les plus pauvres à améliorer leurs capacités à produire de la nourriture n’est qu’un début : nous avons traité nos ressources les plus précieuses, l’air et l’eau propre, comme si elles étaient gratuites. Seuls de nouveaux schémas de consommation et de production pourront résoudre ce problème de ressources des plus fondamentaux.
JOSEPH E. STIGLITZ, prix Nobel d’économie en 2001, est professeur à l’université de Columbia.