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La jeunesse contre le vieux monde

photo AFP

Le vieux monde n’en finit pas de s’accrocher à ses vieilles lunes, celles qui ont fait un temps sa fortune mais le poussent désormais vers un abîme insondable. Le vieux monde ici désigné est celui qui croit mordicus que son avenir réside toujours dans les feux ardents d’une Croissance infinie quand la plupart des ressources disponibles sont finies. Il s’agit du monde des « pays avancés », celui des économistes orthodoxes qui ne jurent que par l’extension des marchés pour l’avènement prochain du Marché total quel qu’en soit le coût social et environnemental. C’est aussi celui de tous ceux qui suivent aveuglément cette dévorante folie. Malgré les nombreuses et pertinentes dénonciations de ce monde sans cesse maladroitement ripoliné les inégalités sociales criantes y persistent ou y prospèrent. De COP en COP le péril climatique grandit. Cependant, 2019 pourrait marquer un tournant : voilà que la jeunesse semble vouloir se dresser contre l’incurie générale. Une poussée inattendue mais probablement pas sporadique.

La jeunesse, dit-on, est le temps de toutes les impatiences. Pourtant, devant la vitrine rutilante dressée par la société consommationiste et habilement promue par la propagande publicitaire il pouvait sembler que les impatiences juvéniles étaient opportunément contenues ou détournées vers des fins ludiques ou bassement mercantiles. Cependant, le feu couvait doucement depuis longtemps déjà ici ou là sans néanmoins réussir à entamer la sérénité des défenseurs acharnés du modèle en place. Soudain, sous un printemps particulièrement précoce cette années, lycéens et étudiants décrétèrent la grève des « vendredis pour le climat ». Le mouvement nouveau trouva un premier aboutissement le vendredi 15 mars dernier avec une mobilisation dans 120 pays, dans 2200 villes, rassemblant plus d’1 million de jeunes, dont 150 000 en France, autour d’une revendication commune : d’une part le respect de « l’accord de Paris » signé à l’issue de la COP 21 en décembre 2015 et d’autre part un sursaut profond des Etats qui ont si peu agi depuis l’engagement de Paris. Une telle mobilisation internationale des jeunes pour le climat est inédite. C’est une première, il y en aura d’autres assurément.

En France, le ministre de l’Education Nationale, Jean-Michel Blanquer, a commencé de s’inquiéter lorsqu’il a constaté l’empilement des vendredis climatiques. Cela fait désordre ! Cela ne cadre pas avec l’ordonnancement de la Nouvelle Ecole de la République qu’il entend orchestrer seul tel un second Jupiter. Alors, il donna ses consignes : le prochain vendredi les professeurs devront, dans leurs établissements respectifs, organiser des débats sur le climat. Ramenons à la raison ces lycéens livrés à eux-mêmes dans nos rues. Normalisons ! Normalisons ! Ce que paraît ignorer M . Blanquer c’est que nombre de professeurs ne l’ont pas attendu pour instruire des enjeux de la crise climatique les jeunes têtes blondes et brunes qui leur sont confiées. D’ailleurs, ce n’est sûrement pas tout-à-fait par hasard si maintenant ces jeunes, conscients des périls et de l’apathie criante des gouvernants, se rassemblent à l’extérieur des bahuts. Ne le disons tout de même pas trop fort. En ces temps de police blanquérienne de la pensée les profs pourraient devoir rendre des comptes pour avoir fait simplement leur devoir de citoyens formant de nouveaux citoyens. Décidément, M. Blanquer appartient tout entier au vieux monde.

Et, le vieux monde partout résiste. L’université PSL-Paris-Dauphine va ouvrir en septembre prochain une licence consacrée au développement durable qui sera intégralement soutenue par un « mécène » unique, BNP-Paribas. Le montant de la convention qui courra sur cinq ans n’est pas mince : près de 8 millions d’euros. Cette formation a été mise sur pied en un temps record, dit-on à Paris-Dauphine, afin de « répondre à l’urgence du défi climatique ». Elle accueillera trente étudiants. Cette entreprise ne se déroule pas sans remous : un collectif d’étudiants, baptisé « PSL contre-attaque », s’est créé illico. Il entend dénoncer les termes du partenariat pour le moins opaques. La forte intervention d’entreprises privées dans des formations qui vont dans leur intérêt, puisqu’elles vont pouvoir recruter ceux qui auront été formés grâce à elles, est pour le moins dérangeante. BNP Paribas tente, ici comme ailleurs, d’afficher un visage éco-friendly. Le collectif n’entend pas aider la banque à reverdir son image, elle qui continue de financé massivement les énergies polluantes. cette histoire montre aussi à quel point PSL fait fi de la démocratie. « Nous n’avons aucune information sur le contenu précis des cours qui seront dispensés ». Les inscriptions ont démarré comme prévu le 6 mars mais Pour le moment, en raison du climat de tensions, le nom des professeurs qui enseigneront dans cette licence est tenu secret, tout comme le contenu précis du cursus. ce qui choque particulièrement les opposants à ce projet est qu’il cristallise toutes les évolutions et les dangers qui guettent l’université française. Une enseignante à Dauphine, membre du comité de lutte, résume le sentiment général : « Cette licence financée par BNP est le cheval de Troie d’une série à venir. L’État ne paye plus, donc le privé vient à la rescousse. On est obligés de se conformer à leurs conditions. C’est effrayant. » Sur le plan philosophique, les opposants dénoncent la « marchandisation du savoir ». Certes, ces mécénats ne sont pas nouveaux, diverses universités agissent ainsi, mais « c’est la première fois qu’un cursus de licence est financé par un mécène unique. »

On le comprend, les plus grands profiteurs des règles régissant le vieux monde ne vont pas se laisser déposséder facilement de leur pactole. En cela la question n’est pas que climatique. Elle est tout autant sociale et politique. Aux jeunes générations il incombe ainsi de joindre au combat pour la justice climatique le combat pour la justice sociale. C’est bien dans cette jonction impérative que vont résider les combats politiques à venir.

Yann Fiévet

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