L’expérience ne rend pas les grèves de la faim plus faciles. Voilà ce que dit la famille du prisonnier palestinien, Majd Ziada, qui a participé à de nombreuses grèves collectives de la faim depuis son arrestation par les forces d’occupation israéliennes en 2002.
« C’est comme si vous portiez le poids de 15 années de prison sur vos épaules », a déclaré Hurriyah Ziada, la plus jeune sœur de Majd, à The Electronic Intifada. « C’est comme courir les derniers kilomètres d’un marathon : au début, vous avez beaucoup d’énergie, mais les forces vous quittent peu à peu ».
Majd, dont la famille est originaire d’al-Faluja, au nord-est de la ville de Gaza – un village qui a été nettoyé ethniquement par les forces sionistes en 1948 -, avait 19 ans lorsqu’il a été balayé par une vague d’arrestations massives au plus fort de la deuxième Intifada.
Il a été mis à l’isolement pendant 50 jours et a alors subi des tortures physiques et psychologiques, selon son père et son avocat. Les abus ont aggravé l’inflammation de l’oreille dont il souffrait, et il a perdu complètement l’ouïe dans l’oreille droite.
Lors d’une audience dans un tribunal militaire israélien l’année de son arrestation, Majd a déclaré qu’il ne reconnaissait pas la légitimité de ce tribunal et que c’étaient les soldats israéliens qui devaient être jugés.
Majd a été accusé d’avoir participé à des attaques armées et d’avoir organisé une cellule de résistance, et il a été condamné à 30 ans de prison.
Les avocats de Majd ont demandé qu’il soit rejugé du fait des graves erreurs de procédure qui avaient entaché sa condamnation. Le mois dernier, un tribunal militaire israélien a accepté, chose rarissime, de réduire la peine de Majd à 20 ans.
Majd, qui a été arrêté dans la ville occupée de Ramallah en Cisjordanie, a récemment été transféré dans la prison d’Hadarim, au centre d’Israël. La Quatrième Convention de Genève interdit à une puissance d’occupation telle qu’Israël de transférer des détenus du territoire qu’elle occupe, en l’occurrence la Cisjordanie, sur son propre territoire. L’emprisonnement de Majd en Israël est donc un crime de guerre.
Punition
Le 12 avril, la dernière fois que Hurriyah a rendu visite à Majd à Hadarim, il lui a dit qu’il envisageait de participer à la grève de la faim illimitée qui devait commencer cinq jours plus tard.
L’une des principales demandes des grèvistes de la faim est d’obtenir des soins médicaux corrects.
« [Majd] a besoin d’une intervention chirurgicale de l’oreille sinon il risque de perdre complètement l’ouïe », a expliqué Hurriyah. « Mais le service pénitentiaire israélien interdit l’opération, et le seul traitement qu’il reçoit, c’est des cachets contre la douleur ».
Israël a mis en place toute une série de mesures pour punir les grévistes de la faim, notamment l’interdiction de recevoir des visites familiales et de voir des avocats. Tout ce que Hurriyah sait de son frère c’est qu’il n’est plus à Hadarim et qu’il a été mis à l’isolement. Elle ne sait pas où il est détenu actuellement.
Les prisonniers palestiniens en grève de la faim protestent également contre la mise à l’isolement, les raids nocturnes dans les cellules des prisonniers, les recherches corporelles humiliantes, la réduction des visites familiales, l’interdiction des téléphones mobiles, la suspension de l’enseignement universitaire, les restrictions sur les livres et les magazines et l’emprisonnement généralisé sans inculpation ni procès, ton confié à The Electronic Intifada des membres de la famille des prisonniers en grève et leurs avocats.
« Les prisonniers mènent la bataille de l’estomac vide pour obtenir non seulement le respect de leurs droits fondamentaux mais aussi une amélioration de leurs conditions carcérales », a déclaré à The Electronic Intifada Abdel Nasser Ferwana, un écrivain qui a mené une recherche approfondie sur l’histoire des grèves de la faim palestiniennes. « Ils veulent également exprimer leur colère aux autorités d’occupation, raviver la solidarité du public avec la cause des prisonniers et attirer l’attention sur leurs souffrances ».
C’est une tactique dangereuse, une solution de dernier recours. La première grève de la faim de l’histoire du mouvement des prisonniers palestiniens a eu lieu en 1968, un an après le début de l’occupation militaire israélienne de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Les détenus d’une prison de Naplouse ont fait une grève de la faim de trois jours pour protester contre les abus physiques et les traitements humiliants que leur faisaient subir les soldats israéliens.
Le premier prisonnier palestinien qui a perdu la vie lors d’une grève de la faim s’appelait Abd al-Qader Abu al-Fahm. Il est mort après avoir été nourri de force pendant une grève générale de la faim à la prison d’Ashkelon en 1970.
Histoire de la lutte
Selon Ferwana, la grève de la faim actuelle n’est pas un événement isolé ; au contraire elle fait partie d’une longue histoire de luttes.
« Il faut rappeler aux gens que les prisonniers palestiniens ont amélioré leurs conditions de vie dans les prisons et ont obtenu le respect de certains de leurs droits grâce à leurs sacrifices et certainement pas grâce à la générosité israélienne », a déclaré Ferwana. « Il y en a qui y ont perdu la vie, mais c’est la façon la plus efficace de s’opposer au système pénitentiaire israélien ».
Selon Addameer, le groupe de défense des droits palestiniens, Israël détient actuellement 6 300 prisonniers politiques palestiniens, dont 500 sans inculpation, ni procès, en vertu d’ordonnances de détention administrative indéfiniment renouvelables délivrées par un tribunal militaire.
La détention administrative a été la cause de certaines des grèves de la faim les plus spectaculaires de ces dernières années, comme celle de Khader Adnan – un boulanger du nord de la Cisjordanie qui a entamé deux longues grèves de la faim, ce qui a fait de lui une icône du mouvement des prisonniers – et celles du journaliste Muhammad al-Qiq, de l’avocat Muhammad Allan et de Bilal Kayed, qui a obtenu sa libération après 15 ans d’emprisonnement, suite à une grève de la faim de 71 jours.
Ces dernières années, les grèves de la faim entreprises par des prisonniers individuels ont été plus nombreuses que les grèves collectives de la faim.
Esmat Mansour, qui a été emprisonné par Israël de1993 à 2013, a expliqué que cela résultait directement de la division du mouvement des prisonniers causée par la désolante impasse dans laquelle se trouvaient les deux principaux partis politiques palestiniens, le Fatah et le Hamas, depuis une décennie.
Mansour a souligné que la grève générale de la faim d’août 2004 – qui avait duré jusqu’à 19 jours dans certaines prisons sans entraîner une véritable amélioration des conditions de vie des prisonniers – avait constitué un tournant.
Surmonter l’échec
Plusieurs facteurs ont contribué à l’échec de cette grève, selon Mansour : la répression sévère du Service pénitentiaire israélien dirigé par Yaakov Ganot à l’époque. Mansour a qualifié Ganot de « fasciste ». Ganot a réintroduit la pratique de la fouille à nu et ordonné l’installation de vitres au parloir à la place des filets qui permettaient un contact physique entre les prisonniers et leur famille.
La deuxième intifada était toujours en cours et Ariel Sharon, le premier ministre israélien de l’époque, refusait tout compromis. Pour beaucoup de prisonniers, c’était leur première grève de la faim et ils manquaient d’expérience pour faire face aux inévitables mesures de rétorsion israéliennes.
« Les leaders de la grève se sont divisé et la polarisation des prisonniers a facilité la répression [des autorités pénitentiaires] et cela a brisé notre élan », a dit Mansour, qui avait participé à cette grève, à The Electronic Intifada.
« Il a fallu beaucoup de temps et d’efforts pour que le mouvement des prisonniers se relève de cet échec, pour que les prisonniers reprennent confiance en eux et reconstruisent le mouvement ».
Ce n’est qu’en 2012 que les prisonniers de toutes les factions politiques ont organisé une nouvelle grève collective de la faim dans plusieurs prisons et avec l’appui de plusieurs partis politiques.
Après une série de grèves individuelles de la faim pour protester contre la détention administrative, des milliers de prisonniers ont commencé une grève de la faim illimitée le 17 avril 2012, le matin même de la Journée consacrée aux prisonniers palestiniens, et ont refusé de manger pendant près d’un mois.
Les grévistes de la faim revendiquaient la suppression de l’isolement carcéral pour tous les prisonniers et la reprise des visites familiales aux prisonniers de la bande de Gaza. Ces visites avaient été supprimées suite à la capture d’un soldat israélien à Gaza en juin 2006 et leur interdiction avait été maintenue alors même que le soldat avait été libéré dans un accord d’échange de prisonniers en octobre 2011.
La grève de la faim de 2012 a été accompagnée de manifestations populaires et d’une mobilisation sur le terrain d’une ampleur qu’on n’avait pas connue en Palestine depuis les premiers jours de la deuxième intifada plus d’une décennie auparavant. Même si, dans les prisons, les dirigeants du Fatah n’ont pas participé à cette grève de la faim et ont même été accusés par certains prisonniers de ne pas avoir manifesté assez de solidarité avec eux, la base du Fatah, elle, s’est jointe à la grève, selon Esmat Mansour.
L’accord conclu entre les détenus palestiniens et les autorités pénitentiaires israéliennes en mai 2012 incluait, semble-t-il, des limitations à la détention administrative, la suppression de l’isolement prolongé, et la reprise des visites familiales aux prisonniers de Gaza.
« Pas d’autre choix »
Cinq ans plus tard, les prisonniers palestiniens sont à nouveau obligés de recourir à la faim pour lutter pour leurs droits.
« Les prisonniers se préparent à cette grève de la faim depuis près de deux mois et mon mari m’a confirmé le 4 avril qu’il y participait », a déclaré Khalida Hamdan, dont le mari Muhammad Mesleh est condamné à neuf peines de prison à vie plus 50 ans pour son implication dans le meurtre de neuf Israéliens.
« Au début, je me comprenais pas sa décision, mais il m’a expliqué que la violence répressive des autorités pénitentiaires israéliennes prenait de telles proportions qu’ils n’avaient plus le choix », a confié Hamdan à The Electronic Intifada.
Mesleh, un dirigeant de l’aile armée du Fatah, les Brigades des martyrs d’al-Aqsa, a été arrêté par les forces d’occupation israéliennes le 17 février 2001, laissant Hamdan élever seule leur bébé de quelques mois. Pendant près d’une décennie, Hamdan n’a pas été autorisée à rendre visite à son mari pour des raisons de sécurité. En 2012, elle a fait une grève de la faim de sept jours en solidarité avec son mari en grève de la faim.
Mesleh est un proche de Marwan Barghouti, le célèbre chef du Fatah qui a été condamné à plusieurs peines de prison à vie après son arrestation en 2002, et l’icône de la grève de la faim actuelle.
« Il m’a demandé de ne pas faire une grève de la faim par solidarité cette fois-ci, mais depuis le 17 avril, j’ai été incapable de cuisiner, de dormir ou de penser à autre chose », raconte Hamdan. « Je n’ai des nouvelles de lui qu’au travers des medias. Est-il à l’isolement ? Comment supporte-t-il la douleur et la fatigue ? Comment survit-il aux mesures de rétorsion des gardiens de la prison ? On ne peut pas s’empêcher de ressasser tout ça quand on a un être cher en grève de la faim ».
L’unité
La grève de la faim actuelle, à laquelle participe environ 1500 prisonniers, selon Addameer, est dirigée par le Fatah, mais des prisonniers des principales factions palestiniennes y participent.
À la suite de sa libération d’une prison israélienne le 20 avril, Wasfi Qabaha, un ancien ministre palestinien, a dit que la grève de la faim à la prison de Hadarim, l’épicentre de la protestation, regroupait des prisonniers de toutes les factions et qu’il y avait des membres de tous les partis du spectre politique parmi les leaders de la grève.
Il a ajouté que des leaders tels que Marwan Barghouti et Karim Younes, le prisonnier politique palestinien le plus anciennement détenu par Israël, ont été transférés à la prison de Jalameh et mis à l’isolement.
Nadim Younes, le frère de Karim Younes emprisonné par Israël depuis 1983, a déclaré à The Electronic Intifada que sa famille et ses avocats ne sont plus autorisés à avoir aucun contact avec Karim depuis qu’il a commencé sa grève de la faim.
« Karim a maintenant 58 ans, et 35 ans d’emprisonnement ont grandement endommagé sa santé », a déclaré Nadim. « Cette grève est importante parce qu’elle réunit des prisonniers de toutes les factions et de toute la Palestine : Gaza, Cisjordanie, Jérusalem et des Palestiniens des territoires occupés depuis 1948 [l’Israël actuel] ».
Certains craignent que cette grève de la faim n’échoue comme celle de 2004. L’ancien prisonnier Esmat Mansour ne nie pas ces inquiétudes :
« Il est vrai que Barghouti est le leader incontesté de cette grève de la faim. Certains pensent qu’il essaie d’envoyer au Comité central du Fatah le message qu’il reste un chef influent », a dit Mansour. « Mais les prisonniers ne sont pas des marionnettes : ils ne rejoindraient pas cette grève s’ils n’avaient pas de réelles revendications. Et le fait que Marwan dirige cette grève lui a donné une impulsion et une attention médiatique sans précédents.
L’unité et la résilience du mouvement des prisonniers sont mises à l’épreuve par la répression, les intimidations et les tentatives israéliennes de délégitimer la grève de la faim. En outre, la grève teste la capacité de la société palestinienne à se mobiliser pour soutenir les prisonniers, exercer une pression sans faille sur Israël et surmonter ses divisions pour défendre les prisonniers.
S’il y a une cause qui a permis de réunifier les Palestiniens ces dernières années, c’est bien la lutte des prisonniers pour leurs droits.
Budour Youssef Hassan est une écrivaine palestinienne basée à Jérusalem. On peut la joindre sur Twitter et elle écrit sur le blog budourhassan.wordpress.com.
Traduction : Dominique Muselet