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La Grande Bellezza : un grand cinéaste est né.

Paolo Sorrentino s’affirme (plus exactement) comme un grand nom du cinéma, de même envergure, sur le plan esthétique, que Lars von Trier. Son cinéma est addictif : on tombe amoureux de ses mouvements de caméra et de son rythme et, après avoir vu un de ses films, on se trouve bientôt en manque ; c’est le cas pour Il Divo (Prix du jury à Cannes en 2008). Ce n’est pourtant pas un film de divertissement, mais au contraire du cinéma engagé, un réquisitoire contre un pilier de la démocratie chrétienne, Giulio Andreotti (le "Divin Jules", par référence à César) : le film montre sa responsabilité dans de multiples assassinats politiques (dont la mort d’Aldo Moro) et ses liens avec la Mafia - tous faits qui auraient dû logiquement entraîner sa condamnation ; mais l’arsenal des lois et les arguties de la procédure (dont les règles de prescription) ont permis de l’acquitter en 2003. L’actualité nécrologique aura cependant permis de réunir trois grands monstres, Thatcher, Videla et Andreotti.

Mais ce qui fascine, dans son film, c’est le rythme, les images, certaines scènes géniales : le cortège de gardes du corps et de voitures qui, avant le lever du jour, accompagne Andreotti à travers des rues désertes, dans un climat onirique, jusqu’à l’église où il va se confesser, est une séquence d’anthologie, comme l’élection du Président de la République, à laquelle se présente Andreotti, et qui peut nous en apprendre plus sur la récente élection du pape François, que tous les commentaires journalistiques. (Dans la vie politique romaine, il n’y a pas grande différence entre le sacré et le profane, les deux domaines perpétuent les rites de la République et l’Empire Romain).

Plus aucune référence politique, par contre, dans La Grande Bellezza (si ce n’est un personnage de cardinal exorciste et amateur de cuisine, présenté comme proche du trône pontifical). Mais là aussi, on tombe amoureux du film, et de façon encore plus irrésistible, car Toni Servillo, dans la Bellezza, est aussi séduisant qu’il était repoussant dans Il Divo, et l’Amour, ou la Beauté qui le suscite, est le sujet même du film.

Sorrentino fait plusieurs fois référence à Proust (de façon humoristique d’abord, quand un snob l’associe à N. Ammaniti, auteur, en 2011, du best-seller La Fête du siècle, dont le héros est un écrivain devenu journaliste mondain, mais qui, lui, ne manifeste aucune inquiétude métaphysique). En effet, le héros, Jep Gambardella, suit le même parcours que le Narrateur de la Recherche du Temps perdu : amoureux du beau, il s’est laissé entraîner, par manque de volonté, dans le tourbillon de la mondanité. Mais, comme la matinée chez la Princesse de Guermantes, chez Proust, la fête de ses 65 ans, filmée comme un pandémonium tonitruant, sera l’occasion d’un bilan : Jep s’est déçu lui-même. Il va alors se lancer dans une quête du vrai Jep : le Jeppino (comme l’appelle son amie Dadina) enfoui en lui et maintenant prêt à remonter à la surface (situation que matérialise une image du film).

On pourrait s’amuser à retrouver toutes les références du film à La Recherche ; il suffira de remarquer que, comme Proust, Jep a sa Céleste Albaret, devenue ici une immigrée sud-américaine, qu’il appelle "vaurienne" et qui lui prépare des tisanes en lui faisant la morale ; ou que le film s’ouvre sur le choc mortel que provoque, chez l’écrivain Bergotte, ici un touriste japonais, la beauté du "petit pan de mur jaune" de La Vue de Delft, représentée ici par les merveilleux toits romains (la couleur ocre rosé à ocre orangé des murs de Rome donne au film son harmonie visuelle).

Mais plus importante est la structure du film : comme pour le Narrateur, la vie de Jep, à partir de son anniversaire, est ponctuée par des rencontres avec la vieillesse et la mort, mais aussi des réminiscences de sa jeunesse et des expériences de beauté ; les deux thèmes se réunissent dans l’exposition d’un artiste qui a tapissé les murs d’un cloître de photos de lui, prises chaque jour depuis sa naissance : en passant d’un pan de mur à l’autre, c’est-à-dire en descendant le cours de cette vie qui aboutira nécessairement à la mort, Jep est bouleversé. Ce thème de la mort, mort du fils, de la fille, ou de la mère, repris par les musiques sacrées de la bande-son, relie le film au grand mythe chrétien de la Pietà et lui donne sa gravité.

Car la Bellezza pose la grande question : qu’est-ce qu’une vie heureuse, ou une vie réussie ? Sur la réponse, Sorrentino se sépare de Proust : il n’y a pas ici de mystique de l’Art, et si Jep trouve son salut en se remettant à écrire, c’est en vertu d’une réponse plus profonde, que lui donne Suor Maria, une sainte centenaire, à visage de momie, qui, (dans une intervention grotesque à la façon de Dostoïevski), lui rappelle l’importance des racines c’est-à-dire de la fidélité à soi, à sa vocation profonde. S’instaure alors un parallèle entre deux pistes apparemment opposées mais en fait équivalentes, entre le pèlerinage amoureux de Jep et le pèlerinage de la sainte à St Jean de Latran, où elle monte à genoux la Scala Santa jusqu’à l’illumination du tableau de la Crucifixion. Car, dans la Bellezza comme à Rome, le sacré et le profane coexistent très oecuméniquement.

Mais il faut rester dans son fauteuil pour suivre le magnifique générique de fin qui est comme une récapitulation poétique du film : au rythme d’une péniche, et sur une musique sacrée sublime (de Preisner ?), la caméra descend le Tibre, jusqu’à ce qu’elle s’engage dans l’obscurité d’une arche de pont : car "à la fin il y a toujours la mort", mais on l’abordera sereinement si, jusque-là, on a toujours vécu dans la beauté. Même si le film n’est pas politique, on pense alors à la nécessité de lutter pour ce qui reste de beauté dans notre environnement, toujours sous la menace d’opérations de modernisation, ou plutôt de spéculation.

Toutes les tentatives d’adaptation de La Recherche ont été des échecs ; on ne peut l’aborder qu’indirectement, en la transposant dans d’autres intrigues ; c’est ce qu’a fait Visconti, dans Mort à Venise, et ce que fait ici Sorrentino, dans un film où la beauté laisse le spectateur ému et rasséréné : ce serait dommage de manquer ce voyage.

Rosa Llorens

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Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza.
Ramzy BAROUD
Comprenez, de l’intérieur de Gaza, comment le peuple palestinien a vécu la signature des Accords d’Oslo : les espoirs suscités et immédiatement déçus, la désillusion et la colère suscitée par l’occupation et la colonisation israéliennes qui continuent... La seconde Intifada, et la montée politique du Hamas... Né à Gaza en 1972, Ramzy BAROUD est un journaliste et écrivain américano-palestinien de renommée internationale. Rédacteur en chef de The Brunei Times (version papier et en ligne) et (…)
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