Ce 27 janvier, dans la capitale Tegucigalpa que quadrillaient six mille policiers et militaires, c’est dans l’enceinte à moitié vide du Stade national Tiburcio Carías que M. Juan Orlando Hernández (« JOH »), candidat du Parti national (PN) déclaré élu par le Tribunal suprême électoral (TSE) à l’issue de l’élection présidentielle du 24 novembre 2013, avec 36,89 % des voix, a été investi dans ses fonctions. Tant le TSE que la Cour suprême de justice (CSJ) ont refusé de prendre en considération le « recours en nullité pour fraude » déposé par la candidate de Liberté et refondation (LIBRE), Mme Xiomara Castro (créditée de 28,78 % des suffrages), et celui du Parti anticorruption (PAC), M. Salvador Nasralla (13,43 %), malgré le dossier circonstancié fourni, en particulier par LIBRE, à l’appui de ses allégations (voir les précédents articles de notre dossier « Honduras 2013 »).
Au nom de LIBRE, bras politique du Front national de résistance populaire (FNRP), né dans la rue en réaction au coup d’Etat qui, en 2009, a renversé son époux Manuel Zelaya, Mme Castro a déclaré considérer comme « illégitime » le « président » Hernández.
Pour celui-ci, dans des conditions normales, la situation serait passablement complexe à gérer. Dans un Congrès de cent vingt-huit députés, il a besoin d’une majorité simple de soixante-cinq élus pour pouvoir gouverner à sa guise (et de quatre-vingt-quatre voix pour atteindre la majorité qualifiée permettant des réformes constitutionnelles). Or, si le PN et le chef de l’Etat Porfirio Lobo disposaient de cette majorité (soixante et onze députés) depuis le scrutin de novembre 2009, destiné à « blanchir » le golpe et marqué par plus de 50 % d’abstentions, elle a été perdue au terme de ces élections générales. Avec seulement quarante-huit représentants, les « cachurecos » [1] doivent désormais compter avec LIBRE, qui en aligne trente-sept, et avec le PAC, qui en a obtenu treize – donc cinquante à eux deux.
« Frère ennemi » du PN, avec qui il a gouverné le pays en alternance, le Parti libéral (PL) subit une véritable déroute en ne faisant élire que vingt-sept représentants [2] : sans surprise, il paie pour avoir trahi le président Zelaya, issu de ses rangs, lors du coup d’Etat de 2009. On ne mentionnera que pour mémoire les « partis bonsaï » – Démocratie chrétienne, Union démocratique (UD) et Parti d’innovation et unité (PINU) –, avec un député chacun [3].
Cette configuration nouvelle, dans un pays soumis au bipartisme PN-PL depuis plus d’un siècle, pose un problème majeur à M. Hernández : lorsque la nouvelle Chambre des députés aura pris ses fonctions, le 25 janvier, aucun parti – à commencer par le sien – n’y disposera de la majorité et, en présence d’une opposition forte de LIBRE et du PAC, il lui faudra passer des alliances – mais avec qui ? – pour gouverner. Dès lors, conscient des possibles conséquences d’un fonctionnement démocratique, le pouvoir a pris les devants. Usurpant les fonctions du prochain Congrès, les soixante et onze parlementaires PN en fin de mandat viennent de faire passer à la hâte, dans ce qu’il convient d’appeler une « hémorragie législative », une vingtaine de lois, quatre-vingts décrets et une grande quantité de réformes et de nominations. En une poignée de semaines (dont celle de Noël, contrairement à tous les usages), davantage que pendant l’ensemble de l’année 2012 et les onze premiers mois de 2013 !
Dans le cadre de ce « paquetazo » (« gros paquet »), on notera, entre autres, la présence de : la loi d’ordonnancement des finances publiques ; l’augmentation de l’impôt sur les ventes (ISV, l’équivalent de notre TVA), affectant les produits de première nécessité ; l’élargissement (vers le bas !) de la base de perception de l’impôt sur le revenu ; le gel du salaire de certaines catégories de fonctionnaires ; la réduction des subventions à l’électricité ; des contrats de concession d’exploitation en matière d’énergie, d’eau, de téléphonie, etc. ; la privatisation de l’Entreprise hondurienne des télécommunications (Hondutel) ; la loi de l’emploi… à l’heure (combattue avec vigueur, depuis des années, par les syndicats) ; et même le budget de la nation pour 2014 !
Pour faire bonne mesure, lors de sa dernière session, le Congrès a élu les magistrats du prochain Tribunal suprême électoral, renouvelant son actuel et très controversé président David Matamoros avec… cinq mois d’anticipation.
En résumé : moins malléable, le prochain Congrès peut partir en vacances, tout a été bouclé et bien bouclé !
Si le PN et le PL, malgré leur rivalité historique, ne sont séparés par aucune divergence idéologique, LIBRE et le PAC n’appartiennent pas au même champ politique. Alors que le premier se réclame d’un socialisme du XXIe siècle, le second ne conteste nullement le système néolibéral ; simplement, comme son nom l’indique, il s’oppose à la corruption systémique enkystée sous la houlette des deux partis jusque-là dominants. Toutefois, face au « détournement de démocratie » auquel se livre à nouveau le pouvoir, et à l’initiative de Xiomara Castro, Manuel Zelaya et Salvador Nasralla, auxquels s’est joint l’unique députée du PINU, Doris Gutiérrez, LIBRE et le PAC ont souscrit, le 15 janvier, un « Grand accord de l’opposition pour la gouvernabilité du Honduras ». Au rejet des mesures contenues dans le « paquetazo », ils ajoutent leur volonté de rédiger, dans les meilleurs délais, une nouvelle loi électorale incorporant le vote électronique, afin d’en finir avec « les formes traditionnelles de fraude » dont ils ont été victimes le 24 novembre dernier.
Restait, avant la prise de possession de « JOH », à faire désigner, par les députés nouvellement élus, le Bureau directeur (junta directiva) et le président du Congrès qui siégera au long de la période 2014-2018. Qui allait se porter au secours du PN, décidé à voir accéder l’un des siens à ce poste clé ? « Le Parti libéral se retrouve entre le mur et l’épée, a lucidement grimacé son dirigeant Yani Rosenthal, alors que tous les yeux se tournaient vers lui. Il doit choisir le moindre mal. Toutes les options étant mauvaises, le parti ne va rien gagner. » De fait, pour ce représentant d’une faction de l’oligarchie, LIBRE est l’ « ennemi principal » ; mais appuyer le PN, leur traditionnel adversaire, alors qu’ils sont déjà considérablement affaiblis, s’apparente à un quasi-suicide politique pour les « libéraux ». C’est pourtant, la voie qu’ils ont choisie, pour barrer la route à l’opposition. En deux sessions, cette Sainte Alliance qu’on rejoint la Démocratie chrétienne et Unification démocratique – partis sans poids réel, mais habitués, selon les circonstances, à se vendre au plus offrant – a porté au perchoir le député « nationaliste » Mauricio Oliva Herrera [4]. Comme il se doit, cette élection s’est déroulée dans le registre « República Banana ». Alors qu’ils souhaitaient soutenir une motion dans laquelle ils présentaient leurs candidats communs, les députés de LIBRE, du PAC et du PINU se sont vu refuser le droit à la parole. C’est aux cris de « dictature ! » et dans un chaos total que s’est terminée cette dernière élection.
Alors que, ce 27 janvier, seuls quatre présidents latino-américains classés à droite – Juan Manuel Santos (Colombie), Ricardo Martinelli (Panamá), Laura Chinchilla (Costa Rica), Danilo Medina (République dominicaine) – avaient fait le déplacement pour assister à l’investiture de M. Hernández, en compagnie des chefs d’Etat du Kosovo et de Taiwan, ainsi que du secrétaire général de l’Organisation des Etats américains (OEA) José Miguel Insulza, les députés de LIBRE ont boycotté la cérémonie. Ils ont rejoint, dans la rue, les milliers de manifestants réunis à l’appel du parti et du Front national de résistance populaire. Sans surprise, mais sans incident notable, cette démonstration pacifique a été très rapidement bloquée dans son avancée par un cordon disproportionné de militaires et de policiers.
Maurice Lemoine
Photographies : Maurice Lemoine