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La démocrature comme seul horizon ?

C’est l’histoire, plus qu’imaginaire car cauchemardesque, d’un pays qui, par un long glissement progressif, est passé d’une apparente et douce démocratie représentative à une démocrature pernicieuse et délicieuse. Cette dernière est une forme de gouvernance qui reprend l’habit de la démocratie vidée de sa substance pour travestir une pure dictature. Le tout venant servir les intérêts d’une oligarchie financière à l’avidité sans borne : on pourrait donc parler d’une démocrature de marché où votre avis est sollicité et retenu uniquement quand il vient valider une décision déjà prise. Dans le cas contraire, votre avis sera réputé nul et non avenu à cause de votre ignorance crasse, ou à cause d’un manque de pédagogie.

Ainsi s’agit-il, en tout lieu, en tout temps, de soigner la forme pour mieux fortifier le fond. La démocrature est à la fois, pour ne pas dire en même temps, la cause et le remède.

En effet, vouloir préserver les privilèges exorbitants d’une minorité, c’est forcément vouloir pressurer une majorité. Cette pression toujours plus forte ne peut être contenue sans un maintien de l’ordre irréprochable. L’ordre des choses doit être préservé alors que le système est lui-même générateur de désordre à cause des inégalités sur lesquelles il prospère avec une efficacité qui s’accroît à mesure qu’elles s’amplifient (1). Plus les inégalités sont flagrantes, plus la pression augmente. Plus la révolte couve, plus le maintien de l’ordre, plus la répression doivent s’abattre. Le moindre mouvement de contestation doit être tué dans l’œuf : si la communication s’avère dépassée malgré le dénigrement intensif de ceux qui regagnent en dignité, la force brute et la force de la loi viennent annihiler toute ébauche d’opposition. La violence légale est donc le seul remède aux problèmes sociaux : à coup de bombes assourdissantes, à coup de gaz nocifs, on soigne le corps social en souffrance, le corps social de la sous-France quand les « premiers de cordée » comptent, bien à l’abri, leurs profits. Il ne reste plus qu’à offrir la gestion des prisons au privé pour parachever l’œuvre capitaliste tyrannique.

Une fois n’est pas coutume, je vais évoquer un dessin animé, non pas que nous soyons des enfants attardés, non pas que je veuille faire de la pédagogie, mais parce qu’il arrive aux œuvres de qualité d’avoir plusieurs niveaux de lecture possibles.

Prenons Titi et Grosminet : qui n’a pas rêvé de tordre le cou au petit canari ? Pauvre animal, de complexion si fragile, mais tellement haïssable. N’est-il pas le symbole du capital qui vole en totale liberté ? Et ce pauvre Grosminet avec sa balourdise, avec son élocution laborieuse, n’est-il pas le peuple, la masse bernée à l’envi ? Mémé, n’est-elle pas ces vieilles institutions qui protègent l’oligarchie si fragile et si prospère ? Et le molosse qui garde la maison n’a-t-il pas la tronche, n’a-t-il pas la carrure de ces forces de l’ordre, de ces acteurs de la répression qui protègent l’économie de captation ?

Sans les institutions, la minorité serait écrasée par les gueux qui auraient tôt fait de reprendre leur dû. Les institutions sont là pour imposer le droit. Le droit est là pour satisfaire la minorité et pour contraindre la majorité.

Au début, il y a les droits de l’Homme naturels et imprescriptibles : « ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression » ; « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit » (art. 2 et 1 DDHC de 1789). Puis par un patient et imperceptible glissement juridique, ces droits fondamentaux ont fondu comme neige au soleil : le droit positif (du latin jus positum : le droit posé, le droit défini à un moment donné par l’ensemble des règles juridiques en vigueur) est venu réduire le champ de la liberté, devenue plurielle avant de n’être plus grand chose.

Le processus est lent pour ne pas choquer les consciences endormies, mais toutes les occasions sont bonnes, il n’y a aucun scrupule.

« Cette démocratie si parfaite fabrique elle-même son inconcevable ennemi, le terrorisme. Elle veut, en effet, être jugée sur ses ennemis plutôt que sur ses résultats. L’histoire du terrorisme est écrite par l’État, elle est donc éducative. Les populations spectatrices ne peuvent certes pas tout savoir du terrorisme, mais elles peuvent toujours en savoir assez pour être persuadées que, par rapport à ce terrorisme, tout le reste devra leur sembler plutôt acceptable, en tout cas plus rationnel et plus démocratique ». (Commentaires sur la société du spectacle, Guy Debord)

Dit comme cela, c’est plutôt du genre violent, mais les faits des dernières années viennent corroborer ces dires. Les attentats dits « terroristes » ont permis l’instauration de l’état d’urgence, un état temporaire où les libertés sont restreintes à cause de l’urgence, bien sûr. Puis les mesures arbitraires et temporaires ont été, en un tournemain, inscrites dans le droit commun : les lois d’exception ont tendance à rejoindre subrepticement les lois générales par simple gravité.

Ainsi quelques morts violentes furent-elles instrumentalisées pour restreindre les droits naturels et permettre la répression. Les délits ou les crimes sont maintenant poursuivis avant même leur réalisation : il y a les guerres préventives de l’Empire, maintenant on a droit aux délits de « regroupement en vue de commettre un délit ». C’est des plus tordus, mais c’est légal : est-il la peine de demander l’avis du Conseil Constitutionnel ? Vu la consanguinité des institutions...

Par contre, toutes les morts ne sont pas instrumentalisées : les victimes de l’amiante, 3 000 décès par an rien qu’en France, semblent passées par pertes et profits. De même, les 10 à 14 mille décès liés au chômage (2) semblent invisibles, dérisoires pour ne pas dire une hécatombe (« sacrifice de 100 bœufs ») propitiatoire. Les institutions sélectionnent donc les morts, il y aurait les morts utiles et les morts silencieuses : que les gueux crèvent en silence, même si on achève bien les chevaux.

Certains rétorqueront qu’il demeure la Justice, inhérente à un État de droit. Ah ! Oui la Justice !

C’est oublier qu’il y a Justice et justice.

Il y a la Justice « personnifiée par une femme aux yeux bandés et portant une balance et un glaive » : c’est l’institution chargée d’administrer la justice selon le droit positif.

Il y a la justice au sens moral qui se rapporte à l’équité. Faudrait voir à ne pas confondre.

En résumé, vous avez, en théorie, des droits naturels intangibles. En pratique, c’est une tout autre paire de manches. Le droit est là pour contraindre la majorité dans un cadre toujours plus restreint et pour offrir à la minorité cupide un maximum de passe-droits qui leur permettent d’optimiser, à tout-va, en parfaite légalité. Vous avez compris : le droit positif est positif et bénéfique pour quelques privilégiés, il est plutôt du genre négatif pour la majorité.

Ainsi, en théorie, avez-vous droit à la démocratie représentative, au « gouvernement du peuple, pour le peuple et par le peuple », et tout le tralala (à ne pas confondre avec le « bololo »). En pratique, comme il est loin de la coupe aux lèvres, vous connaissez une forme insidieuse de dictature, vous connaîtrez l’arbitraire, les lois scélérates, la répression à la première occasion.

Répression est un vilain mot, maintien de l’ordre sonne toujours mieux. Il faut dire que le peuple est mû par des instincts de bête quand l’oligarchie, elle, est formée par l’élite pensante et agissante. Les bêtes sont violentes par nature. Pour leur domestication, leur dressage, il faut établir un rapport de force, de dominants à dominés : la violence naturelle doit être contenue, combattue, réduite par tous les moyens légaux, et non létaux, enfin le moins possible, c’est le propre d’une nation civilisée, n’est-ce pas ?

D’aucuns diffuseront en boucle les images de la prétendue violence des manifestants, d’autres désigneront avec délectation les casseurs en action. Ah ! Oui les images de violence !

C’est oublier qu’il y a Violence et violence.

« Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés.

La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première.

La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres.

Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue. » (Hélder Pessoa Câmara)

Ce théologien de la libération n’avait pas tort : que ce soit en dictature ou en démocrature, le constat reste le même. Est-il besoin de rappeler que la Justice n’est saisie que pour sanctionner la deuxième ? Elle a les yeux bandés, elle ne juge que les affaires qui lui sont soumises. Elle ne peut pas s’autosaisir, en effet il appartient au parquet d’introduire une « action publique ». Le parquet n’est pas une institution judiciaire, c’est une émanation de l’exécutif : « la plume est serve, la parole est libre » pour les magistrats du parquet qui sont amovibles. Pour ce qui est des dossiers fiscaux, les procureurs ne sont pas habilités à agir de leur propre initiative : il appartient à Bercy, et à son célèbre « verrou », de les traiter, car on n’est jamais à l’abri d’un procureur par trop libre.

Vous comprendrez donc que les gardes à vue, les poursuites pénales, les comparutions immédiates, les prélèvements d’empreintes digitales ou génétiques (prémices d’un fichage général), que l’arbitraire légalisé, que l’usage des grenades de désencerclement à la légalité irréprochable, que tout cela concourt à la dissuasion de tout mouvement qui viendrait contester l’ordre établi. En dernier argument, il y a toujours la répression, la force brute : qui aura des séquelles, qui perdra un œil, qui une main, quand ce n’est pas la vie elle-même. Autant de victimes qui auront peu de chance de faire valoir leurs droits naturels, qui verront leurs dossiers se traîner lamentablement dans les méandres, dans les couloirs obscurs et poussiéreux d’une Justice de classe...

Mais, comme en toute chose, il y a toujours un impondérable, il y a toujours ce fichu facteur humain. Ainsi suffit-il que les exploités, les humiliés, les insultés, les illettrés, les fainéants, ç’a en fait du monde, reprennent le goût des Autres, qu’ils renouent avec des valeurs simples comme la fraternité, la solidarité et le partage de l’expérience pour que la violence subie au quotidien génère, par antipéristase (3), une force créatrice.

Comme l’écrivit Camus dans L’homme révolté, « voici le premier progrès que l’esprit de révolte fait faire à une réflexion d’abord pénétrée de l’absurdité et de l’apparente stérilité du monde. Dans l’expérience absurde, la souffrance est individuelle. À partir du mouvement de révolte, elle a conscience d’être collective, elle est l’aventure de tous. Le premier progrès d’un esprit saisi d’étrangeté est donc de reconnaître qu’il partage cette étrangeté avec tous les hommes et que la réalité humaine, dans sa totalité, souffre de cette distance par rapport à soi et au monde. Le mal qui éprouvait un seul homme devient peste collective. Dans l’épreuve quotidienne qui est la nôtre, la révolte joue le même rôle que le « cogito » dans l’ordre de la pensée : elle est la première évidence. Cette évidence tire l’individu de sa solitude. Elle est un lieu commun qui fonde sur tous les hommes la première valeur : je me révolte, donc nous sommes. »

Bonne année donc à tous ceux qui, ici et ailleurs, luttent pour leur dignité, combattent pour leur liberté.

Que 2019 soit une année climatérique pour l’oligarchie et ses laquais.

« Lorsque l’on rêve tout seul, ce n’est qu’un rêve ; mais lorsque l’on rêve à plusieurs, c’est déjà une réalité. »

« Si je fais l’aumône à un pauvre, on dit que je suis un saint, mais si je lui explique pourquoi il est pauvre, on me traite de communiste. » (Hélder Pessoa Câmara, 4)

PERSONNE

(1) Il est tentant d’assimiler le système capitaliste à une pompe à fric. Pour ce qui est d’une pompe à chaleur, l’efficacité thermique (maximale théorique) du cycle de Carnot est donnée par Tc / (Tc -Tf) avec Tc = température de la source chaude et Tf = celle de la source froide.

(2) Le chômage tue, FranceInfo : https://www.francetvinfo.fr/sante/patient/droits-et-demarches/le-chomage-tue-entre-10-000-et-14-000-personnes-par-an_1445584.html
Étude de l’INSERM concernant l’impact du chômage sur la santé, en anglais :
https://presse.inserm.fr/wp-content/uploads/2016/05/MenetonIAOEH-1.pdf

(3) Antipéristase : « action de deux qualités contraires dont l’une sert à rendre l’autre plus vive, plus puissante », Le Littré.

(4) https://www.humanite.fr/blogs/noel-et-les-trois-violences-665541

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Si j’étais le président, je pourrais arrêter le terrorisme contre les Etats-Unis en quelques jours. Définitivement. D’abord je demanderais pardon - très publiquement et très sincèrement - à tous les veuves et orphelins, les victimes de tortures et les pauvres, et les millions et millions d’autres victimes de l’Impérialisme Américain. Puis j’annoncerais la fin des interventions des Etats-Unis à travers le monde et j’informerais Israël qu’il n’est plus le 51ème Etat de l’Union mais - bizarrement - un pays étranger. Je réduirais alors le budget militaire d’au moins 90% et consacrerais les économies réalisées à indemniser nos victimes et à réparer les dégâts provoqués par nos bombardements. Il y aurait suffisamment d’argent. Savez-vous à combien s’élève le budget militaire pour une année ? Une seule année. A plus de 20.000 dollars par heure depuis la naissance de Jésus Christ.

Voilà ce que je ferais au cours de mes trois premiers jours à la Maison Blanche.

Le quatrième jour, je serais assassiné.

William Blum

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