Ainsi, deux producteurs, deux metteurs en scènes, deux équipes d’acteurs et techniciens ont décidé de refaire La guerre des boutons d’Yves Robert. Pourquoi pas, si les projets en valaient la peine et si les films sont bons ? D’autant que l’oeuvre de Louis Pergaud étant tombée dans le domaine public, cela permettait quelques économies aux financiers de ces remakes.
Dans l’original, il y a une scène où l’on voit des petits garçons se battre, disons : à poil. La scène n’a pas été reprise car la DDASS interdit de montrer à l’écran des enfants nus.
Nous sommes ici dans une forme de censure imbécile (pléonasme) à l’anglo-saxonne. Les États-Unis produisent 95% de la pornographie mondiale, visible sur l’internet et sur quelques chaînes de télévision françaises, sans grande difficulté, mais les « mots de quatre lettres », comme on dit en anglais (« fuck », « cunt », « cock », « shit »…) sont systématiquement bipés à la télé, ce qui les fait « entendre » de manière encore plus assourdissante. Un peu comme quand Mussolini avait décrété que les statues de nus masculins dans les parcs publics seraient dotés d’un cache-sexe. Des employés municipaux affublèrent les Apollon de petits carrés d’aluminium qui eurent l’heur de briller au soleil, de tintinnabuler dans le vent au grand bonheur des enfants (et de leurs nourrices) qui vaquaient dans les parages. Sans parler de Daniele da Volterra, peintre moyen de la Renaissance, qui produisit des oeuvres inspirées de celles de Michael-Ange et qui, après la mort de ce dernier, recouvrit les parties génitales du Jugement final par des repeints grâce auxquels il récolta le surnom d’Il Braghettone.
On peut utiliser le nu, y compris celui d’un enfant, de manière esthétique, en parfaite harmonie avec la diégèse d’un film, ou d’une manière complètement perverse. Au nom de la censure de la dépravation, on censure l’art.
Dans le cinéma Étatsunien, on enfourne par tous les trous, mais, dans ce pays phare, les parents d’un petit garçon de cinq ans qui avait montré son zizi à sa voisine de quatre ans ont été condamnés à une lourde amende.
Tout individu libre est redevable à tous les créateurs qui ont osé repousser les limites artistiques, morales et idéologiques. Dans les dictatures, en payant parfois de leur personne, mais aussi dans les démocraties où les paradigmes sont trop souvent inscrits sur du sable.
La liberté est d’abord un sentiment intérieur, l’expression d’une volonté individuelle, une action pour soi-même. Lily Briscoe, dans Promenade au phare de Virginia Woolf analyse parfaitement ce sentiment quand elle comprend que le moindre coup de pinceau peut entraîner des risques innombrables, des décisions irrévocables, bref qu’il peut engager toute sa vie. La liberté est aussi une action pour autrui, une intelligence du dépassement individuel, un don fait aux autres qui implique le respect et des règles de bonne conduite.
Un acte de censure révèle la nature du censeur et du censuré. En matière de représentation du corps social, de liberté sexuelle, de religion, de politique, les tabous en vigueur ne sont pas nécessairement le produit de préjugés ou d’actes de défense. Dans un univers de communication de masse, l’art est le lieu d’une tension entre un besoin d’exprimer ou de susciter des changements et la réception ou la résistance à cette expression. L’art est aussi consolation dans la mesure où il permet la manifestation de sentiments ou de comportements impossibles à extérioriser dans la vie réelle.
Dans un système totalitaire, le pouvoir emplit tout l’espace réel ou imaginaire. Dans une démocratie, au contraire, des forces peuvent repousser les limites du consensus, du permis. Les interdits, les tabous, sont parfois tournés en dérision, ce qui, en retour, provoque souvent un resserrement des valeurs, une reconstruction du social. Cette réaction peut déboucher sur des affirmations identitaires ou communautaires, carcans bien plus rigides - parce que librement consentis - que les lois et règles démocratiques.
Bernard Gensane
http://bernard-gensane.over-blog.com/