Le débarquement des réfugiés d’Afrique du nord sur l’île italienne de Lampedusa et à Malte a engendré une série de dissensions violentes entre les états membres de l’Union Européenne. Les autorités d’Italie et de Malte disent qu’elles sont débordées et ne peuvent pas prendre en charge 20 000 réfugiés et quelque et elles réclament l’aide des autres pays de l’UE.
Les gouvernements allemands et français notamment refusent d’accueillir des réfugiés et disent que l’Italie doit s’occuper elle-même de ce "problème". Le conflit s’est intensifié et la France a fermé sa frontière sud pendant le week-end pour empêcher les réfugiés nord-africains de passer en train d’Italie en France.
L’annonce, la semaine dernière, par le gouvernement de Berlusconi qu’il allait accorder des permis de résidence temporaire aux réfugiés tunisiens qui leur permettraient de voyager dans l’espace Schengen, a donné lieu à d’âpres discussions entre les ministres de la justice et de l’intérieur de l’UE réunis le 11 avril. Des interviews dans la presse des différents camps de la discorde ont mis de l’huile sur le feu. Les ministres de l’intérieur de la France, de l’Allemagne et de l’Italie se sont mutuellement accusé de violer la loi européenne et le Traité de Schengen.
Comme il n’a pas été possible d’aboutir à un accord, le ministre italien de l’intérieur Roberto Maroni membre de la Ligue du Nord raciste a menacé de quitter l’UE. Finalement on est arrivé à un consensus minimal sur le fait d’organiser des patrouille conjointes le long des côtes de la Tunisie et de prendre des mesures pour essayer d’arrêter le flux de réfugiés.
La controverse a été engendrée par l’arrivée depuis février de quelque 25 000 réfugiés dans la petite île de Lampedusa qui se trouve à seulement 100 kilomètres de la Tunisie. Ce sont principalement de jeunes tunisiens qui continuent de quitter leur pays depuis la chute du dictateur Ben Ali, car ils pensent n’y avoir aucun avenir. Ils n’ont pas confiance dans le gouvernement de transition et cherchent à échapper au chômage et aux conditions économiques catastrophiques. Ils profitent du fait que le gouvernement de transition tunisien se soit retiré temporairement de l’accord bilatéral avec l’Italie concernant le rapatriement des réfugiés et ait réduit les patrouilles de surveillance côtières.
Depuis le début, les autorités italiennes ont laissé se développer un drame humanitaire pour tenter d’empêcher l’arrivée d’autres réfugiés. Elles avaient d’abord refusé d’ouvrir le centre d’accueil de Lampedusa et avaient instauré l’état d’urgence sur l’île. Les réfugiés étaient obligés de camper dehors en plein air et dépendaient des habitants de l’île pour leur subsistance. En février les autres états membres de l’UE ont refusé d’accueillir des réfugiés d’Afrique du nord.
Les autorités italiennes ont alors procédé au transfert des réfugiés de Lampedusa dans des camps sur le continent. Le centre d’accueil de Lampedusa qui a été ouvert à ce moment-là est plein à craquer. Prévu pour accueillir 800 personnes, il héberge actuellement 2000 réfugiés sous bonne garde policière et militaire.
Les réfugiés sont une épine dans le pied du gouvernement italien parce qu’il a lancé une chasse aux sorcières contre les réfugiés pour détourner l’attention des coupes budgétaires et de la misère sociale en se servant des réfugiés comme boucs émissaires. Ces dernières années, la gouvernement de droite de Berlusconi a durci les lois contre l’immigration illégale et organisé une sorte de pogrom contre les Roms. Le gouvernement veut se débarrasser des réfugiés d’Afrique du Nord le plus vite possible. C’est pourquoi ils leur a accordé un permis de résidence temporaire - qui est valide dans tout l’espace Schengen (composé des 25 états de l’UE) et est l’équivalent d’un visa touristique- dans l’espoir que les Tunisiens vont se rendre principalement en France. Une grande partie des réfugiés parlent Français et ont de la famille ou des amis en France
Berlusconi et le gouvernement maltais font tous les deux pression sur la Commission de l’UE pour accélérer l’application d’une directive européenne de 2001 sur la protection temporaire qui stipule que tous les états de l’UE sont dans l’obligation d’accueillir des réfugiés en cas d’immigration massive. Aussi ce n’est pas par hasard que Maroni et Berlusconi parlent d’un "exode de proportion biblique" et d’un "tsunami humain" qui a envahi les côtes italiennes. Berlusconi a lancé à l’UE un appel au secours dramatique à la veille de la conférence des ministres de l’UE. Il a dit : "Soit l’Europe existe vraiment soit elle ne signifie rien. Et si elle ne signifie rien, alors il vaudrait mieux que nous suivions tous notre propre chemin et que chacun fasse sa propre politique en fonction de son propre ego."
Cependant la menace explicite d’avoir à affronter un nouveau test crucial pour l’Union Européenne n’a pas eu les effets escomptés. Au lieu de répondre par la solidarité, les états membres de l’UE ont annoncé qu’ils remettaient en place un contrôle de leurs frontières avec l’Italie. La présidente de la Commission pour la Justice et les Affaires Intérieures, Cecilia Malmström, n’a pas considéré que les conditions étaient remplies pour appliquer la directive de l’UE.
Le ministre français de l’intérieur, Claude Guéant, a donné des instructions à la police régionale pour remettre en place le contrôle des frontières avec l’Italie et ne laisser passer que les personnes possédant un passeport en règle et des ressources financières suffisantes. Il a justifié ces mesures en disant qu’ "il ne fallait donner l’impression que l’UE accueillait les immigrants clandestins." En France près de 3000 réfugiés ont déjà été arrêtés.
La ministre de l’intérieur autrichienne, Maria Fekter, a, dans des mêmes similaires, insisté sur le fait qu’il y aurait "un vaste effet d’appel" si "la nouvelle se répandait que l’Italie donnait des visas aux immigrants clandestins pour se débarrasser plus vite d’eux." Selon Fekter, l’arrivée des réfugiés d’Afrique du Nord "paverait le terrain de la criminalité."
La diffamation et la criminalisation des réfugiés, à qui on dénie le droit fondamental de voyager librement et d’être protégés de la persécution, de la pauvreté et de la misère, s’explique par des considérations de politique intérieure. La seule différence entre les rhétoriques des gouvernements de Berlusconi, Sarkozy et Merkel est une différence de niveau. Leurs discours occulte aussi les tensions importantes qui sont apparues dans l’UE avec la question des réfugiés. La solidité des principales règles qui concourent à l’unité de Europe est remise en question. Le rétablissement des contrôles aux frontières n’est qu’une expression symbolique de la montée des intérêts nationaux qui tend à séparer les états européens les uns des autres.
Bien que les permis de séjour temporaires que le gouvernement italien a délivrés aux réfugiés soient conformes au droit européen en vigueur, Guéant en France et le ministre allemand de l’intérieur, Hans-Peter Friedrich (Union sociale chrétienne, CSU) ont déclaré que les permis ne pouvaient pas être reconnus et ont accusé mensongèrement l’Italie de violer la loi.
En réponse, les contrôles aux frontières ont été remis en place non seulement en France mais aussi en Allemagne. Bien que les gouvernements des états fédéraux allemands ne soient pas responsables des frontières, le ministre de l’intérieur de la Bavière, Joachim Herrmann (CSU), et celui du Hesse, Boris Rhein (Christian Democratic Union, CDU), ont annoncé qu’ils allaient procéder à des contrôles aux frontières. Un expert CSU des affaires intérieures, Hans-Peter Uhl, a qualifié les actions du gouvernement italien de "violation flagrante du droit européen. Les Italiens légalisent des immigrés clandestins pour qu’ils puissent continuer leur voyage vers l’Allemagne et la France." Uhl a même suggéré de remettre en place le contrôle des avions en provenance d’Italie.
L’Allemagne et la France violent en toute connaissance de cause le traité de Schengen qui a été négocié en 1985 et adopté comme loi européenne en 1997. Il garantit la liberté totale de déplacement des citoyens européens et des immigrants qui ont des papiers en règle. Les contrôles aux frontières à l’intérieur de l’Europe ont donc été abolis et ne peuvent être réintroduits qu’en des circonstances exceptionnelles. Cela s’est produit ces dernières années lors de la coupe mondiale de football et la coupe européenne ainsi qu’avant les sommets du G8 de Gênes en 2001 et de Heligendamm en 2007.
Les habituelles réserves diplomatiques ont été abandonnées et les échanges verbaux se sont durcis. L’expert aux affaires intérieures du parti social démocrate (SPD), Birgit Sippel, a condamné l’attribution de permis de séjours comme étant une "tentative d’extorsion du gouvernement italien". Le vice-président du groupe parlementaire du CDU, Günter Krings, a même accusé le gouvernement italien d’utiliser des "méthodes de chantage dignes de la Mafia".
Maroni, le ministre italien de l’intérieur a réagi vivement en disant : "Nous avons demandé de la solidarité et on nous a répondu : débrouillez-vous ! Je me demande si cela a encore un sens de faire partie de l’UE. Il faut mieux être seul qu’en mauvaise compagnie."
Au premier abord, la férocité de la querelle peut sembler surprenante, car il s’agit "seulement" de 25 000 réfugiés. S’ils étaient répartis entre les 27 pays membres, cela ferait moins de 1000 réfugiés par pays. Mais Rome, Paris et Berlin ne s’intéressent pas au sort des réfugiés. Pour eux, il ne sont qu’un moyen d’entretenir le nationalisme et le chauvinisme.
A l’arrière-plan, se profile la division de l’Union Européenne, un processus que devient de plus en plus évident depuis la crise financière de 2008. L’accent mis sur les intérêts nationaux s’est encore renforcé avec la crise des dettes de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal. Le gouvernement allemand a seulement accepté le plan de sauvetage de l’euro et l’aide financière aux pays en difficulté parce qu’il a pu dicter ses conditions et imposer des plans d’austérité et des coupes budgétaires draconiens.
La hausse récente du taux d’intérêt de la Banque Centrale Européenne est aussi une exigence allemande. Cette hausse a augmenté la pression sur l’Espagne et l’Italie dont les économies vont souffrir en conséquence et elle pourrait aussi saper davantage la confiance dans leur solvabilité. Il ne faut pas s’étonner que la crise des réfugiés ait opposé les gouvernements allemands et italiens.
Ceux qui font le frais de ce conflit sont en dernier ressort les réfugiés d’Afrique du nord. Ils sont catalogués comme "réfugiés économiques" qui n’ont aucun droit d’être en Europe. Pendant que les gouvernements européens s’accusent réciproquement de violer la loi, ce sont les droits fondamentaux à la protection et la sécurité des réfugiés qui sont violés.
Le secrétaire d’état au ministère italien des infrastructures, Roberto Castelli, un membre de la Ligue du Nord, a même dit qu’il préférerait que l’on "coule" les bateaux des réfugiés "en leur tirant dessus" parce que "tout était permis lorsqu’il s’agissait d’empêcher une invasion". Castelly faisait référence au premier ministre espagnol José Luis Zapatero qui avait ordonné que l’on tire sur des immigrants.
Pendant ce temps, le gouvernement de Berlusconi a tenté de conclure un nouvel accord bilatéral avec le gouvernement de transition de Tunisie. Le 5 avril, il a été convenu que l’Italie lui fournirait 300 millions d’euros d’aide pour les contrôles à la frontière ainsi que des bateaux de patrouille et des véhicules tout terrains.
Cependant cet accord ne concerne que les réfugiés de Tunisie qui sont arrivés en Italie après le 5 avril et pas les 23 000 et quelque immigrants Tunisiens qui sont déjà en Italie.
Comme la Tunisie est elle-même devenue la destination des réfugiés de la Libye et en a accueilli au moins 200 000, cet accord a rencontré une grande résistance populaire. Le président du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux, Abdeljelil Bedoui, a dit : "Nous avons demandé aux autorités de ne pas se soumettre aux diktats des autorités italiennes, mais d’attendre et de refuser le rapatriement en masse des immigrants contrairement à ce qui avait eu lieu avec l’accord de réadmission que l’Italie avait signé avec le dictateur Ben Ali et qui ne respectait pas les droits humains."
Le président de la Commission européenne quant à lui a augmenté la pression sur le gouvernement tunisien. A une réunion, mardi dernier à Tunis avec le premier ministre Beji Caid Essebsi, il a demandé aux autorités tunisiennes de prendre des mesures globales pour arrêter l’émigration vers l’Europe. Il a aussi exigé que la Tunisie rapatrie les réfugiés. Barroso a menacé de ne pas leur accorder les 400 millions d’euros d’aide si la Tunisie ne coopérait pas.
L’intervention de Barroso avait pour but principal d’atténuer les violents conflits que la question des réfugiés génère dans l’Union Européenne et qui sont devenus de la dynamite politique.
Le différent sur la question des réfugiés a finalement abouti à un consensus dans les domaines où les intérêts nationaux n’étaient pas en jeu, les domaines qui concernaient le souci commun d’arrêter l’immigration. Les gouvernements de Berlusconi et de Sarkozy se sont mis d’accord pour organiser ensemble des patrouilles le long des côtes tunisiennes. De plus la mission de Frontex sera élargie en Méditerranée. Les ministres de l’intérieur de l’UE n’ont pas mentionné le fait que depuis le début de l’année 600 réfugiés se sont noyés en essayant de traverser la Méditerranée. Ni les 560 personnes qui ont quitté la Libye en bateau il y a quelque temps et qui n’ont pas donné signe de vie depuis.
Martin Kreickenbaum
Pour consulter l’original : http://www.wsws.org/articles/2011/apr2011/refu-a18.shtml
Traduction : D. Muselet