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L’honneur perdu de la diplomatie française

Au mois de février 2003, à la tribune des Nations Unies, Dominique de Villepin, alors responsable des Affaires Etrangères, prononça le non de la France à la guerre que préparaient les Etats-Unis contre l’Irak provoquant ainsi un tollé parmi le microcosme atlantiste de l’hexagone qui préparait déjà en coulisse la rupture avec les fondamentaux de la diplomatie française issus de la gouvernance du Général De Gaulle.

Depuis, l’illustre avocat n’a rien perdu de sa superbe et récidive, dans une tribune publiée dans le quotidien français Le Figaro, en exigeant et à propos de la guerre meurtrière conduite par Israël contre les populations civiles palestiniennes de lever la voix face au massacre perpétré à Gaza en demandant d’articuler deux leviers qui sont celui du Conseil de sécurité de l’ONU par le vote d’une résolution condamnant l’action d’Israël, son non-respect des résolutions antérieures et celui de la justice internationale car, selon lui, l’urgence aujourd’hui est d’empêcher que des crimes de guerre soient commis. Pour cela, il est temps, dit-il, de donner droit aux demandes palestiniennes d’adhérer à la Cour pénale internationale, qui demeure aujourd’hui le meilleur garant de la loi internationale. C’est une manière de mettre les Territoires palestiniens sous protection internationale.

Bien que des crimes de guerre aient été déjà commis depuis le début puisqu’aux soldats et officiers israéliens morts dans des combats à la loyale face aux militants armés de la résistance islamiste palestinienne, ont répliqué des bombardements aveugles conduits par des avions israéliens contre des populations civiles sans armes et sans défense provoquant des milliers de morts, principalement des civils, femmes, enfants, nourrissons et vieillards et dont le dernier crime en date est le carnage de Refah commis lui aussi en violation du droit international et sous le faux prétexte de l’enlèvement d’un officier israélien retrouvé depuis mort, cette prise de position de l’ancien premier ministre français constitue un ultime sursaut pour sauver l’honneur d’une diplomatie française désormais malmenée et ce qui reste de sa grandeur car réduite aujourd’hui et à l’instar de celle des Etats-Unis, au rôle de porte-voix d’Israël. Mais il est vrai aussi que lorsqu’il s’agit des crimes de guerre commis par Israël, la justice internationale n’est jamais saisie, il est plus facile de déférer devant cette cour Rwandais, Serbes ou Ivoiriens, et que des sanctions ne soient jamais votées contre lui alors qu’elles le furent avec célérité et injustement contre la Russie par exemple.

La politique étrangère de la France notamment dans son volet arabe et proche-oriental a été remise en cause par l’ancien Président Sarkozy, aidé en cela par les brèches ouvertes notamment en Libye par Bernard Kouchner et Bernard-Henry Levy, qui l’attela à celle des Etats-Unis en consacrant un rapprochement inédit avec l’OTAN. Cette remise en cause a été poursuivie par la politique proche-orientale conduite par le triumvirat sans doute le plus fidèle d’Israël qu’est connu l’hexagone et qui paradoxalement était en incubation dans la gauche française, celle qui prétend être l’héritière des valeurs de solidarité, de justice et d’amitié entre les peuples. Un président profondément allié d’Israël et lié d’une indéfectible amitié avec son premier ministre, souvenons-nous de ces élans affectifs manifestés à l’occasion d’une récente visite officielle effectuée à Tel-Aviv, un premier ministre qui sème à tout vent répression et interdiction de toute manifestation pro palestinienne en France et qui en fin opportuniste politique espère en récolter les dividendes en 2017 et enfin un ministre des affaires étrangères, véritable stratège et tête pensante de la nouvelle politique étrangère française largement inspirée des thèses néoconservatrices anglo-saxonnes notamment américaines et défendue et vendue à l’opinion publique par les nouvelles stars des médias français, apôtres de la manière forte et fervents défenseurs du nouvel ordre mondial, que sont Alexandre Adler, Alain Finkielkraut et autres Guy Milliére. Ainsi et depuis leur arrivée aux manettes du pouvoir, les responsables de la gauche ont mené une politique étrangère caractérisée notamment par un ardent plaidoyer pour des sanctions extrêmement sévères contre l’Iran voire pour des frappes militaires ciblées sur des sites sensibles, la conduite d’une croisade contre la Russie avec la complicité des médias qui réussirent la prouesse de faire passer les manifestants de Kiev qui paradaient pourtant avec l’insigne nazi au bras pour des révolutionnaires et l’adoption par les pays occidentaux du projet de sanctions économiques contre la Russie qui s’en est suivie, la propension à provoquer, sans succès, la chute du Président syrien Assad avant de se rétracter, le déploiement de troupes militaires au Mali et dans la zone sahélienne, le retrait obligé des troupes déployées en Afghanistan et la consécration d’un sanctuaire auquel l’on ne doit absolument jamais toucher, l’impunité d’Israël, que nul ne peut discuter, ni remettre en cause même dans les moments de folie meurtrière et de destruction génocidaire des populations civiles palestiniennes comme celles qui sont actuellement conduites à Gaza.

Mais quels étaient donc les principes directeurs de la politique arabe et proche-orientale de la France pour prétendre qu’ils sont présentement sacrifiés sur l’autel de la soumission aux Etats-Unis et du soutien inconditionnel à Israël ?

Ces principes dont la doctrine était inspirée, comme cela a été confié avant qu’il ne se retire de la politique par Charles De Gaulle à Paul Balta (1), journaliste et longtemps correspondant du journal Le Monde à Alger, du fait que de l’autre côté de la Méditerranée [existe] une civilisation, une culture, un humanisme, un sens des rapports humains que nous avons tendance à perdre dans nos sociétés... Si nous voulons, autour de cette Méditerranée construire une civilisation industrielle qui ne passe pas par le modèle américain et dans laquelle l’homme sera une fin et non un moyen, alors il faut que nos cultures s’ouvrent très largement l’une à l’autre. Cette doctrine a été portée depuis par de nombreux diplomates français dont Claude Cheysson et Dominique De Villepin qui reprirent à leur compte la nécessité de jeter les bases d’un dialogue de nation à nation plutôt que celle de bloc à bloc, tout en se référant à ses principes de base que furent le refus d’un monde bipolaire et le retrait du commandement intégré de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord. Ces principes directeurs ont été depuis deux décennies remis en cause au profit d’une politique étrangère refondée dont l’attelage aux Etats-Unis, à sa politique interventionniste militaire dans de nombreux pays notamment musulmans (Irak, Afghanistan, Libye, Mali, …) aura été le socle et le moteur principal, sans occulter le reniement des positions tiers-mondistes chers à la gauche, le soutien au viol de l’intangibilité des frontières et aux expéditions militaires punitives aux objectifs non avoués de prédation et à tout ce qui fait la force du nouveau visage hideux des relations internationales. De plus, le jumelage du commerce extérieur avec la diplomatie, mis en place sous le gouvernement actuel en France, sonne comme un renoncement majeur à la noblesse des positions justes à l’égard des conflits majeurs qui perdurent dans le monde au profit de la préservation des intérêts économiques étroits et stricts. Une diplomatie qui se veut soutenir tout le monde et composer avec tout un chacun et avec son contraire avec pour seule et unique ambition d’engranger le maximum de marchés pour une économie en difficulté et concevoir que soutenir la guerre partout dans le monde mais surtout ailleurs que chez soi est dans l’air du temps ne laisse plus d’espace au déploiement futur d’un rôle majeur dans un monde dont la carte géopolitique se redessine chaque jour que Dieu fait. Mais l’impair majeur est surtout celui commis à l’endroit du monde musulman en général et de la cause palestinienne en particulier par cette persistance aveugle à soutenir et à défendre sans relâche Israël et à oublier les crimes de guerre qu’il commet à Gaza. Et les récents réajustements instillés à cette diplomatie vis-à-vis de cette tragédie, du fait de la pression de l’échec consommé de l’incursion sanglante des forces militaires israéliennes à Gaza qui de l’aveu même de certains israéliens n’a pu venir à bout de la résistance farouche des combattants du Hamas, qui ont vaincu le mythe de l’invincibilité de Tsahal comme l’a déjà fait le Hezbollah libanais et fait tomber celui de l’inviolabilité du territoire israélien et ses conséquences politiques et militaires futures au Proche-Orient, ne suffiront pas à redonner plus de visibilité à cette politique étrangère de l’hexagone.

La multiplication des zones de conflits dans le monde et l’exacerbation des tensions régionales constitue de fait, selon certains experts, un troisième conflit mondial déjà en gestation et nul ne peut pour l’instant dire ni prédire ce que sera l’avenir et ce que seront les nouveaux rapports de force qui découleront de l’extinction ou de l’extension de cette multitude de conflits provoqués dans leur majorité, faut-il le rappeler, par la conception belliqueuse des relations internationales que déploient les Etats-Unis et leurs alliés occidentaux. Et pendant que les Brics contestent la légitimité des institutions financières internationales qui défendent surtout les intérêts des économies occidentales, que la crise ukrainienne n’a pas encore révélé tous ses prolongements géopolitique et stratégique qui contribueront inéluctablement, indépendamment de ses dirigeants actuels qui pensent trouver leur salut dans leur allégeance inconditionnelle aux Etats-Unis, à l’OTAN et à la communauté européenne, à poser les jalons d’un nouveau monde multipolaire qui consacrera tôt ou tard la primauté aux peuples et aux nations, à leur épanouissement et à leur coexistence pacifique, qu’une nouvelle diplomatie se met en place et est conduite principalement par les pays émergents, la Russie et la Chine, les errements actuels de la politique étrangère de la France notamment par le reniement des principes d’équité, de justice, de générosité et de paix ne permettront certainement pas d’engranger, pour paraphraser un diplomate algérien, une plus value politique, ni économique eu égard à l’incertitude qui pèse sur l’avenir des relations internationales et réduiront à sa plus simple expression le rôle que pourrait jouer la diplomatie française dans le règlement futur des conflits internationaux en général et de celui du Proche-Orient en particulier.

Salim Metref

(1) Témoignage de l’écrivain Philippe de Saint Robert au colloque de l’Université Paris Sorbonne Abu Dhabi : « Charles de Gaulle et le monde arabe » (16-18 novembre 2008)

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