Récemment, mon attention a été attirée par L’homme de Dieu, film annoncé comme serbe, sur un prêtre orthodoxe : il est si rare de voir un film serbe à l’affiche (en dehors du célébrissime Kusturica, qui est du reste yougoslave, pas serbe) ! En outre, la religion orthodoxe , en ce moment, sent plutôt le soufre, non ? Mais, en même temps que j’étais attirée, je me méfiais ; était-il vraisemblable qu’on laisse passer un film culturellement proche de la Russie, alors qu’on censure même Le lac des cygnes ?
J’avais raison de me méfier : la réalisatrice, Yelena Popovic, donnée tantôt comme née à Belgrade, tantôt à Los Angeles (c’est plus crédible) est en fait une « serbo-américaine » qui a fait carrière à Hollywood, et le film a été réalisé en anglais (curieusement, il passait en français, dans un cinéma où on pouvait voir en même temps plusieurs films en anglais).
Quant au sujet, il étonne par son intemporalité : le héros en est un évêque orthodoxe, Nectarios, qui, au début, en 1890, officie à Alexandrie, en Egypte, et qui, en butte à la malveillance et la jalousie de ses collègues, qui ne veulent pas qu’il soit élu patriarche, le font exiler en Grèce, où ils continuent à le persécuter, y compris dans le couvent de femmes qu’il fonde à Egine. A la fin du film, on nous apprend avec insistance qu’il a été canonisé en deux temps, en 1961 et en 1998. Quel intérêt aujourd’hui ? Pour nous ? Pour les Grecs, eux-mêmes persécutés, collectivement, depuis dix ans, par l’UE, et qui ont d’autres chats à fouetter ?
Un parallèle s’impose avec un film mexicain de Buňuel, Nazarin, (1958 ), d’après le roman de Pérez Galdós : le but était de ridiculiser ce prêtre et son mysticisme (Buňuel étant férocement anticlérical) ; mais, curieusement, l’interprétation bouleversante de Francisco Rabal se retourne contre les intentions de l’auteur et fait du prêtre Nazarin une touchante figure christique. Ici, aucune ironie à l’égard de l’évêque Nectarios : on a affaire à une hagiographie ; Nectarios est toujours présenté comme un saint, et ses adversaires comme faux, pervers, brutaux, à tel point qu’on se demande quels sont leurs motifs, si ce n’est une méchanceté innée et gratuite. Certes, le film est intéressant, parfois touchant, mais on est gêné par son manichéisme outré. Quelle est donc la cible de Popovic ?
On trouve très vite la réponse sur Internet : sur les mêmes pages où on présente le film (toutes les critiques sont élogieuses), on nous informe que les orthodoxes canadiens et étasuniens ont réuni tant d’argent pour aider les Ukrainiens, et on nous appelle à apporter nos dons.
C’est alors qu’on se rappelle que le soft power étasunien utilise aussi l’orthodoxie contre les Russes : l’Ukraine a fait scission en 2018 d’avec le Patriarcat de Moscou, et son autocéphalie (indépendance) a été déclarée par le patriarcat de Constantinople. Il est facile de reconnaître dans les hiérarques sclérosés et haineux d’Alexandrie les dignitaires russes, desquels on conseille à Nectarios de faire appel au Patriarcat de Constantinople, et dans son couvent d’Egine la nouvelle Eglise ukrainienne, régénérée et anti-russe : le film ne raconte pas l’itinéraire d’un croyant qui cherche Dieu, mais la « lutte » de la nouvelle Eglise ukrainienne autocéphale pour se faire reconnaître (20 % des Ukrainiens sont restés fidèles au Patriarcat de Moscou).
L’homme de Dieu est donc un film à clés, un film de propagande anti-russe, dans lequel on embringue les Grecs malgré eux, car leurs sympathies vont aux Russes (pendant la guerre de l’Otan contre la Serbie, on pouvait voir le long des routes grecques des inscriptions à la gloire des héros serbes). Je n’ai pas envie de la faire plus longue, tant la propagande est évidente dans toutes les réalisations « culturelles » actuelles : le fameux crayon des pro-Charlie a vite révélé sa vraie nature : une mitraillette.