La Chancelière Angela Merkel a inauguré, le 28 mai, une importante exposition marquant le centenaire de la première guerre mondiale à Berlin. Dans son allocution, elle a évité de mentionner la montée des tensions au coeur de l’Europe. L’élite européenne a d’autres problèmes que l’Ukraine post-Maidan. Le temps est venu de redessiner le paysage politique de Bruxelles et c’est beaucoup plus important que de nettoyer les écuries d’Augias de Poroshenko...
Qui sera le prochain président de la Commission Européenne, voilà la question ! Est-ce que ce sera Jean-Claude Juncker ou le candidat socialiste Martin Schultz ? Est-ce que Günther Oettinger, le Commissaire européen à l’Energie, restera membre de la Commission et si oui en quelle capacité ? Bref, les résultats des élections européennes et ce qui s’en est suivi a relégué aux oubliettes la crise ukrainienne qui prend une tournure endémique. Le coup d’état du Maidan rappelle les "printemps arabes" et notamment l’Egypte. Il n’y a aucun espoir que l’Ukraine puisse faire le ménage et laisser la crise derrière elle dans l’avenir immédiat. De plus, combien de temps Poroshenko parviendra-t-il à se maintenir au pouvoir alors que le pays est au bord de la faillite politique et économique ?
Le "président du chocolat" a exposé sa vision de la situation et les mesures qu’il juge nécessaires. l’Occident lui a promis son soutien. Madeleine Albright, l’ancienne secrétaire d’état étasunienne, a dit avec condescendance qu’il fallait "donner sa chance" au président ukrainien. L’arrogance étasunienne n’est pas nouvelle et n’embarrasse pas les médias ukrainiens pour qui cette déclaration sonne, au contraire, comme un blanc-seing.
Les experts étasuniens clament d’une seule voix que l’élection ukrainienne apporte la stabilité au pays. L’Allemagne est moins optimiste, elle espère que la légitimation du régime de Kiev permettra un dialogue entre l’Ukraine et la Russie. "L’Ukraine doit faire preuve d’adresse diplomatique et de souplesse et se montrer prête à faire des concessions. Poroshenko ne peut pas remonter le temps et réintégrer la Crimée. Mais il peut s’entendre avec Moscou pour éviter une plus grande désintégration du pays," écrit le Neue Osnabruecker Zeitung (1). Le journal considère Poroshenko comme quelqu’un d’éduqué. Il est diplômé de l’élitiste Institut des relations internationales de l’Université Taras Shevchenko de Kiev où il a obtenu une licence d’Economie Internationale en 1989. Selon le journal, le président élu a la réputation d’être un homme d’affaire avisé. Handelsblatt (2) est moins affirmatif. Pour ce dernier, Poroshenko est un moindre mal. Il dit que l’Ukraine ne peut pas se passer d’oligarques, aussi regrettable que ce soit. Ceux qui voulaient une "nouvelle Ukraine" et ont pris part aux manifestations de Bruxelles se plaignent que d’anciennes personnalités trop connues soient arrivées au pouvoir. Le coup d’état et l’élection qui a suivi ont simplement abouti à remplacer un oligarque par un autre.
Si on avait espéré que les autorités de Kiev se montreraient ouvertes au compromis, l’élection a enterré cet espoir. Kiev croit que l’élection du 25 mai lui donne carte-blanche pour continuer son opération punitive dans le sud-est. Les médias allemands ont tout de suite compris ce que cela signifiait et ont transféré leurs bureaux de Donetsk et Lugansk à Kiev. Ils pensent que c’est beaucoup plus sûr là parce que, comme Poroshenko l’a déclaré dans un interview au journal allemand Bild, une guerre civile fait rage au sud-est du pays.
Kiev semble avoir sous-estimé l’importance du problème du gaz et de la dette qu’il doit rembourser à la Russie. Il a l’intention de porter plainte devant le Tribunal Arbitral de Stockholm (?). Il a aussi commencé à parler de "compensations" pour la Crimée.
Pour l’Allemagne l’éventualité d’une coupure du gaz à l’Ukraine et d’une rupture du transit du gaz à travers l’Ukraine ne serait pas une tragédie. Elle ne dépend pas de ce transit car elle est livrée directement par le gazoduc Nord Stream et à travers la Biélorussie et la Pologne. En cas de rupture de courte durée comme pendant l’hiver 2009, les Allemands pourraient même se présenter comme les sauveurs de l’Europe en lui revendant une partie de leurs réserves. Mais on n’a plus le temps de faire joujou, les stocks doivent être reconstitués cet été pour assurer la fourniture de gaz cet automne et cet hiver. Berlin le sait très bien. Juste avant le meeting des trois partis concernés, il a essayé de raisonner les politiciens ukrainiens. Angela Merkel a forcé le premier ministre Arseniy Yatsenyouk à écouter de nouveaux arguments. Le 29 mai, le PM ukrainien a dit que, en vertu du Traité Européen de la Charte de l’Energie et des obligations imposées par les membres de la Communauté Européenne de l’Energie, l’Ukraine était prête à laisser la Russie accéder au système ukrainien de transport de gaz naturel. La Russie en a-t-elle besoin ? Vaine question. Le président de la Commission Européenne, José Manuel Barroso, a dit que suspendre la construction du South Stream*était la seule sanction qui gênerait vraiment la Russie mais son mandat se termine et la construction du South stream avance.
Il faut mentionner ici un autre problème. l’Europe est affectée par la crise en Ukraine et la situation est grave. Le pays a 15 réacteurs nucléaires en activité qui ont produit 44 % de sa production électrique en 2013 selon l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA). En mars, l’Ukraine a demandé à l’AIEA son aide en cas d’attaque de la Russie. Le délégué de l’Ukraine à l’AIEA a écrit dans une lettre au directeur de l’AIEA, le général Yukiya Amano : "Les actions illégales de l’armée russe et la menace d’actions violentes sur le territoire ukrainien font peser une menace sur la sécurité de l’Ukraine qui pourrait avoir de graves conséquences pour ses installations nucléaires". Il a ajouté : "Une éventuelle invasion militaire pourrait entraîner la contamination radioactive du territoire de l’Ukraine et des états voisins". Il a été entendu. le 19 mai, le secrétaire général de l’OTAN, Anders Fogh Rasmussen, a dit dans une conférence à Bruxelles que l’OTAN avant envoyé une équipe d’experts civils pour améliorer la sécurité des installations nucléaires. Les Allemands sont très sensibles aux problèmes de sécurité nucléaire et ils suivent l’affaire de près. En 2012, pendant le mandat du président Youshenko, l’Ukraine avait essayé d’utiliser du fuel made in USA pour ses installations nucléaires. Il avait alors fallu arrêter les installations pour des raisons de sécurité.
Natalia MEDEN,
Strategic Culture Foundation
(1) Westdörp U. Ukraine nach Wahl/Neue Osnabrücker Zeitung, 26.05.2014.
(2) Das kleinere Übel/Handelsblatt, 24.05.2014
Traduction : Dominique Muselet
Notes du traducteur :
* http://www.rfi.fr/europe/20140418-ukraine-eurodeputes-proposent-arret-projet-gazoduc-south-stream-russie-union-europeenne/
**Voir en complément l’analyse de Philippe Grasset : http://www.dedefensa.org/article-la_crise_trouve_son_centre_et_son_sens_02_06_2014.html