Par où commencer pour décrire Pyongyang ? La ville apaise les yeux du visiteur. Aucune publicité, aucune enseigne commerciale, aucune affiche vendant tel ou tel produit, aucune agression visuelle. Le calme des rues et des grandes avenues en fin d’après-midi est agréable lorsqu’on connait le chaos des centre villes des grandes cités européennes aux heures de sortie de travail. Par la fenêtre du minibus je regarde les gens qui marchent sur les trottoirs, attendent le tramway, les enfants qui se tiennent par la main, sourient et s’amusent. Des scènes ni plus ni moins banales que celles qui se jouent à Paris, Madrid ou ailleurs. Mais dans cette capitale, sans doute la plus décriée au monde, il semble nécessaire de souligner ce quotidien fait des mêmes petites choses qu’ici. Il faut dire que puisque la Corée du Nord « rend fous ceux qui en parlent » comme le dit le spécialiste Bruce Cummings [1], il est important de raconter les choses à tête reposée. Ce texte revient donc sur un voyage effectué il y a plus d’un an et demi dans ce petit pays situé à l’extrémité du continent asiatique. Le 1 septembre 2012 une délégation de 12 jeunes communistes espagnols, organisée sous la bannière des CJC (Collectifs des Jeunes Communistes), se retrouvait à Pékin. Le 4 septembre, à travers la compagnie aérienne Air Koryo, la délégation atterrissait à l’aéroport de Pyongyang. J’accompagne ce groupe pour 10 jours de visite officielle en République Populaire Démocratique de Corée plus connue sous le nom de Corée du Nord. Invitée de marque par le régime, la délégation est logée au sein du grand hôtel Chongnyon, qui appartient à la Ligue des Jeunesses Socialistes Kim Il Sung. Enorme bâtiment gris duquel on peut apercevoir une bonne partie de la ville. A l’arrivée, un programme de visite bien défini nous est proposé sur l’ensemble du séjour. La première d’entre elles, comme le veut la tradition, est le dépôt de gerbes aux statues de Kim Il Sung et de Kim Jung Il sur la colline Mansudae qui surplombe la capitale. Deux grands colosses de bronze s’imposent sur une énorme place blanche aveuglante sous le soleil d’été. Des dizaines et des dizaines de coréens s’y rendent, en groupe, pour eux aussi rendre hommage à leurs dirigeants. Quelques touristes, toujours accompagnés de guides, se prennent en photo au pied des sculptures. Toujours soucieux de respecter l’horaire du programme, nos accompagnateurs s’empressent de nous faire remonter dans le minibus qui n’aura de cesse de nous emmener aux différentes visites. L’Université Kim Il Sung, le Palais de la Jeunesse, le Théâtre du Peuple, la Tour de l’idée Juche, etc. une vision globale des différentes installations publiques de la capitale ainsi que quelques déplacements en dehors vont nous être offerts durant ce court séjour.
« On ne te montre que ce que l’on veut te montrer » me disent la plupart des gens à mon retour, soulignant la frustration que marque l’absence d’autonomie dans les déplacements. Il est certain que si l’on part du principe qu’une fois sur place tous ne sont que des figurants dans une gigantesque mise en scène visant à cacher les camps de prisonniers et l’oppression brutale d’un régime ubuesque, alors rapporter les choses vues sur le terrain n’y changera rien. Pourtant, si l’on prend pour référence les informations données ici (en Europe occidentale) sur ce qui se passe là-bas on peut, avec un minimum de recherche, se rendre compte qu’elles s’avèrent être fausses dans la plupart des cas. Par exemple, durant la coupe du monde de football de 2010, suite à l’élimination de l’équipe de la RPDC (sa qualification au Mondial relevait de l’exploit) l’ensemble des médias a affirmé que celle-ci avait subi des sanctions pour ne pas avoir remporté la compétition. « L’entraineur de Corée du Nord condamné aux travaux forcés » titre le Figaro en août 2010 [2]. Le parisien, au même moment, affirme que « tous les joueurs - sauf deux Jong Tae-se et An Yong-Hak, nés au Japon - et l’entraîneur ont été convoqués au Palais de la Culture des Peuples pour être humiliés et insultés durant six heures par 400 individus parmi lesquels des journalistes et des dirigeants politiques » [3]. Pourtant, en janvier 2011, dans un article publié par le journal Libération (nullement proche du régime de Pyongyang) et signé par Michel Temman on peut lire ceci : « Après un Mondial piteux, l’équipe de foot n’a pas été jetée au bagne. Elle participe à la Coupe d’Asie (...) De fait, les footballeurs nord-coréens n’ont pas été sanctionnés pour leur Mondial : 17 des joueurs présents en Afrique du Sud sont aujourd’hui au Qatar, ou la Corée du Nord débute la Coupe d’Asie des nations. « Satisfaite qu’aucun joueur n’ait été puni », la Fifa n’a pas poussé plus loin son enquête. Elle a reçu des autorités nord-coréennes et de plusieurs sources parallèles l’assurance que Kim Jong-hun (l’entraineur) n’avait pas été maltraité ni condamné à l’exil dans un bagne » [4].
En décembre 2013 l’annonce de l’exécution par les autorités nord-coréennes de Jang Song-Thaek est un autre exemple de la désinformation à laquelle est soumise la petite nation asiatique. Oncle du dirigeant Kim Jung Un, Jang Song-Thaek est vice président de la commission de la défense nationale lorsqu’il est démis de ses fonctions et exécuté le 12 décembre 2013 pour “haute trahison”. Selon le site FranceTVinfo.fr Pyongyang reprochait au dirigeant d’avoir commis « des actes criminels » mais également d’avoir des « relations inappropriées avec des femmes » ou encore d’avoir « mollement applaudi lors d’une réunion officielle » [5]. A cela s’ajoute que quasiment tous les médias ont relayé les détails de l’exécution durant laquelle « Jang Song-thaek et cinq de ses bras droits auraient été déshabillés et jetés dans une cage, avant que ne soient lâchés 120 chiens, affamés depuis trois jours, sur eux. Une centaine d’officiels ainsi que Kim Jung Un auraient assisté à ce spectacle de près d’une heure » [6]. Dévoré par des chiens pour ne pas avoir applaudi avec vigueur... le fantasme est à son comble. Pourtant, sans pour autant aller lire la version d’un quelconque journal nord-coréen, un autre son de cloche est mis à la disposition du lecteur français : Le 15 décembre 2013 le site du Courrier International met en ligne un article traduit d’un journal sud-coréen (Kyunghyang Sinmun) dans lequel les propos d’un exilé nord-coréen passé au Sud sont exposés. Extrait : « Kang Myong-do, professeur d’université réfugié en Corée du Sud, révèle que Jang Sonk-taek, oncle de Kim Jong-un et ex-numéro deux du régime de Pyongyang, récemment exécuté, avait pour but de provoquer des changements en Corée du Nord. Le Pr Kang a affirmé dans une interview, donnée à la chaîne sud-coréenne YTN le 13 décembre, avoir été en contact avec Jang Song-taek. Kang Myong-do, 55 ans, gendre de l’ancien Premier ministre nord-coréen Kang Song-san, a fui la Corée du Nord en 1994. Le Pr Kang aurait essayé de rallier à sa cause Jang Song-taek – exécuté par son neveu Kim Jong-un. Il aurait aussi effectué récemment quelques déplacements secrets en Chine et en Asie du Sud-Est pour rencontrer certaines personnalités nord-coréennes. ’De deux choses l’une, ou Jang Song-taek était écarté du pouvoir, ou Kim Jong-un était tué’ » [7]. Sans que cela n’intervienne sur le débat autour de la peine de mort cette information offre une autre perspective sur la réaction des autorités nord-coréennes à l’égard de ce qui semblait être une menace de déstabilisation politique. Quant à l’exécution par des chiens affamés elle s’est avérée être une “blague” provenante d’un site web chinois et qui fut reprise en boucle par de nombreux médias (une sorte d’humour de répétition). Comme le souligne un article sur le site de RFI en janvier 2014 : « Cette affaire n’est pas la première ; il semble qu’avec la Corée du Nord, c’est comme si les médias oubliaient l’une des règles essentielles du journalisme : la vérification » [8]. Jang Song Taek a, en réalité, été fusillé. Dernière boulette en date : l’annonce en août 2013 de l’exécution de la chanteuse Hyon Song-Wol (ancienne petite amie de Kim Jung Un selon les médias) pour avoir fait une sex-tape avec son compagnon du moment. « ’Ils ont été tués à la mitrailleuse pendant que les proches des victimes observaient la scène’, écrit le journal sud-coréen. Si la vision horrible de proches exterminés ne suffisait pas, Chosunilbo (journal Sud-coréen) précise que les familles du couple auraient été déportées dans des camps de travail, selon le principe nord-coréen de ’culpabilité par association’ » informe Lepoint.fr [9]. Miracle ! Le 17 mai 2014 le site d’information RT (Russia Today), relayant une information du journal britannique The Guardian, informe que la chanteuse Hyon Song-Wol est ré-apparue à la télévision nord-coréenne lors d’un événement culturel à Pyongyang [10]. Vivante, évidemment.
Le mois de septembre est doux à Pyongyang. Les avenues et les parcs sont fleuris et bien entretenus. De nombreux drapeaux rouges et de la RPDC ornent les trottoirs, annonciateurs de la Fête Nationale qui a lieu le 9 septembre. Une sensation d’apaisement règne dans les rues de la capitale. On voit partout des groupes de militaires, jeunes, mixtes, mais jamais armés. Ils viennent en groupe au cirque, au zoo, dans les salles de concert, etc. La nuit tombée Pyongyang s’endort sous une lumière chaude et discrète. Nous sommes loin des villes stroboscopes qui brillent de milles feux et se recouvrent d’enseignes publicitaires lumineuses. L’image d’un pays “plongé dans le noir” colle à la peau de la Corée du Nord, face à l’électrique voisine Corée du Sud. « Des images satellites révélées par la NASA montrent que le pays dirigé par le dictateur Kim Jong-un est littéralement plongé dans le noir et semble complètement isolé du reste du monde » rapporte le site d’information du 20 minutes en février 2014 [11]. Pourtant de la fenêtre de ma chambre je vois la capitale ainsi que les voitures qui, pareils à des lucioles, sont devenues des points lumineux qui défilent le long des axes routiers. Dans un ouvrage sur l’économie de la RPD de Corée, l’auteur Benoit Quennedey relève les chiffres de production d’électricité dans le pays (selon les données de la CIA). La production d’électricité au niveau national est de 22,5 milliards de kWh en 2008 ; à titre de comparaison, la même année, le Maroc est à 19,8 milliards de kWh, l’Irlande à 27,28 milliards de kWh, le Nigeria à 21,92 milliards de kWh et l’Equateur à 16,42 milliards de kWh [12]. On est loin d’une exception “obscurantiste”.
Toujours se référent aux chiffres la Corée du Nord possédait, en 2011 (selon le rapport de 2012 du Programme des Nations Unies pour le Développement, PNUD), une espérance de vie de 68,8 ans. Soit plus que l’Afrique du Sud (52,8) ou le Sénégal (59,3) et au même niveau que l’Ukraine (68,3) et la Russie (68,8). Toujours selon la même source, en 2008, le taux de mortalité maternelle de la RPD de Corée est de 250 décès pour 100.000 naissances. A titre de comparaison les Etats Unis ont un chiffre de 24 sur cent mille, la Chine de 38, le Cameroun de 600 et la Sierra Leone de 970 [13]. Sur le pourcentage d’accouchements assistés par des personnels soignant qualifiés la Corée du Nord se situe néanmoins au niveau des pays les plus développés : 97%. Légèrement inférieur à la France (99%) mais au dessus des Philippines (62%) ou encore de l’Inde (53%) [14].
Quant à l’éducation « comme dans les pays développés d’Europe et d’Amérique du Nord, la quasi-totalité de la population nord-coréenne est alphabétisée » rapporte Benoit Quennedey [15]. Selon les chiffres du rapport du PNUD de 2011 le taux d’alphabétisation des adultes en RPD de Corée (soit +de 15 ans) est de 100%. Situant le pays légèrement au dessus de certaines nations nettement plus développées comme l’Espagne (97,7%) ou le Mexique (93,6%). En se basant sur un rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé datant de 2010, la RPD de Corée possède une “densité de médecins” (médecins pour 10.000 habitants) équivalentes aux pays développés comme l’Allemagne ou le Royaume Uni : plus de 30 médecins pour dix mille habitants. Alors que dans le groupe de classement inférieur (à savoir entre 20 et 29 médecins pour 10 mille habitants) on trouve des pays comme le Japon ou les Etats Unis [16]. Ainsi, malgré un bilan correcte sur certains points la RPD de Corée ne parvient pas à se détacher de l’image d’épouvantail qu’agitent régulièrement les grands médias d’information. Même un quotidien proche du courant anti-impérialiste comme l’Humanité parle d’un « royaume de l’horreur et du sadisme » sous la plume d’un certain Damien Roustel [17].
“Royaume” ou “dictature” sont souvent des mots évoqués faisant fi du fait, qu’officiellement, la Corée du Nord se présente comme une “République” . Il y existe trois partis politiques : Le Parti du Travail de Corée, le Parti Social-démocrate de Corée et le Parti Chondogyo Chong-u. Les trois sont membres du Front démocratique pour la réunification de la patrie (qui dans ce cas là représente l’unique force politique du pays) [18]. Ajoutons que selon la “Constitution Socialiste” de la RPD de Corée c’est l’Assemblée populaire suprême « constituée des députés élus au scrutin secret, selon les principes du suffrage universel, égal et direct » qui est l’organe de pouvoir supérieur de la nation. C’est cette Assemblée populaire, qui possède un mandat de cinq ans, qui élit le Président du Comité de la défense nationale de la RPD de Corée (le chef des armées). Dans ce cas précis Kim Jung Un depuis 2012. Toujours selon la constitution (article 66) « le citoyen acquiert, à partir de 17 ans, le droit de vote et le droit d’être élu sans distinction de sexe, d’origine ethnique, de profession, de durée de résidence dans le pays, de fortune, de degré d’instruction, d’appartenance politique, d’opinion politique ou de confession » [19]. Admettons que cela ne soit que de jolis mots écrits dans de beaux textes comme peut l’être la Déclaration des Droits de l’Homme appliquée à la réalité du monde.
Alors en effet, si l’on s’attarde sur les rapports d’Amnesty International (de 2012), on peut relever, dans le cas de la RPD de Corée, l’existence « de crises alimentaires », « d’arrestations et de détentions arbitraires », de « tortures », de l’existence de la peine de mort et d’une absence « d’opposition politique connue » [20]. De quoi confirmer cette image de dictature féroce. Pourtant, si l’on s’attarde à regarder la situation des autres pays (y compris ceux qui ne sont pas qualifiés de “dictature”) on découvre également de graves violations en matière de Droits de l’Homme. Par exemple, selon ce rapport de 2012, Amnesty International relève en France l’existence de « tortures et mauvais traitements » supposément infligés par des membres de la force publique, ainsi que des cas de « morts aux mains de la police » et « des cas de discrimination de membres des minorités ethniques et religieuses », notamment les Roms [21]. En Grèce également Amnesty International souligne l’existence « de torture et d’autres mauvais traitements infligés dans des postes de police et des centres de détention pour migrants », « de conditions de détention médiocres et d’une grave surpopulation » dans les prisons et d’actes de racisme de la part d’agents de police [22]. La Corée du Sud, alors qu’elle est souvent mise en avant pour pointer du doigt la déviance maléfique de sa voisine, possède pourtant des caractéristiques communes à celle-ci selon Amnesty International. Comme dans le nord la peine de mort y est maintenue, la liberté d’expression y est soumise à d’importantes restrictions et les détracteurs du gouvernement sont victimes « d’harcèlement » et de « poursuites judiciaires », tout comme le sont « les personnes qui, sans violence, exprimaient leurs opinions ou diffusaient des informations sur Internet » contraires au pouvoir [23]. Enfin, si l’on s’éloigne de tous ces rapports et de ces chiffres mais que l’on reste dans le bon sens tout simplement, il serait difficile de faire de la RPD de Corée la nation la plus belliqueuse ou meurtrière si l’on prend en compte l’ensemble des interventions militaires orchestrées par les Etats Unis depuis le milieu du XX°siècle, la politique israélienne à l’égard de la Palestine ou l’implication de l’état colombien dans l’assassinat d’opposants et de syndicalistes. Une chose n’excusant pas l’autre, elle a au moins le mérite de nuancer les propos.
C’est ce que je vois à travers la fenêtre du minibus pendant que celui-ci roule dans Pyongyang : un pays qui n’est ni l’enfer décrit ni le paradis socialiste espéré. A l’avant du car, l’un de nos guides, Kim, prend le micro et entonne la chanson “Besame mucho” (embrasse moi beaucoup, chanson mexicaine de Consuelo Velasquez) qu’il a apprise durant ses études à Cuba. Un brin espiègle il s’amuse à emprunter les expressions typiques du parler cubain lorsqu’il s’adresse aux jeunes espagnols. A côté de moi, “Perla”, notre traductrice également, me montre une vidéo de son fils sur son portable. Elle me pose des questions sur l’Espagne et la France puis me parle du Pérou, où elle a vécu quelques années. « C’est à toi de chanter » lance Kim en tendant le micro à sa compatriote. Perla nous annonce qu’elle va nous chanter une chanson coréenne traduite à l’espagnol. « Ma bien aimée Pyongyang, tu es mon coeur, tu me manques jour et nuit, chaque fois que je me trouve loin de ma Pyongyang je t’accompagne, Pyongyang, Pyongyang... » [24].
Loïc Ramirez
mai 2014
Photos : Archives de l’auteur - Rues de Pyongyang en septembre (2012)