Le 18 septembre, l’artiste de hip-hop Pavlos Fyssas, alias Killah P, était poignardé devant un bar à Keratsini, Grèce.
Larry Summers a un alibi en béton. Mais je ne le crois pas.
Larry n’a pas manié le couteau : le tueur qui est passé aux aveux est un petit taré membre d’Aube Dorée, un parti politique composé de skinheads tordus, de psychopathes racistes, d’islamophobes, d’antisémites, d’anti-albanais et de cinglés ultra-patriotes. Imaginez un Tea Party à la grecque.
Après l’assassinat de Fyssas, d’autres groupes de dérangés psychopathes, à savoir l’Union Européenne et la coalition gouvernementale grecque, ont pris des mesures pour faire interdire Aube Dorée.
En l’espace d’un week-end, les dirigeants grecs ont arrêté six députés d’Aube Dorée. Apparemment, les dirigeants politiques grecs préfèrent la démocratie telle qu’elle est définie par le Général Sisi en Egypte.
A tous mes amis de la gauche grecque : toutes ces explosions de joie autour de l’arrestation des députés d’Aube Dorée me rendent malades. Retenez bien ceci : votre tour viendra.
Ecoutez bien :
Mon enquête révèle que derrière l’interdiction d’Aube Dorée se trouve quelque chose de bien plus sinistre que le mépris habituel de l’Europe pour la démocratie : les partis au pouvoir sont en train de détourner l’attention du public de leur propre culpabilité.
La montée de la violence et des crimes racistes n’est pas une surprise. Le taux officiel de chômage en Grèce est de 28 %, et plus de 60 % parmi les hommes jeunes. Pas de surprise donc si des jeunes désespérés enroulent un drapeau grec autour de leurs battes pour tabasser des immigrés : lorsque les gens ont le dos au mur, ils se mettent en chasse de ceux qui les tourmentent – et le plus souvent finissent par s’en prendre à ceux qui les ressemblent.
Les ravages économiques engendrent le fascisme. Dans les années 30, les affamés et désespérés ont cherché refuge dans l’hyper-patriotisme, le racisme et les pogroms. Dans les années 80 de la récession reaganienne aux Etats-Unis, lorsque les usines du Midwest fermaient, les chômeurs désespérés ont rejoint les sectes de skinheads d’extrême droite et se sont mis en chasse – en commençant par le meurtre du journaliste juif Alan Berg et en terminant par l’attentat d’Oklahoma, qui a fait 168 morts.
Vautours au dessus d’Athènes
Aube Dorée est le symptôme du mal, pas la cause. Malheureusement, les chemises brunes s’en prennent aux proies faciles – Pakistanais, Tsiganes, Africains, tous ceux qui sont différents et faciles à tabasser. Il est beaucoup plus facile de poignarder un artiste de hip-hop que de s’en prendre à un requin de la finance.
Les véritables coupables des souffrances sont bien cachés. Alors permettez-moi de vous en présenter quelques uns : en Grèce, commençons par les milliardaires Kenneth Dart et Paul « le Vautour » Singer.
Dart et Singer ont acheté des obligations du gouvernement grec pour trois fois rien. Alors que les détenteurs de 97 % des obligations grecques avaient accepté de perdre 75 % de leur valeur, Dart et Singer ont exigé le paiement de plusieurs fois leur prix d’achat. Puis Dart et Singer ont menacé le gouvernement grec qui était fauché. Si la Grèce ne versait pas la rançon, Dart et Singer allaient déclarer les obligations grecques en défaut de paiement. Toutes les banques européennes qui détenaient de telles obligations risquaient une faillite technique : la valeur des obligations gouvernementales à travers le monde se serait effondrée et l’ensemble de l’hémisphère risquait un effondrement financier.
C’était du terrorisme financier, et le gouvernement grec a cédé. Il a payé la totalité de la rançon exigée. Dart s’est emparé de plus d’un demi milliard de dollars (513 millions) du trésor grec - et Dieu seul sait combien Singer a empoché.
(note du Traducteur : Kenneth Dart a tenté le même coup contre l’Argentine en mai 2013 http://en.mercopress.com/2013/05/24/argentina-raids-factory-of-us-investor-head-of-a-hedge-fund-litigating-defaulted-sovereign-bonds)
Comment fut payé ce festin de vautour ? Avec de « l’austérité » - en serrant une ceinture dont il ne restait déjà plus que la boucle. Pour payer Singer et Dart, le gouvernement grec a annoncé qu’il allait licencier 15.000 fonctionnaires.
Ce qui est scandaleux, c’est que la coalition au pouvoir ne dit pas que c’est pour couvrir les paiements aux vautours. Plutôt que de résister à ces terroristes financiers, le gouvernement accuse les victimes, en montrant du doigt ses propres citoyens comme des paresseux et des égoïstes qui doivent être punis. La punition des victimes est appelée « austérité ».
Le conte de fée de l’austérité
Mes enfants me demandent souvent : « Papa , c’est quoi l’ « austérité » ? » Et je leur répond :
Il était une fois, une bonne fée du nom de John Maynard Keynes. Il voulait arrêter les récessions, les crises financières et la souffrance, alors il a conçu le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale. Il a dit : « Lorsque les recettes en devises d’un pays chute (par exemple, si le prix du pétrole augmente ou le tourisme grec dégringole parce que sa monnaie est surévaluée), les pays qui prennent au pays pauvre son argent, les pays riches comme l’Allemagne et les État-Unis, prêteront en retour cet argent via le FMI.
Avec ce système, les riches prêteront aux pauvres, le monde prospérera et vivra heureux pour toujours . . . jusqu’aux années 1980, lorsqu’une méchante sorcière, appelée la Dame de fer, et le grand-père gaga de l’Amérique, le Reagan des riches, ont insisté pour que le FMI et la Banque Mondiale rossent les pays pauvres avec un bâton appelé « ajustement structurel ».
Des nations au bord de la misère en raison du prix du pétrole, des taux de change ou des taux d’intérêt usuriers qui leur étaient exigés, furent « structurellement ajustés ».
L’ajustement structurel est une potion cruelle et débilitante composée de licenciements massifs de fonctionnaires, de bradages d’actifs de la nation et de déréglementations. Ce charcutage des morceaux les plus nobles de l’état est appelé « austérité ».
La bonne fée Keynes avait mis en garde contre cette potion maléfique, ce venin appelé « austérité ». La réduction des dépenses du gouvernement en période de récession, disait-il, ne fera qu’empirer les choses.
Et c’est ce qui arriva : sans exception, toutes les économies des nations « ajustées » furent dévastées.
L’ajustement structurel a atteint son paroxysme cruel au début des années 1990 sous la direction du chef économiste de la Banque Mondiale, un certain Larry Summers.
Mais en 1997, Summers fut remplacé à son poste par le Professeur Joseph Stiglitz.
En 2001, j’ai rencontré Stiglitz dont j’avais entendu dire qu’il émettait discrètement de sérieuses doutes sur l’austérité et les ajustements structurels à la Summers. Il accepta de s’exprimer publiquement. Au cours de plusieurs heures de conversations, que j’ai enregistrées pour la télévision BBC, Stiglitz a affirmé que l’austérité imposée par le FMI était « un peu comme au Moyen Age, lorsque le patient mourrait, ils disaient eh bien, nous avons interrompu la saignée trop tôt ; il lui reste encore un peu de sang ».
Stiglitz m’a détaillé les effets néfastes des contraintes de « l’ajustement structurel », dont le commerce « libre », qu’il comparait aux guerres de l’opium, la déréglementation bancaire, qu’il trouvait ridiculement dangereuse, la privatisation, que Stiglitz appelle la « corruptification » et les coupes budgétaires.
Les compressions budgétaires et le libre-échange, présentées comme des panacées, étaient aussi cruelles que stupides, m’a dit Stiglitz. Et parlant de ceux qui tiraient profit de ces diktats du FMI , « Ils ne se soucient pas si les gens vont vivre ou mourir. »
Stiglitz a remporté le prix Nobel d’économie pour son scepticisme envers le Marché über Alles.
Alors comment, dix ans après que la corruptification et toutes ces cruautés aient été dénoncées et discréditées, la Grèce (et aussi l’Espagne, le Portugal et bien d’autres) s’est-elle retrouvée prise dans les griffes sanglantes de l’austérité ?
Pour commencer, en 2000, Larry Summers, en tant que secrétaire au Trésor américain, a demandé avec succès le limogeage de Stiglitz de la Banque Mondiale et a purgé la Banque Mondiale et le FMI de tous les hérétiques opposés à l’austérité.
Pourquoi ? L’austérité peut ruiner le public, mais elle est sacrément rentable pour ceux qui sont à l’abri.
Il suffit d’une émeute et de quelques cadavres.
Les émeutes du FMI
Parmi les révélations renversantes que Stiglitz m’a faites, il y avait sa description de « l’émeute du FMI. » Je lui ai montré les plans confidentiels de la Banque Mondiale et du FMI pour l’Equateur. Il y avait notamment ce qui semblait être un avertissement pour le ministre des Finances de ce pays, que l’austérité pourrait conduire à la violence dans les rues, à des « troubles sociaux » - que la Banque Mondiale recommandait d’écraser avec « fermeté ». En Equateur, (à l’époque - NdT) « avec fermeté » se traduisait par des blindés dans les rues.
Le FMI a-t-il vraiment intégré les émeutes dans ses plans ?
Oui, répondit Stiglitz, d’un ton neutre. « Nous avions un terme pour ça : L’émeute du FMI. »
Lorsqu’une nation est « au bout du rouleau [ le FMI ] en profite, et extrait jusqu’à la dernière goutte de sang. Ils accentuent la pression jusqu’à ce que la chaudière explose ».
Et c’est ce à quoi nous assistons en Grèce. Ca a commencé en mai 2010, lorsqu’un certain dérangé a cru bon de mettre le feu à une agence de banque à Athènes, tuant quatre employés. Il n’en fallait pas plus : les protestations de la gauche contre la folle austérité et le gangstérisme des banquiers se sont interrompues.
Pourtant, les gens pouvaient voir que la cure d’austérité rendait la Grèce malade. Ils ont alors mis leurs espoirs dans un nouveau parti, Syriza, qui, surgi de nulle part, est devenu le deuxième parti en nombre de voix en Grèce en promettant de s’opposer à l’austérité. Une fois au pouvoir, la fausse-gauche de Syriza a totalement abandonné ses positions.
Il ne reste qu’Aube Dorée, gangrenée par le racisme et prônant la violence, comme le seul des quatre principaux partis de la Grèce qui s’oppose fermement à l’austérité enragée et une économie enchaînée comme un chien battu à la monnaie Allemande.
En 2010, l’incendie de la banque a été utilisée pour discréditer les protestations de la gauche. Aujourd’hui, une fois de plus, le gouvernement grec, dansant sur ses pattes arrière et mendiant son su-sucre auprès des banques allemandes, a utilisé un assassinat comme excuse pour interdire le seul grand parti dissident du pacte suicidaire de l’austérité.
J’aurais aimé pouvoir dire que le motif d’interdiction d’Aube dorée est le penchant pour la violence de ses partisans racistes. Mais ce n’est tout simplement pas le cas.
Dimitris Kazakis, le chef du parti véritablement progressiste de la Grèce, le Front populaire Uni (EPAM), s’est prononcé contre la violence raciste d’Aube Dorée – et aussi contre le danger des accusations montées de toutes pièces pour arrêter des membres du Parlement. Il tance les Grecs, en leur rappelant que c’est ainsi que la dictature militaire a pris le pouvoir en 1967.
Alors, qui sont les véritables fascistes ?
Le fascisme, tel que défini depuis les jours du Duce, est la collusion officielle du gouvernement et des grandes entreprises. Selon cette définition, Aube Dorée est le seul parti non-fasciste parmi les quatre premiers partis de Grèce. Et c’est pourquoi Aube Dorée a été visée.
J’espère que mes collègues progressistes ne m’en voudront pas de ne pas applaudir.
Greg Palast
http://www.gregpalast.com/the-golden-dawn-murder-case-larry-summers-and-the-new-fascism/
Traduction "la gauche est bon public en ce moment" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.