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L’affaire Assange : bréviaire de l’arbitraire

Dans une interview sur RT international datant du 21 août, le journaliste John Pilger affirme avoir vu Julian Assange dix jours auparavant. Assange aurait perdu beaucoup de poids, serait à l’isolement complet dans l’aile médicale de la prison de Belmarsh, sans même avoir le droit de téléphoner à ses avocats étasuniens alors qu’il risque précisément l’extradition vers les États-Unis. Il a dû attendre deux mois et demi avant de voir un ophtalmologue et lorsqu’il a reçu ses lunettes, l’un des verres n’était pas correct. On le prive de l’accès aux documents, au droit à sa propre défense. Même l’accès à une bibliothèque, à un ordinateur portable, lui est refusé.

Pourquoi un tel acharnement ?

De quoi est accusé Julian Assange pour mériter un tel traitement auquel les criminels eux-mêmes ne sont pas soumis ?

Le seul reproche qu’on puisse faire à Assange est d’avoir enfreint les conditions de sa mise en liberté conditionnelle. Et encore, selon le rapporteur de l’ONU, cette violation est légitime en droit pénal lorsque la personne craint pour sa vie, ce qui est exactement le cas, puisque Assange pouvait, de Suède, être extradé vers les États-Unis, dont les dirigeants, républicains comme démocrates, ne cachent pas leur hostilité envers lui. Et ce, au mépris complet du Premier amendement de leur propre Constitution.

Cette affaire fait suite à la plainte de deux jeunes femmes en Suède en 2010, après qu’Assange eut publié la plus célèbre video de Wikileaks, «  Collateral Murder  ». Le Canard enchaîné avait alors qualifié cette affaire de «  coup tordu des services, à l’ancienne  » (25 août 2010).

La première enquête préliminaire suédoise avait conclu à l’absence de viol, et a été close par le procureur Eva Finné. Mais alors que, pourtant, aucune pièce n’avait été ajoutée au dossier, le procureur Marianne Ny a ouvert une deuxième enquête préliminaire à la demande de l’avocat des plaignantes, Claes Borgström. Qui est ce monsieur Borgström ? C’est l’associé de Thomas Bodström, ancien ministre de la Justice surnommé «  Monsieur USA  » en Suède et responsable d’extraditions illégales pour le compte des États-Unis (deux citoyens suédois avaient alors été torturés dans des prisons égyptiennes estampillées CIA). On ne sait pas qui a fait ouvrir la troisième enquête préliminaire puisque la plainte d’Anna Ardin était prescrite et Sofia Wilén ayant disparu.

Après les tortures psychologiques qu’Assange a endurées à l’ambassade équatorienne, puis son kidnapping, la juge Emma Arbuthnot s’est permise de qualifier ce dernier de «  narcissique incapable de voir au-delà de son propre intérêt  ». Cette dame qui donne des leçons de désintéressement est la légitime épouse de Lord Arbuthnot, qui est l’un des trois administrateurs du cabinet de conseil en renseignement de sécurité SC Strategy Ltd, les deux autres étant pour l’un l’ancien président du MI6 (les services secrets britanniques), pour l’autre un ancien examinateur de la législation antiterroriste. Étant donné que les activités de la société SC Strategy Ltd de renseignement privée britannique ont été révélées dans plus de 500 rapports de WikiLeaks, nous pouvons déjà imaginer le verdict qui attend le journaliste et activiste Julian Assange.

Rappelons, enfin, que l’ONU, en 2016, avait exigé qu’Assange fût libéré, indemnisé et conduit en lieu sûr.

Traité du vide

On ne comprend donc toujours pas de quel «  droit  » Assange est détenu à la prison de Belmarsh, qualifiée de Guantánamo britannique.

S’il est bien à Belmarsh... Car il y a des prisons secrètes de la CIA dont l’existence a été reconnue par George W. Bush en 2006 et, dans un tel déni général de justice et une telle opacité on ne peut malheureusement pas se fier au seul témoignage, aussi bien intentionné qu’il soit de M. Pilger. D’autant qu’une correspondante de WikiJustice a mis à la disposition du collectif une lettre où Julian Assange lui écrit : «  I am in a very dark place presently  » (je suis dans un endroit très sombre en ce moment).

Nous voulons donc des preuves de vie, certaines, attestées selon les normes du droit international : la charte de l’ONU, les conventions de Genève sur le droit international humanitaire, la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, la charte de déontologie de Munich sur le journalisme, la déclaration universelle des droits de l’homme.

En effet, seules une ou deux visites par mois sont autorisées selon le beau-père d’Assange John Shipton, lequel, venu d’Australie, n’a pu le voir qu’une heure durant. De plus, le cadre général de menaces sur les témoins de l’affaire (Chelsea Manning, Jacob Appelbaum), des assassinats (Seth Rich), des suicides (John Jones), de la disparition de l’ancienne compagne d’Assange (Sarah Harrison), et enfin du contexte familial lourd qui a été celui d’Assange (lequel a dû fuir dans son enfance avec sa mère l’emprise d’une secte) rajoute évidemment à l’isolement sadique et totalement illégal auquel il est soumis. Alors que le rapporteur de l’ONU, Nils Melzer, avait dit, lui aussi, sur une émission de radio, dès mai 2019, que Julian Assange risquait de mourir en prison, on ne comprend pas pourquoi les avocats d’Assange ne se battent pas pour obtenir une libération anticipée pour raisons de santé.

Dans ce contexte général de déni de justice et de pression maximale sur Assange et son entourage, nous ne pouvons croire, hélas, personne sur parole. Comme saint Thomas, nous ne croyons que ce que nous voyons. De nos propres yeux.

Songeons au fait que, n’eût été Russia Today, nous n’aurions même pas d’images de son arrestation le 11 avril dernier. Les autres médias, pourtant alertés par Wikileaks d’une probable arrestation, ne s’étaient même pas déplacés.

Si – hypothèse par l’absurde – nos éditocrates avaient été contraints de commenter cela, ils y auraient certainement vu une preuve de plus de cette prétendue collusion d’Assange avec la puissance russe. En bonne logique, c’est plutôt de collusion entre tous les autres grands médias et les États-Unis qui est en cause, et leur servilité envers ceux qui, comme William Clinton, pensent que leur pays ont une vocation à diriger seuls le monde.

On pourrait penser que le fait qu’Assange soit un journaliste et les autres non est la première cause de la chape de plomb qui entoure l’affaire Assange. Ce n’est que la seconde.

La première, c’est bien entendu les guerres constantes et répétées que mène l’Empire états-unien. La première victime de toutes les guerres, c’est avant tout la vérité.
La vérité, c’est aujourd’hui Assange qui l’incarne.

“La forme entière de l’humaine condition”

J’écris de France où tout le monde a en tête la violence arbitraire que furent l’affaire Dreyfus puis l’assassinat de Jaurès sur l’autel de la guerre impérialiste. Assange incarne à la fois le déni de justice et l’assassinat de la paix.

On peut gloser sur la personnalité (d’ailleurs attachante) d’Assange, c’est sa personne qui est en danger. Et sa personne incarne un combat universel.

Et cela a lieu au cœur de cet Occident à qui nous devons ce qu’on appelle l’humanisme, soit la capacité à comprendre que chaque être humain n’est pas seulement cet amas de chair et d’os qu’on peut broyer mais porte, comme dit Montaigne, «  la forme entière de l’humaine condition  ».

Ce que cet homme que nous laissons mourir là-bas porte en lui, c’est nous-mêmes.

Aymeric Monville, avec les éléments fournis par Mme Véronique Pidancet Barrière pour WikiJustice Julian Assange

»» https://www.initiative-communiste.f...
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Je définirais la mondialisation comme la liberté pour mon groupe d’investir où il veut, le temps qu’il veut, pour produire ce qu’il veut, en s’approvisionnant et en vendant où il veut, et en ayant à supporter le moins de contraintes possibles en matière de droit du travail et de conventions sociales.

P.Barnevick, ancien président de la multinationale ABB.

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