RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Johnny Hallyday : notre caméléon national

Johnny Hallyday joue actuellement au théâtre une pièce de Tennessee Williams. La critique nous dit qu’il tient bien son rôle. Johnny chante également. Depuis longtemps. A l’écouter, à le regarder, on observe que, depuis ses débuts, il n’a jamais rien créé d’original, mais qu’il a changé de peau (d’apparence de style musical) à peu près tous les six mois.

Laurent Delahousse a récemment consacré un bon documentaire aux admirateurs de Johnny, à ceux qui le miment, l’incarnent à la perfection. A noter qu’incarner vient d’un terme latin ecclésiastique, ce qui signifie que prendre la chair de l’autre (la personne ou le corps en anglais) est une démarche très forte parce que mystique, magique. Et touchante. " Devenir " Johnny Hallyday (ou Elvis Presley, ou Claude François, ou Dalida), ce n’est pas se prendre pour Napoléon. Cela ne relève pas de l’aliénation mais de l’amour pour l’être incarné et pour soi-même. Une question que l’on peut se poser est : pourquoi Johnny et pas Aznavour, Brel ou McCartney ? La raison me semble être qu’Hallyday, ou plus exactement son personnage public, est un être à la fois ordinaire et extraordinaire. Ordinaire parce qu’il n’y a aucun génie créatif en lui, parce qu’il a le QI du Français (du Belge ?) moyen ; parce qu’il a eu son lot de souffrances comme tout le monde ; parce que politiquement il est de droite, mais de manière simple, basale. Extraordinaire parce qu’il est l’une des plus grandes bêtes de scènes de l’histoire de la chanson française avec Maurice Chevalier, Mistinguett et Piaf ; parce qu’il sait fabuleusement chanter : écoutons-le dans du Brassens, par exemple ; parce que, s’il n’a jamais été beau, il a une gueule ; parce qu’il est doué d’un instinct rare : regardons-le, face à Rochefort, dans L’homme du train ; parce qu’il est crédible : un artiste capable d’ameuter un million de spectateurs doit être cru.

Il y a quelque chose de profondément honnête, de libre en lui. Et, en même temps, il change de peau comme de chaussettes. Le mystère, à mes yeux, est qu’il le fait plutôt mal. Je voudrais en donner un seul exemple, celui de sa reprise de " The House of the Rising Sun " (" Le pénitencier " ). Il s’agit à l’origine d’une ballade anglaise sur laquelle des auteurs étatsuniens ont plaqué des paroles. Son enregistrement le plus ancien date de 1934. Mais la chanson va devenir mondialement célèbre en 1964 grâce à la version enregistrée par les Animals, avec le fameux " riff " d’Alan Price.

Les paroles originales (que les Animals vont modifier pour des raisons de censure possible) ne sont pas tristes. J’en traduis quelques-unes :

Il y a une maison à la Nouvelle Orléans

Qu’on appelle le Soleil Levant,

Bien des pauvres filles s’y sont perdues

Mon Dieu, moi la première.

Si j’avais écouté ma mère,

Je serais toujours chez moi aujourd’hui.

J’ai laissé un vagabond

M’emmener sur des chemins de traverse.

Dis à ma petite soeur

De ne jamais faire ce que j’ai fait.

Dis lui d’éviter cette maison de la Nouvelle Orléans.

Ma mère était couturière,

Elle a cousu ce blue jeans neuf.

Mon chéri est un poivrot.

La seule chose dont un poivrot a besoin,

C’est une valise et une malle.

J’ai un pied sur le quai

Et un autre dans le train.

Je m’en retourne à la Nouvelle Orléans,

Un boulet et des chaînes aux pieds.

Ma course est presque achevée.

Je retourne passer le reste de mes jours

A l’ombre de la Maison du Soleil Levant.

Alors que, dans une version antérieure à celle des Animals, Bob Dylan avait gardé une narratrice féminine prostituée et un bordel (en modifiant quelque peu les paroles, cela dit), Alan Price et ses amis vont faire du personnage principal un garçon, et de la Maison du Soleil levant un bar où l’on picole. Suivant l’exemple de son père (il n’y a pas de père dans la version originale), le garçon devient alcoolique et retourne inexorablement vers ce qu’il appelle son « péché » et son « malheur ».

Comme c’est son droit le plus strict, Johnny Hallyday (plus exactement Vline Buggy et Hughes Auffray) ne traduit pas les paroles, il les adapte. Il va complètement déréaliser la situation* en utilisant ce terme étrange de pénitencier, un mot en usage au XIXe siècle (le pénitencier de l’àŽle de Ré). Il met en scène un criminel de haut vol, condamné à perpétuité, emportant pour toute relique la robe de mariée de sa mère, ce qui suggère une sexualité, des fantasmes un peu décalés. Le criminel s’adresse à une fille à qui il a fait pleurer des larmes de honte et à qui il demande pardon. Alors que la version originale traitait de la prostitution féminine et que celle des Animals évoquait la déchéance due à l’alcool chez les garçons pour qui la repentance est impossible, on a, avec Halliday, une cote mal taillée, une chanson qui se veut coup de poing mais qui est à la fois abstraite, irréelle et surréaliste.

Reste l’interprétation. La version des Animals connaissant un énorme succès, Johnny va la dupliquer. Il utilise exactement les mêmes instruments, les mêmes harmoniques, la même orchestration. Il est coutumier du fait : je pense par exemple à " 24000 baisers " , emprunté à l’Italien Celentano, " Noir c’est noir " , adapté du " Black is Black " des Espagnols Los Bravos, ou " Je veux te graver dans ma vie " (" Got to Get You into My Life " ) des Beatles. Le clip des Animals (vu plus de 11 millions de fois) était très singulier (http://www.youtube.com/watch?v=mmdPQp6Jcdk). Un décor froid, des couleurs jaunes, des croix stylisées. Le batteur et Alan Price jouent très sobrement. Avec ce qu’ils ont dans les doigts, vu ce qu’ils ont créé, ils n’ont pas besoin d’en faire des tonnes. Quand ils ne sont pas immobiles, Eric Burdon et les deux guitaristes se déplacent en procession, à un rythme d’enterrement. Burdon chante avec un coffre de prolo de Newcastle, qu’il est. Le résultat est à la fois macabre et grisant. On est pris à la gorge, jusqu’au moment où, trente secondes avant la fin, le guitariste Hilton Valentine sourit de toutes ces dents : « Ohé, les copains, ceci n’est qu’une chanson. » Johnny est filmé en noir et blanc (vu 950000 fois, http://www.youtube.com/watch?v=J4YVImCvH0E). Au début, dans les graves, sa voix est mal assurée. Puis elle perce l’écran au fur et à mesure qu’il s’approche de nous dans un décor minimal : un fond blanc, des chemins noirs et blancs en éventail. Chaque fois qu’il parvient jusqu’à nous, la mise en scène le renvoie au fond de l’image après l’avoir fait disparaître comme s’il tombait dans une trappe de pendu. Il ne pourra pas se libérer. Le clip se termine, sans qu’on comprenne bien pourquoi, mais c’était la mode, sur une vision kaléidoscopique de Johnny démultiplié.

Neuf caméléons au lieu d’un…

*La reprise par Claude François de " If I had a Hammer" " offre un autre exemple de déréalisation. La version originale de 1949, écrite par Pete Seeger (membre du Parti communiste des États-Unis) et Lee Hays (militant syndicaliste) est un appel à la justice, à la liberté, à la fraternité. Le marteau étant le maillet d’un juge progressiste (http://www.youtube.com/watch?v=ujzKk_4WBsE). Pete Seeger est l’auteur, entre autres petits chefs d’oeuvre, de " Where Have All the Flowers Gone ? " (" Que sont devenues les fleurs ? " , immortalisé par Marlene Dietrich et Joan Baez (http://www.youtube.com/watch?v=sKvdPsnkPC0).

Les paroles de Vline Buggy et Claude François mélangent tout de manière ambigüe :

Si j’avais un marteau"¨

Et si j’avais une cloche"¨

Si j’avais une chanson (à chanter)"¨

Je ne voudrais rien d’autre"¨

Qu’un marteau, une cloche (et une chanson)

"¨Pour l’amour de mon père"¨

Ma mère, mes frères et mes soeurs"¨

Oh ! oh ! Ce serait le bonheur."¨"¨

C’est le marteau du courage"¨

C’est la cloche de la liberté"¨

Mais la chanson, c’est pour mon père"¨

Ma mère, mes frères et mes soeurs"¨

Oh ! oh ! Pour moi, c’est le bonheur

"¨C’est ça, le vrai bonheur"¨

Si j’avais un marteau"¨

Si j’avais un marteau.

http://bernard-gensane.over-blog.com/

URL de cet article 14801
  
AGENDA

RIEN A SIGNALER

Le calme règne en ce moment
sur le front du Grand Soir.

Pour créer une agitation
CLIQUEZ-ICI

Même Auteur
Bernard Klein. Les expressions qui ont fait l’histoire. Paris, E.J.L. 2008
Bernard GENSANE
Ce qu’il y a d’intéressant avec les phrases historiques, c’est que, souvent, elles n’ont pas été prononcées par les personnes à qui on en a attribué la paternité. Prenez la soutière (je sais, le mot "soutier" n’a pas de féminin, mais ça ira quand même) du capitalisme américain qui siège au gouvernement français, Christine Lagarde. Elle a effectivement, lors de la flambée du prix des carburants, conseillé au bon peuple d’utiliser le vélo plutôt que la voiture. Mais la reine Marie-Antoinette, qui a tant fait (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

« Si vous trouvez que l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance. »

Abraham Lincoln, 16ème président des Etats-Unis de 1861 à 1865, 1809-1865, assassiné

Reporters Sans Frontières, la liberté de la presse et mon hamster à moi.
Sur le site du magazine états-unien The Nation on trouve l’information suivante : Le 27 juillet 2004, lors de la convention du Parti Démocrate qui se tenait à Boston, les trois principales chaînes de télévision hertziennes des Etats-Unis - ABC, NBC et CBS - n’ont diffusé AUCUNE information sur le déroulement de la convention ce jour-là . Pas une image, pas un seul commentaire sur un événement politique majeur à quelques mois des élections présidentielles aux Etats-Unis. Pour la première fois de (...)
23 
Hier, j’ai surpris France Télécom semant des graines de suicide.
Didier Lombard, ex-PDG de FT, a été mis en examen pour harcèlement moral dans l’enquête sur la vague de suicides dans son entreprise. C’est le moment de republier sur le sujet un article du Grand Soir datant de 2009 et toujours d’actualité. Les suicides à France Télécom ne sont pas une mode qui déferle, mais une éclosion de graines empoisonnées, semées depuis des décennies. Dans les années 80/90, j’étais ergonome dans une grande direction de France Télécom délocalisée de Paris à Blagnac, près de Toulouse. (...)
69 
Le fascisme reviendra sous couvert d’antifascisme - ou de Charlie Hebdo, ça dépend.
Le 8 août 2012, nous avons eu la surprise de découvrir dans Charlie Hebdo, sous la signature d’un de ses journalistes réguliers traitant de l’international, un article signalé en « une » sous le titre « Cette extrême droite qui soutient Damas », dans lequel (page 11) Le Grand Soir et deux de ses administrateurs sont qualifiés de « bruns » et « rouges bruns ». Pour qui connaît l’histoire des sinistres SA hitlériennes (« les chemises brunes »), c’est une accusation de nazisme et d’antisémitisme qui est ainsi (...)
124 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.