Les pêcheurs d’étoiles, le dernier livre de Jean-Paul Delfino (Editions Le Passage)
Quelle belle idée d’avoir réuni le Blasé Cendrars et l’Esotérik Satie ! L’un poète, l’autre musicien, deux génies sans le sou, bouillonnants et féconds, qui vont arpenter les rues de Paris dans une aventure nocturne baroque où l’amitié se forgera au feu étincelant de leurs rêves.
C’est une virée onirique à travers la ville lumière des années 20, une sorte de tango du diable auquel se livrent toute une nuit, deux artistes non-conformistes, que Jean-Paul Delfino nous brosse avec tendresse et rudesse mêlées. Une nuit carrément dingue dans le Paris des années folles. Comme le déclarait Cendrars, la folie est le propre de l’homme, et cette nuit-là, elle n’en manquera pas de coups de folie, de coups de gueule, de coups de cœur, de coups de trop, de coups tout court, aux basques qu’ils sont d’un Cocteau voleur d’opéra et à la poursuite d’une chimère, la femme tant aimée qui obsède Satie, sa fantomatique Biqui.
Cette nuit-là, dans leur grande vadrouille, s’échappant de la fureur des russes blancs d’un caboulot de Montmartre, passant de beuglant en bastringue, de lieux de misère aux quartiers rupins de Montparnasse, ils vont en croiser du monde, du beau comme le généreux Chagall, Chaplin ou l’insupportable Cocteau, et du pas forcément beau, mais du vrai, comme les tricoteuses de l’Opéra Garnier, les gitans d’Austerlitz ou l’esprit d’Apollinaire au Père-Lachaise. Un périple marqué par le désir, vissé au corps, d’échapper à un monde étriqué et snob qui étouffe leur imagination. Alors, au grand galop, ils chevauchent leurs rêves les plus fous qui les mènent à la gloire ou comme cette locomotive Pacific, qui les emporte à fond de train dans l’excitation de l’inattendu.
Et quelle écriture ! Limpide, piquante, allègre, juste, riche, avec ce goût de l’image qui donne à chaque chose une dimension poétique :
"Sous le dôme faisant songer à un couvercle de théière arabisante, en correspondances figées, ces statues de la poésie, de la musique instrumentale, de la danse ou de l’art lyrique ouvraient leurs ailes et tendaient leurs bras, semblant sur le point de tirer des drisses imaginaires et de faire mouvoir les roues crantées des cabestans cachés à l’intérieur pour mettre sa voile". Je vous laisse deviner quel magnifique bâtiment parisien, Jean-Paul Delfino nous révèle sous sa plume enluminée... A travers les pérégrinations de ses deux héros, Jean-Paul nous peint un Paris fantasmagorique, peuplé de personnages extravagants, que seuls des noctambules sculpteurs de rêves, amoureux des nuits étoilées et des infinis, peuvent rencontrer.
Les dialogues entre ces deux ensorceleurs, comme des brisures de diamant, tracent sur le pavé parisien, au gré de leurs envies, de leurs indignations, de leurs fantasmes, les contours d’un Paris populaire, rebelle, idéaliste, qui ose rêver, un Paris ardent qui, dans le vacarme de la création, résiste farouchement au conformisme puissant et silencieux des mœurs et de la pensée qui le mènera inexorablement à sa défaite.
Submergés que nous sommes par la tyrannie du prêt-à-penser, alors oui, régalons-nous de ce beau livre de Jean-Paul Delfino qui nous ré-enchante. C’est, dans un firmament stérile, l’étoile qu’il ne faut pas manquer d’aller pêcher !
Michel TAUPIN
Jean-Paul Delfino est écrivain et scénariste. Il est notamment l’auteur d’une "suite brésilienne", une histoire du Brésil en neuf romans.
Les pêcheurs d’étoile, Editions Le Passage, 18 €.
Note du GS :
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