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Jacob Appelbaum : le temps de la Révolution (Exberliner)

Jacob Appelbaum : nouvellement berlinois, hacktiviste exilé, idéaliste passionné

Collaborateur de longue date de Julian Assange, ami proche des confidents d’Edward Snowden, Laura Poitras et Glenn Greenwald, et désormais lui-même un allié de confiance du dénonciateur de la NSA, c’est un homme d’une crédibilité sérieuse sur la scène Snowden.

Jacob Appelbaum est un dissident-né doté d’un esprit combatif et de compétences oratoires certaines. Débutant comme militant pour la marijuana médicale en Californie à 15 ans, Appelbaum a passé plus de temps à s’inquiéter de la planète Terre (plus tard avec Greenpeace et Rain Forest Action Network) et de l’écosystème de son ordinateur que de sa scolarité. Au début de la vingtaine, il était occupé à aider des amis à apporter la technologie à l’Irak (installation de satellites Internet au Kurdistan) ou la déconstruction du système de stockage sur disque chiffré d’Apple. Sa participation au projet Tor (depuis 2004) et WikiLeaks allaient bientôt suivre. En 2010, Rolling Stone l’a étiqueté "l’homme le plus dangereux du cyberespace", une étiquette qui l’agace encore aujourd’hui.

Il déteste l’idée, mais l’affaire Snowden a relancé sa carrière – en tant que pigiste avec un accès aux fichiers de la NSA, et comme un orateur public qui a été à la fois un expert sur et victime de la surveillance électronique. Appelbaum était parmi les rares cerveaux de la cyber-sécurité qui ont conçu le logiciel d’anonymat Tor. Ceci et ses liens avec WikiLeaks lui ont valu le harcèlement des agences de renseignement des États-Unis - une pression constante qui a abouti à l’espionnage de sa petite amie dans sa chambre. En juin de l’année dernière, il a décidé de vendre sa maison aux enchères et de faire ses adieux à ses amis et de rejoindre ses congénères Laura Poitras et Sarah Harrison de WikiLeaks auto-exilés à Berlin.

Appelbaum – un homme avec plus de 76.000 abonnés Twitter - est discret au sujet de sa nouvelle célébrité sur la scène numérique. Pourtant, aujourd’hui, il est difficile de concevoir une conférence avec les mots "surveillance" ou "Snowden" dans le titre sans sa participation. Comme beaucoup de ses pairs techno, il chiffre son e-mail, et s’il possède un smartphone, la batterie voyage séparément dans son sac.

"Je suis un journaliste, un chercheur/programmeur de la sécurité informatique, ainsi qu’un artiste – toutes ces trois dénominations figurent sur mon visa," un visa allemand pour travailleur indépendant qui vient tout juste d’être renouvelé pour deux ans.

Il est aussi un peu agitateur – comme lorsque cette année, après avoir remporté le prix respecté Henri Nannen pour le journalisme, Appelbaum a publiquement exprimé sa honte d’avoir remporté un prix issu d’une époque nazie (le célèbre fondateur Stern était un propagandiste de la Waffen-SS en Italie), et s’est engagé à faire fondre son prix avec ceux des autres lauréats, pour créer une nouvelle œuvre d’art.

En personne, "Jake", comme l’appellent ses amis, apparaît comme quelqu’un de réservé, plutôt timide. Mais revenos au sujet et à ce trentenaire (31 ans) tatoué, produit de la « génération so-what » [et-alors ? – NDT] qui s’est métamorphosé en un idéaliste intransigeant mais attachant.

L’année dernière, vous avez décidé de vous installer à Berlin après des années de harcèlement par le gouvernement américain. Pourquoi ?

J’en avais assez. Pendant des années, j’ai eu de terribles expériences avec la police, le contrôle des frontières, avec le FBI. Toutes sortes de rencontres que ma famille avait vécues, que ma partenaire avait connues, et qui n’est plus ma partenaire aujourd’hui partiellement en raison de ce stress. Vraiment des choses incroyables.

Pouvez-vous en dire plus sur ces choses incroyables ?

Bien sûr. Il y a quelques années, ma mère a été arrêtée dans une petite ville de Californie. Ce qui n’est pas forcément inhabituelle pour elle, car c’est une personne dérangée. Mais la police a défoncé la porte et l’a arrêtée alors qu’elle était aux toilettes et l’a traînée hors de l’appartement tout en enregistrant la totalité de l’événement sur un enregistreur audio. J’ai pris l’avion pour la Californie pour tenter de la faire sortir de prison en payant une caution. Je pensais que c’était tout à fait le genre de choses qui peut arriver à la mère de n’importe qui dans ce genre de circonstances.

Mais il est devenu de plus en plus clair pour moi qu’il y avait quelque chose d’autre en jeu par la façon dont ils l’ont traitée. Elle a été menottée et attachée ; ses poignets et ses chevilles et sa taille ont tous été enchaînés ensemble. A un moment, elle a été interrogée au sujet de mon rôle dans WikiLeaks. Je n’avais jamais parlé à ma mère de Julian Assange ou de WikiLeaks. Elle n’utilise pas Internet.

Pour finir, ils l’ont transférée dans un hôpital psychiatrique. Je l’ai rencontrée là-bas et elle m’a dit qu’ils l’ont droguée contre sa volonté. Ils avaient reçu un ordre du juge de la droguer de force. Ils l’ont interrogée à nouveau sur mon rôle dans WikiLeaks. Elle a passé 18 mois en prison sans procès. Elle a été en liberté surveillée pendant trois ans et parce que j’ai quitté les Etats-Unis, je ne l’ai pas vue pendant toute cette période. C’est une situation très triste.

Vous avez également été suivi, harcelé ...

Quand j’étais en Islande, j’ai reçu un message de panique. Ma désormais ex-fiancée s’était réveillée chez elle avec des hommes qui portaient des lunettes de vision nocturne et qui la regardaient dormir. Lorsque nous voyagions ensemble, je passais la douane avec elle et ils m’emmenaient littéralement devant ses yeux et lui niaient ensuite que j’existais. J’ai vécu ça pendant des années.

Quand cela a-t-il commencé ?

Cela a vraiment commencé en 2009, mais j’avais été très calme à ce sujet. Cela a vraiment commencé à s’intensifier en 2010 et 2011 et a progressivement empiré. En mai 2013, je dînais avec l’ex-petite amie que j’évoquais à l’instant, et à ce dîner nous étions physiquement suivis par au moins deux agents dont nous pensions qu’ils étaient du FBI. On avait réservé sur Internet dans un restaurant précis à un heure précise et elle est venue me chercher et on est partis. Le courriel avait été chiffré et nous avons utilisé toutes sortes de choses, mais il est clair que nos deux ordinateurs avaient probablement été piratiés et ils savaient tout. Ce qui est bizarre, c’est que nous ne sommes pas allés au restaurant où nous avions prévu d’aller dîner.

A la dernière seconde, j’ai eu un inspiration soudaine et je lui ai dit, prenons à gauche ici et allons dans ce restaurant. Moins de 10 minutes plus tard, un gars aux cheveux ras s’assoit à côté de nous, pose son portable sur la table, le micro de son téléphone directement pointé sur moi. Vingt minutes plus tard, une femme vient s’asseoir à côté de lui. Et elle met aussi son téléphone portable sur la table. Ils prétendaient avoir un premier rendez-vous, mais ils n’ont jamais parlé de ce qu’ils faisaient, de pourquoi elle était en retard ... À un moment donné, ma fiancée s’est vraiment effondrée en larmes à cause de la pression. La veille, Laura Poitras était venue nous rendre visite à Seattle. Il est donc clair que cette surveillance était liée, ils voulaient savoir ce qui s’était passé avec Laura. Et bien sûr, ce n’était pas le sujet de notre conversation au dîner.

Était-ce au cours des révélations Snowden ?

Non, Laura me rendait simplement visite. Laura et moi sommes de bons amis depuis longtemps. Ce genre de harcèlement a commencé bien avant Snowden. Et ce qui m’a amené à réaliser que lorsque ces fuites ont commencé à sortir, il se produisait quelque chose de grand. Lorsque nous avons eu des informations sur Edward Snowden et Glenn Greenwald et Laura Poitras, je me trouvais à Munich – en route pour Seattle de retour d’un voyage en Inde. Un ami du Chaos Computer Club s’est approché de moi pendant que je dînais et m’a dit : "T’as entendu la source des fuites ?" Je voyageais avec le producteur de Laura, Caity, et nous filmions ensemble ... Je pense qu’elle m’a même filmé en train de télécharger la page du Guardian, en découvrant le nom d’Edward Snowden et apprenant pourquoi nous ne pouvions pas joindre Laura depuis tout ce temps. J’ai recoupé le tout et j’ai réalisé que si je rentrait, toutes ces années de harcèlement avec Wikileaks ne seraient rien comparées à ce qui allait suivre. J’ai donc annulé mon vol de retour et je ne suis jamais rentré au pays. C’était au début de juin 2013.

Toutes ces années de harcèlement - c’était en raison de votre participation à WikiLeaks ?

La piste des données que vous laissez derrière vous raconte une histoire sur vous, mais pas nécessairement la vérité. Même si elle est composée de faits. Pendant des années, le gouvernement américain m’a harcelé parce qu’ils pensaient que Bradley Manning, maintenant Chelsea Manning, m’avait donné des documents. Mais c’est faux.

Comment savez-vous qu’ils pensaient cela ?

Parce qu’ils ont traîné certains de mes amis devant un grand jury de Virginie et les ont menacés de détention illimitée s’ils ne témoignaient pas contre moi, s’ils ne renonçaient pas à leurs libertés constitutionnelles et s’ils ne parlaient pas de moi en particulier. Quand j’ai réalisé qu’ils avaient une théorie tout à fait fausse et qu’ils ont essayé de détruire ma vie pendant des années, je me suis dit qu’il n’y aura pas de fin leur harcèlement et tentative de destruction. Je sentais donc que je ne devais pas revenir.

Alors pourquoi Berlin ?

Berlin a une incroyable culture de la résistance. Je viens à Berlin depuis de nombreuses années en raison du Chaos Computer Club, et j’ai travaillé avec le Spiegel dans le cadre de WikiLeaks. J’ai beaucoup d’amis proches ici dans le monde de l’art, du piratage informatique et du journalisme. Je me trouve à l’intersection de ces trois mondes et Berlin me rend très heureux.

Nous plaisantons souvent qu’il s’agit d’une sorte de combat ultime pour la démocratie. Où les gens ont vraiment de véritables dialogues. Les gens au Chaos Computer Club, du Spiegel, Taz, Exberliner, etc, m’ont dit qu’ils étaient avec moi, et je suis donc ici depuis un an et j’ai demandé un visa de résident temporaire, comme tout le monde, et je l’ai reçu. Franchement, je me sens plus en sécurité à Berlin-Est comme immigrant que je ne l’ai jamais été comme citoyen des États-Unis.

Vous n’avez jamais eu envie de demander l’asile ?

Je ne me réjouis pas à l’idée d’être un réfugié. J’espère ne jamais en arriver là. D’autres pays m’ont offert l’asile politique. Je ne veux pas dire lesquels. Le gouvernement américain est déterminé et prêt à tout pour mettre la main sur tous ceux qui sont associés à WikiLeaks et à Snowden. C’est de la persécution politique. Je pense que l’Allemagne a bien fait de me laisser rester. Je veux la même chose pour tous ceux qui en ont besoin.

C’est une belle ironie d’être en exil ici. Berlin a une histoire folle de surveillance, de la guerre froide à nos jours. Nous savons à partir des fichiers de Snowden que l’Allemagne est la plus proche alliée de la NSA en Europe.

Même avec l’histoire de Berlin, même avec l’ironie profonde que Berlin-Est soit l’endroit où nous travaillons maintenant, cela ne signifie pas que nous pensons que Berlin est parfait. Il y a un niveau d’espionnage immense ici par le gouvernement allemand et la NSA. Nous savons maintenant à quel point ils travaillent ensemble. Par exemple, d’après ce que nous savons, tous les assassinats par drones étasuniens sont relayés via l’Allemagne ...

Vous et Laura avez travaillé tous les deux avec le Spiegel – comment est-ce arrivé ?

Eh bien, Andy Müller-Maguhn et moi avions travaillé avec le Spiegel à divers titres au fil des ans et nous l’avons tous deux convaincue de venir travailler avec nous. Marcel Rosenbach et Holger Stark sont deux des plus grands journalistes vivants ; ils sont enjoués, ont une bonne éthique et j’ai confiance en eux.

Avez-vous déjà tenté de rejoindre Glenn Greenwald et le Guardian ?

Eh bien, je travaillais avec Glenn, et j’ai demandé au Guardian une lettre pour être couvert par leurs privilèges sur la confidentialité des sources, et ils ont refusé. Je pense que c’est parce qu’ils sont un petit journal de merde dirigé par des gens comme Luke Harding, Alan Rusbridger et David Leigh qui font une fixation sur WikiLeaks et Julian Assange, et ils ont décidé que c’était plus important que tout le reste y compris de me protéger. Lorsqu’en septembre 2013, Leigh et Harding sont venus ici à la librairie Hundt Hammer Stein pour une conférence sur leur livre sur WikiLeaks, ils n’ont pas cessé de mentir à propos de Julian. Savez-vous que lorsque Julian est allé à la ambassade [équatorienne], le Guardian lui a envoyé un panier avec des chaussettes propres et du savon ? Voilà l’attitude du Guardian a l’égard des journalistes sérieux !

Vous ne pensez pas qu’ils ont fait un bon travail avec les fuites de Snowden ? Ils ont sorti l’histoire en dépit de pressions considérables ...

Oui, si on fait abstraction du fait qu’ils ont dit qu’ils ne toucheraient à rien qui touche à l’Afghanistan ou à l’Irak, par exemple. Je veux dire, c’est incroyable ... Ils ont fait un bon travail dans certains reportages, mais pour moi, c’est très triste qu’ils considèrent ça comme une compétition entre les agences de presse ou entre egos, par opposition à une compréhension globale. Vous le constatez avec le livre de Harding sur les fichiers Snowden.

Que sait-il de Snowden ? Il n’a aucun contact avec Snowden, aucune idée de tout ce genre de choses, et il écrit ce livre totalement exploiteur pour essayer de nous présenter l’histoire complète et c’est complètement absurde - c’est le Guardian. Le fait qu’ils possèdent tous ces documents mais ont cessé tout reportage – pour moi c’est encore un exemple de leur incroyable irresponsabilité en tant que publication. Nous n’avons pas besoin d’organisations comme celles-ci qui servent l’Etat, nous en avons suffisamment. Nous avons besoin d’organisations qui servent l’intérêt public, et c’est ce que la presse est censée faire.

Pourquoi n’avez-vous pas suivi Laura et Glenn à The Intercept ?

J’aime vraiment The Intercept, et je pense que les gens qui y travaillent sont constauds. Je suis content que Pierre [Omidyar] le finance, mais il faut se demander pourquoi. C’est uniquement pour faire de l’argent. Mon intérêt à moi, c’est d’accroître la justice dans le monde, d’essayer d’améliorer les questions des droits de l’homme. Je m’intéresse donc beaucoup aux écrits de Jeremy Scahill dans The Intercept sur les frappes de drones. Je m’intéresse à ce que fait Glenn, je m’intéresse à ce que fait Laura. J’ai le plus grand respect pour les publications qui cherchent la vérité dans l’intérêt public. Mais chacun a des limites et des objectifs différents.

Vous maniez la langue de bois, maintenant.

Mais non ! Les gens qui travaillent efficacement comme journalistes aux États-Unis sont harcelés, ils sont gênés ... Ils sont arrêtés et ils vivent avec de sérieuses craintes de répercussions, même s’ils ne l’admettent pas.

Alors, diriez-vous que c’est la raison pour laquelle The Intercept n’a pas publié le fait que l’Afghanistan était sous surveillance totale de la NSA dans leur exposition de l’histoire dite des Bahamas – à cause de la pression ?

Je pense qu’il est tout à fait clair que des organisations comme The Intercept sont explicitement sous pression. Et le Washington Post est également explicitement sous pression – ils avaient l’histoire et n’ont pas publié les noms des pays ... Quand vous parlez à des gens qui travaillent dans ces organisations, ils ont tous très peur.

Mais regardez, Glenn et Laura sont deux héros du journalisme courageux. Ils ont prouvé leur intégrité à plusieurs reprises et à présent ils sont allés rejoindre un nouveau support... vous vous attendiez à ce que l’organisation soit plus « indépendante » ?

Et qu’est-ce que ça dit, sur les possibilités ?

Ca me dit que, apparemment, ce n’est pas possible.

Vous avez donc la réponse à la question. Qu’est-ce qui est possible pour The Intercept, le Washington Post ou le Guardian ? Chacun a des possibilités. The Intercept pourrait-il publier n’importe quoi ? En théorie, mais il y a des conséquences qui vont avec. Des conséquences politiques, juridiques et peut-être même techniques. La réalité de la situation est qu’il y a une raison pour laquelle WikiLeaks existe. WikiLeaks est l’éditeur du dernier recours.

Donc, sans WikiLeaks, le peuple afghan n’aurait pas été informé ...

Je suis heureux que WikiLeaks existe, car ils servent comme un facteur d’équilibre. D’accord ? Quand des publications comme The Intercept craignent de publier quelque chose comme ça ou craignent que cela puisse être préjudiciable, WikiLeaks est capable d’intervenir et d’en parler. Il appartient vraiment aux gouvernements de ne pas faire pression sur des journaux comme The Intercept ou le Washington Post, car cela crée un espace où Wikileaks devient une évidente nécessité, même maintenant. Je pense que c’est triste qu’il y ait un environnement dans lequel les nouvelles publications ne sont pas autorisées à vous révéler certaines choses, mais c’est aussi la réalité de la situation que nous vivons.

Par rapport aux fichiers de Snowden, qu’est-ce qui est le plus important, selon vous ?

Je pense qu’il est important de comprendre que Snowden sert d’exemple, que non seulement il est possible de résister, mais qu’il est possible de résister et de survivre. Ce que Snowden a fait est un acte de dénonciation courageux. Il a payé cher pour cela, et beaucoup de gens travaillent pour qu’il ne le paie pas de sa vie. Bien sûr, l’impact des documents est important, mais l’impact de survivre seul était tout aussi important dans un certain sens pour inspirer d’autres personnes. Je pense à [NSA dénonciateur William] Binney qui n’a plus de jambes. Il a subi une double amputation due au diabète et au stress de sa vie. La vie de Thomas Drake a été en quelque sorte complètement ruinée. Chelsea Manning a terminé avec une peine de 35 ans de prison.

Mais être coincé en Russie sous la tutelle de Poutine, est-ce vraiment une option enviable ?

C’est une affirmation très biaisée ; comment savez-vous que Poutine a quoi que ce soit à voir avec Edward Snowden ? Permettez-moi de dire qu’il vaut mieux être en vie et coincé dans un des plus grands pays au monde que d’être emprisonné ou mort. Mais certaines personnes le nient et laissent entendre qu’il est un pion ou une marionnette. Ils critiquent le choix de son asile. Mais il a demandé l’asile dans autant de pays que possible, et presque tous ont refusé pour des questions de procédure. Sarah Harrison et Julian Assange lui ont sauvé la vie parce que WikiLeaks prend la protection des sources au sérieux. Imaginez, ces trois personnes ont réussi à embarrasser toute la communauté du renseignement. C’est très fort.

Ensuite, il y a ceux qui disent des choses comme : « Eh bien, qu’est-ce que nous apprenons de Snowden que nous ne savions pas déjà ? »

Il y a une différence entre soupçonner et savoir quelque chose, comme le fait que les Bahamas sont sous surveillance totale. Il y a une différence entre comprendre que les programmes de métadonnées sont utilisés pour tuer les gens avec les frappes de drones et spéculer à ce sujet. Il y a une différence entre supputer que la chancelière Merkel est espionnée comme chef d’Etat et de découvrir que c’est tout à fait le cas. En raison de mon expérience, j’en sais quelque chose sur de la différence entre une possibilité et une certitude, entre ce qui est légal et ce qui se passe. Pour le restant de mes jours, je ne me coucherai plus jamais dans un lit avec la certitude que ma maison n’est pas surveillée. Je ne serai plus jamais capable d’avoir une conversation libre dans ma maison aussi longtemps que je vivrai ...

Avant, on appelait ça de la paranoïa. Vous êtes donc en train de dire que tout ceci conforte ceux d’entre nous qui sont paranoïaques ?

Quand Julian Assange et moi avons écrit Cypherpunks, beaucoup ont dit que nous étions fous, paranoïaques, etc. Eh bien désormais, grâce à Snowden, nous savons qu’il est plus raisonnable de penser que nos téléphones sont sur écoute ou que l’Internet est surveillé. C’est un fait. C’est peut-être oppressant dans un sens, mais on est encore dans une phase de libération, car la question ne se pose plus. Toute personne qui ne travaille pas pour changer les choses est complice. C’est ça la différence. Il y a un énorme clivage entre un tas de gens cyniques qui disent qu’ils savaient déjà et n’ont pas besoin de réfléchir davantage à ce sujet, et un certain nombre de personnes pas si cyniques qui disent que c’est ce que nous soupçonnions et ce que nous craignions, changeons les choses maintenant.

Avez-vous été personnellement choqué par ces révélations ?

J’étais au-delà du choc. Je suis horrifié et je veux que les choses changent. Une façon de changer les choses est de les faire connaître afin que les gens soient informés, et une autre façon est de construire des solutions alternatives. Et c’est ce que nous faisons avec le Projet Tor, par exemple, et de nombreuses autres personnes y travaillent.

Alors, comment faire passer les gens à l’étape suivante - de la sensibilisation à l’action ?

Il faut beaucoup plus que simplement des actions individuelles. Mon recyclage ne sauvera pas l’environnement. C’est un acte utile au sein d’un problème beaucoup plus vaste. Nous avons besoin d’une action collective à l’échelle planétaire. Par exemple, nous devons repenser la façon dont les systèmes de télécommunications fonctionnent. Pourquoi la NSA peut-elle mettre sur écoute des pays entiers ? Parce que l’infrastructure est conçue pour être sur écoute et ils l’exploitent. Il faut changer ça. La réalité est que la plupart des gens font confiance aux défauts de leurs appareils électroniques. Jusqu’à ce que l’architecture soit « privacy by design » [conçue pour assurer la confidentialité – ndt], la vie privée sera régulée par la politique. La confidentialité par la politique sera toujours violée par des gens qui ne se sentent pas concernées par les limites imposées par la politique. Nous devons travailler à changer la façon dont fonctionne notre infrastructure. Pour la rendre réellement sécurisée.

Mais beaucoup ne se sentent pas concernés – comme utilisateurs d’Internet, ils veulent seulement accomplir certaines tâches et ne sont pas gênés que des entreprises ou des politiques utilisent leurs données personnelles....

Se dire « Oh, ça ne m’intéresse pas, personne ne voudra me surveiller » comme un moyen de faire face à ce stress est compréhensible. Ce à quoi je répondrai ceci « les services de renseignement sont des gens normaux ». Les capacités nécessaires à l’exploitation d’un téléphone cellulaire coûtent 1000 € ou moins. Les méthodes sont disponibles pour tout le monde - un ex-amant, un journaliste concurrent ... C’est donc une question de choix, pas de savoir si oui ou non vous avez quelque chose à cacher. Il y a des entreprises qui exploitent le manque de connaissance des gens, et, oui, nous devrions remettre en cause la centralisation des entreprises comme Facebook et Twitter. Nous devons faire face à la surveillance des entreprises et celle des gouvernements et les liens entre eux. C’est un gros problème. Mais un problème que nous pouvons résoudre.

Vous avez appelé Facebook "Stasibook" ...

Oui, en raison de son étroite collaboration avec l’Etat. Ils ont tout un département qui ne fait rien à part livrer les données à la police, aux gouvernements et aux autres parties requérantes. Je suis sûr que le FBI s’est rendu sur Facebook pour toutes les données qu’ils avaient sur moi. Le ministère de la Justice est allé sur Twitter et Google pour moi. Je pense que la grosse erreur est de penser que parce que les gens utilisent Facebook, ils ne se soucient pas de la vie privée. Mais quelle est l’alternative pour la plupart des gens ? La réalité est que si vous vivez à Londres, lorsque vous marchez dans la rue, vous subissez une violation constante de votre vie privée. Mais que pouvez-vous faire ? Vous ne pouvez pas vous enfermer chez vous, ce qui ne signifie pas que vous devez ignorez les caméras. Nous devons donc construire des alternatives afin que les gens puissent choisir. Et nous pouvons le faire.

Vous semblez étonnamment confiant, optimiste même.

Je ne pense plus qu’il y ait un fossé entre le monde physique et numérique, et l’histoire nous montre qu’il est possible de résister et qu’il est nécessaire de le faire. Avec les fichiers WikiLeaks et Snowden, nous sommes entrés dans des temps révolutionnaires, de grands changements sont à venir.

Pensez-vous que Snowden a provoqué une révolution ?

Oui. Je pense que Julian Assange, Edward Snowden, Laura Poitras, Chelsea Manning, Glenn Greenwald et d’autres ont tous beaucoup contribué à l’histoire. Nous vivons une époque d’extrêmes bouleversements. Je vois que nous avons déjà construit un début de structures alternatives, qui existent déjà. Comme le réseau Tor. Des millions de personnes l’utilisent tous les jours. Des lanceurs d’alerte, des journalistes, des médecins ... Ce n’est pas une promesse de l’avenir, c’est une réalité optimiste. Je dirais que la lutte sera longue, et nous sommes au milieu. Nous ne pouvons pas gagner tous les combats et nous ne pouvons pas arrêter la surveillance de masse, mais il la possibilité existe, et avec ces outils beaucoup de gens ne sont pas aussi vulnérables à la surveillance comme l’est le reste de la planète en ce moment.

Donc, il s’agit de nous responsabiliser nous-mêmes en tant que citoyens de l’ère numérique ?

La question est de savoir si vous voulez défendre les principes fondamentaux d’une société démocratique. Si oui, alors vous devriez utiliser ces types de programmes. Le plus important est de penser au contexte global afin de rétablir l’équilibre en faveur de beaucoup de choses qui ont été perdues. Nous devons fondamentalement réaffirmer des choses et repenser leur conception, il faut que nos politiques et nos technologies s’alignent, nous avons besoin de réaffirmer les principes fondamentaux des droits humains. Quand je suis allé à la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg, j’ai pleuré.

J’ai pensé que vous apparteniez à la «  génération so-what ». Vous êtes en passe de devenir très idéaliste !

La Cour de Strasbourg est l’une des visions les plus utopiques. Cette notion que toute personne peut déposer une plainte ou une réclamation, que toute personne a le droit d’obtenir réparation d’injustices commises par les Etats de cette manière, et pour les Etats d’avoir à répondre ... eh bien, pour moi c’est quelque chose de pratiquement incroyable. Mais du coup je pense à des gens comme Assange, Snowden et Poitras et je pense que, bien sûr, nous devons réaffirmer ces valeurs qui ont été durement acquises après la Seconde Guerre mondiale. Ce problème ne sera pas résolu avec du cynisme. Nous pouvons y mettre fin et nous devons le faire. Il n’y a jamais eu un moment de l’histoire où autant de gens pouvaient être surveillés. C’est nouveau et c’est inacceptable.

Des initiatives comme les cryptoparties font partie d’une riposte populaire au niveau individuel et c’est très bien. Il faut aussi des gens qui interviennent sur les lois, il faut des entreprises qui prennent une position ferme sur la sécurisation de ces types de communications, pour garder la possibilité de l’anonymat, d’une société libre de récoltes de données. Ce genre de choses est essentiel. Je pense que nous avons maintenant les connaissances pour y arriver. Nous pouvons utiliser une partie des appareils existants pour changer le monde. Et c’est déjà le cas. Chaque fois que vous anonymisez, chaque fois que vous cryptez, chaque fois que vous affirmez vos droits et refusez la soumission, nous gagnons.

Traduction : Romane
avec des corrections/ajustements par LGS

»» http://www.exberliner.com/features/people/jacob-appelbaum-on-the-usa-and-nsa/
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