Le sentiment d’humiliation soi-disant ressenti en Israel a la suite de la fin du siege de la Muqata est bien exagere. De meme que le sentiment de triomphe ressenti par les Palestiniens. Cette affaire de la Muqata a une dimension symbolique qui occulte le fait qu’Israel recueille victoire apres victoire dans ce qui est la lutte reelle.
Le conflit entre les deux peuples est a propos de la terre, et non a propos de la personnalite de Yasser Arafat ou d’Ariel Sharon. Et, dans cette bataille pour le controle de la terre en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza, c’est Israel qui gagne.
La lutte a lieu sur trois fronts. D’abord, dans la perspective de la cloture de separation et de defense (dont le trace est realise en fonction des exigences des colons), les Palestiniens de Cisjordanie vont perdre des dizaines de milliers de dounams (1 dounam = 1000 m2, ndt) de terres cultivables et fertiles, ainsi que de terres susceptibles d’etre valorisees. En theorie, les terres perdues en raison de la cloture ne representent que quelques centaines de dounams, mais des milliers d’autres verront leur acces bloque, alors qu’elles ont une grande valeur pour leurs proprietaires et pour l’economie palestinienne en general.
Au moins 11 villages, avec leurs habitants, leurs maisons et leurs terres, vont se retrouver dans le no man’s land entre la cloture et la Ligne Verte. Comme leur localisation dans une zone de securite et de separation sera consideree comme un probleme, il est probable que ces villages feront l’objet de decrets militaires particuliers et seront soumis a de severes restrictions de mouvement. Ce qui revient a priver les habitants du droit d’utiliser les ressources des terres qui leur appartiennent encore. Pour 20 villages, la grande partie de leurs terres se trouvera a l’ouest de la cloture, alors que les zones construites se retrouveront a l’est. A en juger par ce qui s’est passe dans le cas des clotures construites autour des colonies juives, et qui englobent des parcelles non officiellement "annexees", il n’est pas difficile de deviner ce qui arrivera a ces villageois. Les proprietaires n’auront pas la possibilite d’acceder a leurs terres et de les cultiver. Parfois, les villageois se rendront compte qu’il n’y aura aucune cle entre les mains des soldats deployes sur le site. Parfois, des chiens eloigneront les proprietaires. Et, parfois, l’officier de securite d’une colonie menacera les Palestiniens, ou l’armee imposera un couvre-feu.
Outre l’impossibilite de cultiver leurs terres, les Palestiniens qui vivront a l’ombre de la cloture seront aussi confrontes a de severes restrictions qui rendront difficile la vente de leurs produits (de telles restrictions sont deja appliquees depuis deux ans en Cisjordanie et a Gaza). Le droit d’ecouler ses produits constitue le deuxieme front de labataille pour la terre, et ces limitations font perdre jusqu’a 60% de leurs revenus aux Palestiniens vivant dans ces villages. A cause des bouclages, il est plus facile, dans les villes palestiniennes, de trouver une goyave produite en Israel que la meme, produite dans un village voisin. Un vehicule de Tnouva (conglomerat agricole israelien, ndt), avec des plaques d’immatriculation israeliennes et un chauffeur arabe israelien, peut circuler sur les meilleures routes de Cisjordanie, mais ces routes sont fermees aux Palestiniens. Ces restrictions qui concernent la vente des produits ont, en deux ans, transforme l’agriculture palestinienne en une entreprise improductive, et quasiment chimerique. L’economie a souffert de ce phenomene, mais de facon negligeable, alors que les pertes subies par l’economie palestinienne en general, et par le secteur agricole en particulier, ont ete devastatrices. Cette misere, collective et individuelle, relancera-t-elle le phenomene de la vente privee de terres aux juifs ?
Le troisieme front concerne la bureaucratie. Ce qui reste des accords d’Oslo est l’acceptation par les Palestiniens de permettre a Israel de limiter la construction sur 60% des terres de Cisjordanie, en zone "C" (sous controle administratif israelien). Toute construction, tout developpement sur ces terres, exige un accord de la part d’Israel, meme dans le cas de terres appartenant a des proprietaires prives.
Il y a 15 jours, par exemple, l’armee et l’administration civile ont demoli 34 unites de logement situees dans un quartier residentiel pres de Ramallah et construites par une association d’ouvriers palestiniens - quand il s’est revele que certaines des terres se trouvaient en zone "B" (sous controle administratif palestinien), et d’autres en zone "C". L’ordre d’arreter les travaux a ete donne il y a un an, mais selon les Palestiniens, la demolition a ete effectuee en l’absence de toute annonce prealable, et sans donner une chance aux habitants d’entamer un recours juridique.
La determination des autorites israeliennes a empecher les "transgressions" dans le domaine de la construction est a mettre en perspective avec l’indigence dont elles font preuve quand il s’agit de faire quoi que ce soit a propos de la construction "legale" qui s’etend dans les colonies.
Les mesures de securite prises par Israel ne font rien pour promouvoir l’etablissement d’un Etat palestinien sur les frontieres du 4 juin 1967, et n’ont rien a voir avec les standards en vigueur dans la communaute internationale. Les mesures de securite prises par Israel, y compris pendant les annees d’Oslo, creent des faits accomplis sur le terrain, afin de peser sur les negociations diplomatiques, et afin de promouvoir une campagne de maillage du territoire palestinien que l’Etat d’Israel compte s’approprier.