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Irak : Des "Américains inconnus" en train de provoquer une guerre civile (The Independant).


The Independant, 6-7 mai 2006.


En Syrie, le monde semble de plus en plus sombre, vu par la lorgnette locale. Aussi sombre que les vitres fumées de la voiture qui m’emmène vers un bâtiment situé dans la zone occidentale de Damas et où un homme que je connais depuis quinze ans - appelons-le une « source sûre », pour reprendre les termes utilisés par les correspondants américains quand ils parlent de leurs puissants officiers de renseignements - m’attend avec son horrible récit du désastre irakien et des dangers au Moyen-Orient.

Ce qu’il dépeint, c’est un portrait effrayant d’une Amérique piégée dans les sables ensanglantés de l’Irak et tentant désespérément de provoquer une guerre civile autour de Bagdad afin de réduire ses propres pertes militaires. C’est un scénario dans lequel Saddam Hussein reste le meilleur ami de Washington, dans lequel la Syrie a répliqué aux insurgés irakiens avec une absence de pitié que les États-Unis préfèrent ignorer. Et dans lequel le ministre de l’Intérieur syrien, découvert mort par balle dans son bureau l’an dernier, s’est suicidé en raison de sa propre instabilité mentale.

Les Américains, soupçonnait mon interlocuteur, tentent de provoquer une guerre civile en Irak de façon que les rebelles musulmans sunnites dépensent leur énergie à tuer leurs coreligionnaires chiites plutôt que les militaires des forces d’occupation occidentales. « Je vous jure que nous avons d’excellentes informations », me déclare ma source, lançant un index péremptoire devant lui. « Un jeune Irakien nous a raconté qu’il avait subi de la part des Américains un entraînement de policier à Bagdad et qu’il avait passé 70 pour 100 de son temps à apprendre à conduire et 30 pour 100 à s’entraîner avec des armes. Ils lui ont dit : "Reviens dans une semaine.’ Quand il est revenu, ils lui ont refilé un GSM et lui ont dit de rouler dans une zone très peuplée, à proximité d’une mosquée, et de leur téléphoner. Il a attendu dans le véhicule mais n’a pu obtenir le signal mobile adéquat. C’est ainsi qu’il est sorti de son véhicule pour avoir un meilleur signal. Et, à ce moment, son véhicule a explosé. »

Impossible, me dis-je. Mais ensuite, je me rappelle le nombre de fois où des Irakiens, à Bagdad, m’ont raconté des histoires du même genre. On croit ces rapports, même s’ils paraissent invraisemblables. Et je sais où l’on peut glaner une bonne part des informations syriennes : parmi les dizaines de milliers de pèlerins chiites qui vont prier à la mosquée de Sayda Zeinab, à l’extérieur de Damas. Ces hommes et ces femmes viennent des quartiers déshérités de Bagdad, tels Hillah et Iskandariyah, de même que des villes de Najaf et Bassora. Des sunnites de Fallujah et Ramadi vont également visiter Damas pour y voir des amis et des proches et parler librement des tactiques américaines en Irak.

«  Il y avait un autre homme encore, entraîné par les Américains pour faire partie de la police. A lui aussi, on a donné un GSM et on lui a dit de téléphoner vers une zone où se massait une foule - peut-être une action de protestation - et de leur raconter ce qui se passait. Là non plus, le GSM ne fonctionnait pas. Il s’est donc servi d’un téléphone par fil et a appelé les Américains pour leur dire : "C’est moi, à l’endroit où vous m’avez envoyé, et je puis vous raconter ce qui se passe ici.’ Et, au même moment, il y a eu une énorme explosion à son véhicule. »

Ma source ne m’a pas spécifié qui pouvaient bien être ces « Américains ». Dans le monde frappé par l’anarchie et la panique qu’est l’Irak, il y a de nombreux groupes américains - y compris les innombrables satellites supposés travailler pour l’armée américaine et le nouveau ministère irakien de l’Intérieur soutenu par l’Occident - qui opèrent au mépris de toutes lois et règles. Personne n’a pu être accusé de l’assassinat de 191 professeurs d’université et autres enseignants depuis l’invasion de 2003, ni du fait que plus de 50 anciens pilotes de chasseurs bombardiers qui ont attaqué l’Iran lors de la guerre irano-irakienne de 1980-88 ont été assassinés dans leurs villes de résidence en Irak ces trois dernières années.

Au milieu du chaos, un collègue de ma source me demanda comment on pouvait escompter que la Syrie allait réduire le nombre d’attaques et d’attentats contre les Américains à l’intérieur de l’Irak. « Notre frontière n’a jamais été sûre », dit-il. « A l’époque de Saddam, les criminels et les terroristes de Saddam traversaient nos frontières pour attaquer notre gouvernement. J’ai construit un mur de terre et de sable le long de la frontière, à cette époque. Mais trois voitures piégées envoyées par des agents de Saddam ont explosé à Damas et à Tartous - c’est moi qui ai capturé les criminels responsables. Mais nous n’avons pu les empêcher d’agir. »

Maintenant, me dit-il, le rempart longeant sur des centaines de milles la frontière entre la Syrie et l’Irak a été surélevé. « J’ai fait placer des barbelés au sommet et, jusqu’à présent, nous avons capturé quelque 1500 Arabes non syriens et non irakiens essayant de traverser et nous avons également empêché 2700 Syriens de franchir cette frontière... Notre armée est sur place - mais l’armée irakienne et les Américains ne sont pas présents de l’autre côté. »

Derrière ces graves soupçons entretenus à Damas, il y a le souvenir de la longue amitié entre Saddam et les États-Unis. « Notre Hafez el-Assad [l’ancien président syrien décédé en 2000] avait appris qu’au début de son pouvoir, Saddam avait rencontré les Américains une vingtaine de fois en quatre semaines. Cela avait convaincu Assad que, en paroles, "Saddam était avec les Américains’. Saddam fut le principal assistant des Américains au Moyen-Orient (lorsqu’il attaqua l’Iran en 1980) après la chute du shah. Et il l’est toujours ! Après tout, c’est lui qui a amené les Américains en Irak ! »

Ainsi, je débouche sur une histoire qui est plus déprimante pour mes sources : la mort par balle du général de brigade Ghazi Kenaan, ancien chef des renseignements militaires syriens au Liban - un poste particulièrement influent - et ministre syrien de l’Intérieur lorsque son suicide fut annoncé par le gouvernement de Damas l’an dernier.

Des rumeurs très répandues à l’extérieur de la Syrie ont suggéré que Kenaan avait été soupçonné par les enquêteurs de l’ONU d’avoir été impliqué dans l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafik Hariri lors d’un gigantesque attentat à la voiture piégée à Beyrouth, l’an dernier, et qu’il avait été « suicidé » par des agents du gouvernement syrien afin de l’empêcher de dire la vérité. Mais ce n’est pas vrai, a insisté mon premier interlocuteur. « Le général Ghazi était un homme qui croyait qu’il pouvait donner des ordres et que tout ce dont il rêvait pouvait se réaliser. Quelque chose s’est produit qu’il n’a pu digérer - quelque chose qui lui a fait comprendre qu’il n’était pas tout-puissant. Le jour de sa mort, il s’est rendu à son bureau au ministère de l’Intérieur, puis il est reparti et s’est rendu chez lui durant une demi-heure. Puis il est revenu avec un pistolet. Il a laissé un message à sa femme dans lequel il lui disait au revoir en lui demandant de veiller sur leurs enfants et il a dit également que ce qu’il allait faire, c’était "pour le bien de la Syrie’. Puis il s’est tiré une balle dans la bouche. » A propos de l’assassinat de Hariri, les officiels syriens aiment à rappeler les relations de l’homme avec l’ancien Premier ministre intérimaire irakien, Iyad Alawi - de son propre aveu, un ancien agent de la CIA et du MI6 - ainsi qu’un marché d’armes supposé, de 20 milliards de USD, entre la Russie et l’Arabie saoudite, marché dans lequel aurait été impliqué Hariri, toujours selon les dires des officiels syriens.

Les partisans libanais de Hariri continuent à réfuter l’argument syrien en prétendant que la Syrie avait identifié Hariri comme étant le coauteur, avec son ami le président français Jacques Chirac, de la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU qui exigeait le retrait des Syriens du territoire libanais.

Mais si les Syriens - et cela se comprend - sont obsédés par l’occupation américaine de l’Irak, la longue haine qu’ils vouent à l’égard de Saddam - et cette haine, ils la partagent avec la plupart des Irakiens - est toujours intacte. Quand j’ai demandé à ma première source « sûre » quel serait le sort de l’ancien dictateur irakien, il m’a répondu, en frappant sa paume du poing : « Il sera exécuté ! Il sera exécuté ! Il sera exécuté ! »

Robert Fisk


 Source : CounterPunch www.counterpunch.org

 Traduction : Jean-Marie Flémal pour STOP USA www.stopusa.be



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La face cachée de Reporters sans frontières - de la CIA aux faucons du Pentagone.
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Des années de travail et d’investigations (menées ici et sur le continent américain) portant sur 5 ans de fonctionnement de RSF (2002 à novembre 2007) et le livre est là . Le 6 avril 2006, parce que j’avais, au détour d’une phrase, évoqué ses sources de financements US, RSF m’avait menacé dans le journal Métro : " Reporters sans frontières se réserve le droit de poursuivre Maxime Vivas en justice". Au nom de la liberté d’expression ? m’étonné-je. Quoi qu’il en soit, j’offre aujourd’hui (…)
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Que ce soit bien clair : nous avons commis des erreurs, évidemment. Et nous en commettrons d’autres. Mais je peux te dire une chose : jamais nous n’abandonnerons le combat pour un monde meilleur, jamais nous ne baisserons la garde devant l’Empire, jamais nous ne sacrifierons le peuple au profit d’une minorité. Tout ce que nous avons fait, nous l’avons fait non seulement pour nous, mais aussi pour l’Amérique latine, l’Afrique, l’Asie, les générations futures. Nous avons fait tout ce que nous avons pu, et parfois plus, sans rien demander en échange. Rien. Jamais. Alors tu peux dire à tes amis "de gauche" en Europe que leurs critiques ne nous concernent pas, ne nous touchent pas, ne nous impressionnent pas. Nous, nous avons fait une révolution. C’est quoi leur légitimité à ces gens-là, tu peux me le dire ? Qu’ils fassent une révolution chez eux pour commencer. Oh, pas forcément une grande, tout le monde n’a pas les mêmes capacités. Disons une petite, juste assez pour pouvoir prétendre qu’ils savent de quoi ils parlent. Et là, lorsque l’ennemi se déchaînera, lorsque le toit leur tombera sur la tête, ils viendront me voir. Je les attendrai avec une bouteille de rhum.

Ibrahim
Cuba, un soir lors d’une conversation inoubliable.

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