« On ne peut pas nous traiter comme une république bananière »
Luis Inacio Lula da Silva affirme que son gouvernement fera valoir le
poids de l’économie brésilienne dans le contexte international : « Nous
devons occuper l’espace qui nous revient et être respectés » . « Le commerce
doit être une route à double sens, d’où tous sortent gagnants et qui ne
signifie pas la soumission pour quelques-uns »
Par Deysis Francis Mexidor, spécialement pour Granma international
« MON principal objectif, en aspirant à la présidence du Brésil est d’
imprimer une nouvelle direction à notre pays », affirme dans une interview
exclusive Luis Inacio Lula da Silva, récemment élu président de cette nation
sud-américaine après avoir été candidat à trois occasions antérieures. La
coalition du Parti des Travailleurs (PT), du Parti libéral, conservateur, et
d’autres formations et mouvements de gauche a donné à Lula plus de 60% des
suffrages, laissant loin derrière le représentant du parti au gouvernement,
José Serra.
Lula, qui connaît bien la vie des ouvriers puisqu’il fut métallo lui-même,
est né en octobre 1945 à Valle Grande, l’actuel Caetés, au sein d’une
famille paysanne. A propos du jour exact de sa naissance, il a expliqué
plusieurs fois qu’elle donne lieu à une polémique familiale car son père l’
enregistra le 6 octobre et sa mère assure que ce fut le 27. Quoi qu’il en
soit, 57 ans plus tard, le sort a voulu que ces deux dates aient été celles
du premier et du second tour des élections présidentielles.
Attentifs à ce qui se passait aux cours de ces journées, nous avons cherché
la manière de prendre contact avec Lula.
Grâce à la coopération de Giancarlo Summa et tout spécialement de Rodrigo
Savazoni, conseiller de presse de la campagne présidentielle, nous avons
atteint notre but et reçu les réponses à chacune des questions formulées,
dans un courrier émis par lulaparacuba.doc
LA ZLEA : UNE PROPOSITION INACCEPTABLE
La première question concernait la Zone de libre-échange des Amériques
(ZLEA) et ses conséquences pour les peuples habitant au sud du Rào Bravo :
« Je suis un défenseur de l’intégration latino-américaine, et pas seulement
de l’intégration économique et commerciale, mais aussi de l’intégration
politique et culturelle », indique-t-il.
« La proposition de la ZLEA dans le contexte actuel est inacceptable. Ce n’
est pas un Accord de libre commerce avec les États-Unis, c’est une
proposition d’annexion de l’économie d’Amérique du Sud et de la Caraïbe à l’
économie nord-américaine. Sans le Brésil, la ZLEA n’existe pas ; ce fait mis
à part, une véritable intégration inclut Cuba.
»Un projet d’intégration suppose une certaine équité entre les différentes
parties. Les États-Unis maintiennent l’hégémonie technologique, militaire,
culturelle et économique et n’envisagent pas de politique de compensation
comme celle que pratique l’Union européenne envers l’Espagne, le Portugal et
la Grèce, par exemple.
»Le peuple brésilien a payé très cher la soumission du Brésil à la
mondialisation néo-libérale dirigée par les États-Unis. Notre pays a cédé
aux exigences du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque
mondiale et s’est montré timide devant l’Organisation mondiale du Commerce,
autant d’organismes contrôlés par les pays les plus riches. Tout indique que
ce coût augmenterait encore si le Brésil se soumettait à l’intégration
forcée de la ZLEA.
»Une étude réalisée par l’ambassade brésilienne à Washington montre que les
exportations du Brésil aux États-Unis sont soumises à une taxe moyenne de
45%, tandis que les exportations nord-américaines au Brésil paient 15%
seulement. L’Administration Bush veut discuter de la ZLEA sans que soient
évoquées sur la table des négociations ces limitations imposées pratiquement
à tous les produits où le Brésil est le plus compétitif.
»Alors, de quoi allons-nous discuter ? De la réduction du Tarif externe
commun du MERCOSUR ou de la Loi d’informatique que nous venons d’approuver ?
Ou de l’annexion pure et simple du Brésil aux États-Unis ?
»Le commerce doit être une route à double sens, dont tous doivent sortir
gagnants et qui ne signifie pas la soumission pour quelques-uns. Le
gouvernement de Bush a pris des mesures protectionnistes qui lèsent les
intérêts d’autres pays et ceci ne peut être consolidé dans un accord général
de libre commerce.
»Quant aux produits américains, à de rares exceptions près, ils entrent
librement au Brésil. 60% des exportations brésiliennes qui vont aux
États-Unis affrontent quelque type d’obstacle pour entrer sur ce territoire.
Des surtaxes dans le cas de l’acier et du jus d’orange, quand ce ne sont pas
les quotas d’importation, comme pour le sucre, ou encore des actions
antidumping et phytosanitaires ; tout ceci réduit le potentiel exportateur
brésilien. »
« Nous avons perdu du terrain dans le commerce international au cours de la
décennie passée, justement à cause d’accords commerciaux défavorables et du
peu d’intérêt du gouvernement à profiter de la spectaculaire expansion
commerciale que l’on observait dans le monde. Dans ce sens, il n’est pas
possible de se lancer dans une nouvelle aventure commerciale où l’on n’offre
rien et où l’on exige beaucoup du Brésil », ajoute Luis Inacio da Silva.
« Notre gouvernement ne se laissera pas soumettre et défendra fermement les
intérêts du pays, faisant valoir le poids de celui-ci dans le contexte
international. Aujourd’hui notre participation est faible, mais elle peut
augmenter, le Brésil reste la dixième économie mondiale. On ne peut nous
traiter comme une république bananière. Nous devons occuper l’espace qui
nous revient et être respectés.
»Nous allons combattre le protectionnisme, essayer d’ouvrir les marchés pour
les produits brésiliens et surtout défendre notre souveraineté. »
A un autre moment de sa réflexion, et à propos du MERCOSUR, il signale que
« pour le Brésil, le plus important en ce moment est de le défendre, car il
traverse une crise mais il s’est avéré très utile pour la dynamisation du
commerce entre ses membres. Le renforcer signifie attirer les pays andins
dans l’accord, resserrer les liens avec l’Union européenne et élargir le
commerce avec la Chine, l’Inde, l’Asie d’une manière générale, avec l’
Afrique du Sud et avec toutes les nations où existe un espace de
croissance ».
UNE DETTE QUI DOIT ÊTRE ACQUITTÉE
Lorsqu’en janvier 2003 Lula prendra ses fonctions en tant que président, il
aura un énorme défi à relever face aux millions et millions d’hommes et de
femmes qui ont vu en lui une alternative de transformations, et à ce propos
il affirme : « Le Brésil a contracté envers notre peuple une dette sociale
qui a un moment donné doit être acquittée. La presse a parlé de la dette
extérieure, de la dette intérieure, mais elle parle peu de la dette sociale,
qui est très importante.
»Notre pays a une dette envers les Indiens, les Noirs, les femmes, les
enfants les personnes atteintes de déficiences physiques, les démunis. Il
nous faut payer cette dette.
»Le Parti des Travailleurs s’est distingué pour le développement de
politiques publiques permettant de réduire l’inégalité sociale brésilienne.
Des programmes tels que Bourse-école, Revenu minimum, Commencer à nouveau et
L’emploi d’abord se sont soldés par des résultats positifs. Ceci, allié aux
réformes que nous proposons -fiscale, agraire, politique, du travail,
judiciaire.- renforcera les changements que nous souhaitons pour améliorer
la vie des Brésiliens.
»J’ai toujours dit que je lutterai pour qu’au Brésil chaque personne reçoive
au moins trois repas par jour. Le projet Faim zéro, que nous avons mis en
ouvre à l’Institut de citoyenneté et qui a été incorporé à notre programme
de gouvernement, montre comment on peut en finir avec la faim de près de 50
millions de Brésiliens en quatre ans. Nous avons un engagement historique
envers la justice sociale et nous allons le tenir. »
STRATÉGIE ET NOUVELLE DIRECTION
En ce qui concerne la crise et l’instabilité que traverse la nation
sud-américaine et qui n’ont pu être résolues à travers le modèle
néo-libéral, Luis Inacio Lula da Silva indique que le Brésil « a besoin d’un
président de la République doté d’un leadership politique et de capacité de
négociation pour entreprendre un nouveau contrat social ».
« Tout le monde sait que j’ai commencé à forger mes convictions politiques
et à développer mes capacités de négociation en défendant la démocratie dans
les dures conditions du régime militaire. Mon grand rêve est de contribuer
par ma vie et mon expérience politique à améliorer la situation du peuple
brésilien.
»Ceci veut dire combattre la misère et en finir avec la faim qui accable
près de 50 millions de personnes sur le territoire national. Ceci veut dire
donner à la grande majorité des Brésiliens la condition de citoyens, faire
en sorte que les jeunes ne soient pas confrontés aux difficultés que
moi-même et tant de personnes avons vécues.
»Améliorer le Brésil signifie donner à notre pays sa vraie valeur, en faire
la grande nation dont des générations ont rêvé. Cela signifie changer de
direction, nous écarter de la situation de vulnérabilité dans laquelle la
politique économique actuelle a plongé le pays. Cela signifie relancer le
développement sur la base d’une distribution du revenu et de la justice
sociale.
»Mais ce n’est pas chose facile. Il faut, avant tout, un président engagé
corps et âme envers ces objectifs. Je m’y suis préparé et j’ai pris cet
engagement.
»J’ai dit clairement dans une Lettre au peuple brésilien, remise récemment à
la nation, qu’une lucide et prudente transition sera nécessaire entre ce que
nous avons aujourd’hui et ce que revendique la société. Ce qui n’a pas été
fait en huit ans ne sera pas compensé en huit jours. Le nouveau modèle ne
pourra être le résultat de décisions unilatérales du gouvernement,
contrairement à ce qui se passe aujourd’hui, ni ne sera instauré par décret,
de manière volontariste.
»Il sera le résultat d’une large négociation nationale, qui doit conduire à
une authentique alliance s’étendant à tout le pays, capable de garantir la
croissance dans la stabilité. Pour cela nous allons réduire les impôts,
augmenter les exportations et promouvoir de manière planifiée la
substitution d’importations, résolvant la situation de vulnérabilité extrême
dans laquelle se trouve l’économie brésilienne.
»C’est dans ce contexte que nous créerons de meilleures conditions pour l’
exécution des contrats signés par le gouvernement actuel, sans compromettre
les objectifs sociaux du nôtre. »
Quant aux coalitions de sa campagne en tant que composantes de la victoire
obtenue, Luis Inacio Lula da Silva est catégorique : « L’adhésion croissante
à notre candidature a pris de plus en plus un caractère de mouvement de
défense du Brésil, de nos droits et de nos aspirations fondamentales comme
nation indépendante.
»Des leaders populaires, intellectuels, artistes et religieux appartenant
aux tendances idéologiques les plus diverses ont déclaré spontanément leur
soutien à un projet de changement au Brésil. Des préfets et des
parlementaires de partis étrangers à la coalition avec le PT ont annoncé
leur appui au projet. Il s’agit d’une vaste coalition, à beaucoup d’égards
suprapartiste, qui souhaite ouvrir de nouveaux horizons à notre pays. »
Le sort en est donc jeté. Luis Inacio Lula da Silva a vu couronnées ses
aspirations à accéder à la présidence de son pays. La mission s’annonce
difficile pour le premier président de l’histoire du Brésil issu des
entrailles du peuple.