RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher

"Ils ont brûlé vif mon fils parce qu’il était noir et chaviste" (Público)

Photo : Inés Esparragoza, mère d’Orlando Figuera, le jeune homme poignardé et brûlé vif à Caracas par les manifestants de droite en 2017. JAIRO VARGAS

L’alliance du suprémacisme Brasilia-Washington et de la globalisation médiatique a produit un genre nouveau de déstabilisation. Des “blitzkrieg” dont les acteurs jouent sur des espaces réduits et dans des temps limités, des « stories » destinées essentiellement à l’exportation. Le modus operandi est le suivant : des commandos de droite cherchent l’affrontement avec les forces de l’ordre… dont la réaction est guettée par les caméras du monde entier, arrivées sur place à l’avance. A New York ou à Berlin, les monteurs inverseront la chronologie de la scène : le “régime” réprime le “peuple”. Aucun journaliste n’analysera pourquoi les victimes sont plus nombreuses chez les militants de gauche, les passants et les forces de l’ordre. Encore moins pourquoi dans ces manifestants “pacifiques”, il y plus du planteur de Haïti qui jetait au four les mauvaises cuisinières noires, ou du porteur de torche du Ku Klux Klan, ou du terroriste de l’Etat Islamique, que du “combattant pour la liberté”.

Thierry Deronne,
Caracas, 19 mai 2019


Le jeune Orlando Figuera est mort en 2017 après avoir été poignardé et brûlé par des manifestants de l’opposition lors de manifestations anti-gouvernementales au Venezuela. Deux ans après le crime, sa mère se souvient de l’affaire et appelle à la justice et à la paix dans son pays, où plusieurs affaires similaires ont conduit le gouvernement à légiférer contre les crimes de haine.

Le jeune Orlando aspergé d’essence et brûlé vif dans le quartier chic d’Altamira.

Inés Esparragoza a du mal à fermer les yeux. « Ce n’est pas facile parce que la première chose que je vois quand je les ferme, c’est mon fils, comme ça », dit-elle. Elle aimerait se souvenir de lui d’une manière différente, et elle le fait presque toujours, mais il y a deux scènes qui se collent fermement à sa rétine. La première est celle de son fils aux soins intensifs de l’hôpital. « Quand j’ai ouvert la porte… je me suis dit : terre, avale-moi. Il était là, nu. Il a dit : Bénis-moi, maman. Il a mis sa bouche pour l’embrasser, mais je ne l’ai pas trouvée. Il était tout meurtri, avec un œil au beurre noir, un visage enflé et un corps plein de brûlures », décrit la femme parmi de longs silences pendant lesquels elle retient les pleurs mais pas les larmes. La deuxième image qui lui mord les yeux, elle l’a vue à la télévision, juste après les funérailles, après « ces 15 jours de pure agonie », le pire de ce qu’elle a pu subir en 44 ans de sa vie. « Orlando Figuera est mort », passaient en boucle les actualités du 4 juin 2017, alors qu’il montrait un corps en flammes courant sans but et sans espoir, cherchant de l’aide parmi la foule qui lui avait mis le feu. « C’est la seule fois que j’ai vu ces images. Ma petite-fille m’a dit : Oncle Orlando est à la télé ». Encore du silence et des larmes.

Le nom Orlando Figuera ne signifie sûrement rien en dehors du Venezuela. Même chose avec Victor Salazar. Cependant, l’image de ce dernier, également couvert de flammes lors d’une manifestation anti-Chaviste, a fait la première page des médias internationaux qui ont serré les rangs pour condamner la répression du gouvernement de Nicolás Maduro contre la mobilisation de l’opposition en 2017. La photographie de Salazar, prise par le photographe vénézuélien Ronaldo Schemidt, qui vit au Mexique, a été distribuée dans le monde entier par l’AFP. Il lui a valu le prestigieux World Press Photo Award en 2018 et a été un symbole puissant de l’instabilité politique et sociale que traverse le pays. Le plus sordide, et que les médias n’ont pas dit, c’est que l’étudiant Salazar n’a pas été victime de la violence gouvernementale. Il s’est brûlé sur 70% de son corps en incendiant une moto de la garde nationale vénézuélienne, que les manifestants avaient volé et promené – Salazar inclus – comme un trophée.

L’image gagnante de la World Press Photo 2017, par le Vénézuélien Ronaldo Schemidt. AFP

L’afro-descendant Orlando Figuera, par contre, n’est connu qu’au Venezuela. Son histoire atroce n’a guère traversé l’Atlantique. Il avait 22 ans quand il est mort à l’hôpital Domingo Luciani à El Llanito, Caracas. Dans le même hôpital où, quelques semaines plus tard, Salazar devait passer avant d’être transféré dans la clinique privée qui lui a sauvé la vie. Figuera n’a pas pu sortir de là, « nous ne sommes pas pauvres, mais nous sommes des gens à faible revenu », déplore sa mère à la porte de sa maison, au pied des immeubles au milieu de nulle part, près de la ville de Cúa, dans Los Valles del Tuy, État de Miranda. Esparragoza ne comprend pas pourquoi l’épreuve de son fils n’a pas fait le tour du monde alors que le Venezuela était au centre de l’attention des médias. C’est peut-être parce que Figuera a été tué par la même opposition qui traite Maduro d’assassin.

2017 : pic de violences contre le chavisme

Tout s’est passé le 20 mai 2017 sur la Plaza de Altamira – dans un quartier chic de la municipalité de Chacao, à l’est de Caracas – l’épicentre des plus violentes manifestations de droite de mémoire d’homme. Plus de 130 jours de “guarimbas” (barrages violents), des jeunes cagoulés, des barricades de rue et des cocktails Molotov… d’avril à début août. Une authentique guérilla urbaine qui s’organisa contre une crise économique qui a ruiné une bonne partie de la protection sociale. C’est aussi le moment où le chavisme a perdu sa majorité au Parlement, où il en a constitué un nouveau en convoquant une élection constituante controversée à laquelle l’opposition ne voulait même pas se présenter. L’hégémonie bolivarienne était plus que jamais remise en cause et les secteurs les plus radicaux de l’opposition ont décidé de tendre dans les rues plutôt que dans les urnes une corde qui, encore aujourd’hui – plus de deux ans et plus de cent morts plus tard – n’a pu être rompue. La répression a été brutale. Il semblait que les Vénézuéliens sortaient la pire version d’eux-mêmes alors que la polarisation sociale, alimentée d’un côté et de l’autre, atteignait un point de non-retour.

Ce jour-là, comme tout le monde, Figuera avait quitté sa maison aux petites heures du matin pour gagner sa vie en aidant à trouver des places de parking et en chargeant des sacs de courses pour les clients dans un marché à Las Mercedes, Caracas. Il était en retard et a dit à sa mère qu’il ne rentrerait pas à la maison. Il lui fallait deux heures de train depuis la capitale et il préférait passer la nuit chez son oncle dans le quartier de Petare. Mais il n’est jamais rentré. Sa mère dit qu’il est tombé sur la haine anti-chaviste. Le jeune homme portait un t-shirt couleur bordeaux et un sac à dos, se souvient-elle. A hauteur d’Altamira, Figuera a rencontré la foule violente.

« Ils l’ont poignardé, lynché, aspergé d’essence et lui ont allumé le feu. Ils l’ont brûlé vif parce qu’il était noir et parce qu’il était chaviste » raconte Esparragoza. C’est ainsi que son fils lui expliqua de sa voix quand il se trouvait à l’hôpital, au lendemain du jour où la foule d’hommes cagoulés exigeant la démocratie au Venezuela, l’interpella : « Es-tu chaviste, oui ou non ? » « Maman, quelle que soit ma réponse, ils allaient me tuer. J’ai dit oui. Je suis un chaviste, et alors. » dit le fils par la bouche de sa mère. Avant cela, le jeune homme avait déjà reçu plusieurs coups de couteau dans l’abdomen et les jambes. « D’abord quelqu’un l’a accusé d’être un voleur et plusieurs ont commencé à le frapper. Il a couru quand il a senti le premier coup de couteau dans la fesse. Puis ils l’ont poussé dans la foule et l’une des personnes présentes lui a demandé si c’était un chaviste. Ils l’ont brûlé et il a couru demander de l’aide, mais il a dit qu’il ne recevait que des insultes en retour, qu’il avait été battu avec les boucliers qu’ils portaient et se moquaient de lui. Ils lui ont dit que c’était un maudit nègre », se souvient Esparragoza.

Le jeune Orlando Figuera n’avait jamais été membre d’un parti politique. « C’était un garçon qui travaillait aussi dur qu’il le pouvait, comme j’ai fait toute ma vie pour aller de l’avant », dit clairement sa mère. « Nous sommes reconnaissants envers le chavisme. Ils ont fait beaucoup pour les gens qui en avait le moins. J’ai, par exemple, pu obtenir mon diplôme grâce à la mission d’éducation des adultes et grâce à cela, j’ai pu trouver du travail en aidant des personnes à faible revenu comme moi à faire leurs demandes de logement et autres formalités, » explique la mère d’Orlando.

« Je demande à Dieu qu’il arrache la rage et la haine de l’âme des opposants » a déclaré la mère d’Orlando à un journal vénézuélien.

Autres crimes de haine présumés

Figuera a été le cas le plus connu au Venezuela, mais pas le seul où la haine endémique de l’extrême droite anti-chaviste a lynché des personnes passant au mauvais endroit dans le pire climat de confrontation politique et sociale de l’histoire récente de ce pays. Le Bureau du Procureur général et le Gouvernement rappellent l’existence de jusqu’à cinq meurtres semblables documentés, en plus des 23 agressions commises par des groupes d’opposition au cours desquelles les victimes ont été blessées, certaines ont également été brûlées car accusés de chavistes. L’exécutif a toujours accusé les chefs de l’opposition d’instiguer la violence et a spécifiquement légiféré contre les crimes haineux après ces épisodes, mais le cas d’Orlando n’a pas encore été résolu complètement par la Justice et sa mère n’a guère espoir que ce soit un jour le cas.

« Il y a eu des enquêtes, mais je ne pense pas qu’elles aient été suffisantes. Personne n’a été condamné pour ce qu’ils ont fait à mon fils, se lamente-t-elle. Selon le ministère public, l’affaire fait toujours l’objet d’une enquête. « Il a été possible d’identifier l’un des agresseurs, qui a fait l’objet d’un mandat d’arrêt pour les crimes d’instigation publique, d’homicide volontaire aggravé et de terrorisme, mais il est en cavale en Colombie », confirme le bureau du Procureur général à Público.

Cependant, Esparragoza vise plus haut. « Dans la guarimba qui a attaqué mon fils, il y avait plusieurs leaders de l’opposition, je crois sincèrement qu’ils sont politiquement responsables de morts comme celle d’Orlando, c’est pourquoi je n’ai pas voulu y aller quand j’ai été invité récemment à un acte d’hommage aux morts des manifestations, » affirme-t-elle en levant un doigt pour chaque nom des politiques de l’opposition qui sont passés par Altamira, le 20 mai : María Corina Machado, Julio Borges, Lilian Tintori, Miguel Pizarro.

Depuis, Inès Esparragoza est sous traitement psychiatrique, son état dépressif l’a éloignée de l’homme avec lequel elle avait partagé 15 ans et a tenté de mettre fin à sa vie à plusieurs reprises, avoue-t-elle. Trop de lignes rouges ont déjà été franchies par tous les acteurs et elle appelle au dialogue entre le chavisme et l’opposition car, malgré tout, elle veut la paix. « Je pense que le pays a appris sa leçon après tant de morts. Je pense qu’il peut y avoir une réconciliation entre les deux Venezuela, dit-elle. Il est encore trop tôt pour savoir si ses paroles se concrétiseront, c’est pourquoi elle ne passera plus par ce beau quartier d’Altamira. « J’ai beaucoup de colère en moi et parfois de mauvaises idées me viennent à l’esprit et j’ai envie de prendre la justice en main », prévient-elle. Elle préfère rester dans son appartement, celui que le gouvernement lui a donné après avoir enterré son fils. « Orlando disait toujours qu’il allait me sortir du taudis où nous vivions, parce qu’il n’y avait pas d’eau courante et que le sol était de la terre pure », se rappelle Inès. Il ne pensait pas qu’il devait donner sa vie pour tenir sa promesse, se lamente-t-elle.

La cité de logements sociaux dans laquelle le gouvernement du Venezuela a logé la famille d’Orlando Figuera après l’assassinat de celui-ci – JAIRO VARGAS

Jairo Vargas – 16/05/2019, pour Público (Espagne)

Source : https://www.publico.es/internacional/venezuela-mi-hijo-quemaron-vivo-chavista.html

Traduction : Venesol.org

»» Venezuelainfos
URL de cet article 34925
   
Même Thème
Ainsi parle Chávez
Hugo Chávez, figure du Venezuela et de l’Amérique latine contemporaine, si critiqué et diffamé dans la plupart des médias, était indéniablement le président métisse, issu d’une famille pauvre, avec lequel les classes populaires pouvaient s’identifier. Pendant 13 ans, chaque dimanche, il s’est adressé à son peuple dans une émission appelée « Allô président », fréquemment enregistrée sur le terrain et en public. Ce livre recueille certaines de ses allocutions. Tour à tour professeur, (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

Toute classe qui aspire à la domination doit conquérir d’abord le pouvoir politique pour représenter à son tour son intérêt propre comme étant l’intérêt général.

Karl Marx

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.