Nafeez Mosaddeq Ahmed est à la tête de l’Institute for Policy Research & Development de Brighton. Son livre, La Guerre contre la vérité : 11 Septembre, désinformation et anatomie du terrorisme, est un bestseller qui lui a valu la plus haute distinction littéraire italienne, le Prix de Naples. Titulaire d’une maîtrise à l’université du Sussex, il y prépare actuellement un doctorat en Relations Internationales. Chroniqueur politique pour la BBC, Nafeez Ahmed a été élu expert mondial pour la guerre, la paix et les affaires internationales par le Freedom Network de l’International Society for Individual Liberty en Californie.
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Il y a trois jours, l’on commémorait l’anniversaire des six ans des attentats de Londres. L’anniversaire est resté relativement discret, si ce n’est les révélations effroyables selon lesquelles des journalistes de News of the World avaient piraté les téléphones de certains proches de victimes du 7 juillet. Curieusement, Scotland Yard semblait être depuis longtemps au courant de ces écoutes téléphoniques, selon Graham Foulkes, dont le fils David a été tué dans les attentats. D’autres révélations qui font état de cinq officiers de la police métropolitaine ayant reçu des pots-de-vin pour un montant de 100.000 Livres sterling ont souligné à quel point la corruption au sein de la police avait facilité le scandale.
Dans neuf jours aura lieu un autre anniversaire - beaucoup moins connu, mais digne d’intérêt - le 5ème anniversaire de la détention sans procès d’un jeune musulman britannique, Talha Ahsan. C’est vers 2007 que j’ai eu connaissance du cas de Talha, lorsque je suis allé chercher mon père et ma belle-mère au domicile de leur ami dans le sud de Londres. C’était un vendredi en fin de soirée, et j’avais réussi à me garer tout près de la maison.
Quand la porte s’est ouverte, j’ai été accueilli par un homme affable d’âge mûr, monsieur Ahsan. Il m’a conduit à l’étage où mon père se trouvait déjà assis avec sa femme, et madame Ahsan m’a offert du thé ainsi qu’un assortiment de sucreries indiennes. Mon père m’a présenté comme un auteur en faisant référence à mon ouvrage (qui venait juste de sortir) « Les Attentats de Londres, Une Enquête indépendante » (Duckworth, 2006), dans lequel je conteste le rapport du gouvernement britannique sur sa politique avant et après les atrocités terroristes du 7 juillet. Le sujet a immédiatement suscité l’intérêt de notre hôte, et j’ai rapidement appris tout ce qui était arrivé à leur fils Talha.
Coupable sans possibilité d’être innocenté
Malgré ma connaissance de l’histoire des opérations de contre-terrorisme américano-britannique et leur tendance à la stigmatisation de façon draconienne et sans discernement les communautés musulmanes, l’affaire Talha - et le fait de n’en avoir jamais entendu parler dans la presse officielle - m’ont profondément choqué. Le 19 juillet 2006, Talha était brusquement interpellé à son domicile par la police britannique. Cette semaine-là , il devait passer plusieurs interviews d’embauche pour une formation de bibliothécaire - quoique souffrant du syndrome d’Asperger, Talha est un jeune homme extraordinairement brillant, fraichement diplômé avec les honneurs de l’École des Études orientales et africaines. Depuis lors, il est incarcéré sans avoir été inculpé.
L’arrestation de Talha est survenue à la demande des autorités américaines sous couvert de la Loi sur l’Extradition de 2003. Malheureusement, la loi ne requiert la présentation d’aucuns éléments de preuve pour appuyer une inculpation. Au lieu de cela, les autorités américaines peuvent simplement émettre une demande à leurs homologues britanniques, qui sur cette base, peuvent enfermer indéfiniment des personnes sans inculpation ni procès. Bien qu’il n’ait jamais été interrogé par la police britannique ou par la police américaine, Talha est emprisonné depuis cinq ans, sans que rien n’ait été fait pour prouver sa culpabilité, ou évaluer les allégations du gouvernement américain contre lui.
Peu importe les détails, il semble peu probable que le dossier soit solide. Ahsan fait partie de ces musulmans britanniques accusés par les autorités américaines d’être impliqués dans des activités liées au terrorisme, sans que la moindre preuve n’ait été fournie. Pour toutes ces affaires, les enquêtes dirigées par la police britannique et le Ministère Public ont conclu de manière univoque qu’il n’existait pas de preuves suffisantes pour inculper les suspects - et encore moins pour les détenir indéfiniment.
Le 7 juillet et le 11-Septembre : Les politiques, et la farce de l’extradition
Dans un des cas, la procédure d’extradition semble avoir pour but de masquer les activités douteuses et dangereuses des agences de sécurité. Un autre Britannique est en attente d’extradition vers les États-Unis, il s’appelle Haroon Rashid Aswat. Officiellement, les autorités américaines veulent le traduire en justice parce que, disent-ils, il a aidé à la mise en place d’un camp d’entraînement terroriste en Oregon en 1999. Mais la demande d’extradition est survenue après qu’Aswat a été arrêté par la police britannique juste après les attentats du 7 juillet, car ils le suspectaient d’être le cerveau de l’opération.
L’arrestation s’est faite sur base d’écoutes téléphoniques poussées entre Aswat et le coordinateur des opérations du 7 juillet, Mohamed Sidique Khan, dans les semaines précédant les attentats. Lorsque l’ancien agent du renseignement de l’Armée et le procureur du Département de la Justice John Loftus ont confirmé qu’Aswat, tout comme Abu Hamza et Omar Bakri Mohammed, avaient été à la solde du MI6 pour faciliter les activités islamistes dans les Balkans, les autorités britanniques sont revenues sur les accusations selon lesquelles Aswat avait orchestré les attentats du 7 juillet, et ont par la suite entièrement retiré leurs allégations sans autre explication.
Aswat attend toujours son extradition. Certains se demandent pourquoi les autorités américaines ont attendu aussi longtemps après que les Britanniques l’aient maintenu en détention en rapport avec le 7 juillet, avant de demander son extradition pour un crime qu’il est supposé avoir commis 6 ans auparavant. Peut-être était-ce à cause de cette remarque embarrassante, exprimée par Loftus, comme quoi Aswat était entré et avait quitté le Royaume-Uni bien que figurant sur une liste de terroristes à surveiller avant le 7 juillet 2005, précisément parce qu’il était toujours sous la protection du MI6.
Dans une autre affaire, celle de Loffi Raissi, l’extradition semble n’être qu’une mascarade politique en vue d’étayer le discours sécuritaire. Résident britannique d’origine algérienne, il a été arrêté peu après le 11-Septembre, puis relâché par la police britannique sans inculpation. Il fut précipitamment ré-interpellé en vertu d’une demande d’extradition émanant des États-Unis, alléguant qu’il avait donné des cours de pilotage à 4 des pirates de l’air du 11-Septembre. En conséquence de quoi, l’accusation a indiqué qu’elle pourrait aller jusqu’à demander la peine de mort à son encontre.
Mais le dossier s’est désagrégé lors des auditions de Raissi en vue de son extradition pendant lesquelles chacune des allégations des États-Unis formulées contre lui et les preuves sur lesquelles elles étaient fondées se sont avérées être soit fausses, soit fabriquées de toutes pièces. Au final, la Cour d’Appel a relaxé Raissi de toute poursuite début 2008, et a condamné la police et le CPS d’abus de procédure judiciaire sur la base de fausses accusations.
La déposition finale des trois hauts magistrats britanniques présidant l’affaire Raisi a été accablante, et s’applique pleinement à la situation actuelle de Talha :
"Il nous apparaît fort probable que la procédure d’extradition a été utilisée à des fins cachées, à savoir pour garantir la détention en garde à vue de l’appelant, et ce afin de donner du temps aux autorités américaines pour fournir les preuves d’un délit terroriste… Nous considérons que la manière dont la procédure d’extradition a été menée dans ce pays, en s’opposant à une mise en liberté sous caution au motif d’accusations qui ne semblent pas fondées sur des preuves, équivaut à un abus de procédure."
Le terrorisme de qui, réellement ?
Talha Ahsan se trouve à l’heure actuelle dans la prison de haute sécurité de Long Martin, dans l’attente de son extradition vers les États-Unis, où les autorités veulent le traduire en justice pour de supposées activités terroristes - pour lesquelles aucune preuve n’a été fournie à ce jour. Les autorités américaines accusent Talha d’avoir fait fonctionner plusieurs sites internet entre 1997 et 2004 - azzam.com, azzam.co.uk, qoqaz.net, et qoqaz.co.uk.
Ces sites auraient été utilisés pour recruter des individus et les inviter à rejoindre les rangs des combattants moudjahidines, tchétchènes et afghans qui seraient liés à al-Qaïda.
Les autorités américaines ont également affirmé qu’Ahsan avait aidé à récolter des fonds pour ces groupuscules en distribuant des livres, des vidéos, des cassettes audio et des CDs faisant la promotion du djihad. A l’instar des accusations portées contre Raissi, qui se sont révélées fausses et motivées par des buts politiques, nous pouvons supposer que les allégations portées contre Talha sont de la même nature.
Néanmoins, la résistance armée contre l’occupation étrangère est un droit reconnu dans la législation internationale par la Déclaration de l’Assemblée générale des Nations Unies en 1960 sur l’Octroi à l’Indépendance des Pays et des Peuples Coloniaux. A ce titre, tant que les lois internationales régissant les conflits armés ne sont pas violées, la résistance tchétchène et afghane à l’occupation étrangère et son support logistique sont légitimes.
Certes, l’affaire est rendue complexe à cause du rôle croissant que les agents d’al-Qaïda ont joué dans ces zones de guerre. Il est malheureusement établi que ce rôle croissant a coïncidé avec l’implication des États-Unis. De fait, plutôt que de cibler de manière aléatoire des musulmans innocents, les autorités américaines devraient investir davantage leur énergie dans des enquêtes sur la manière secrète dont les fonds de la Défense américaine ont systématiquement soutenu les activités terroristes islamistes dans ces régions.
Par exemple, Yousef Bodansky, alors Directeur du Groupe de Travail au Congrès américain sur le Terrorisme et la Guerre non conventionnelle, a rapporté que les responsables du gouvernement américain étaient présents en décembre 1990 lors d’un sommet formel en Azerbaïdjan, où ils avaient accepté « des programmes spécifiques pour la formation et l’équipement des moudjahidines en provenance du Caucase, de l’Asie centrale et du sud, ainsi que du monde arabe ». Des sociétés de sécurité privées américaines qui travaillaient de longue date avec des États clients comme la Turquie, la Jordanie ou l’Arabie Saoudite, ont été encouragées au printemps 2000 à « aider les Tchétchènes » à se révolter. Pour quelles raisons, vous demanderez-vous, incrédules ? Selon Bodansky, il s’agissait de « priver la Russie d’un tracé durable de gazoduc par une spirale de violence et de terrorisme. »
Sans parler de l’Afghanistan, où le gouvernement américain poursuit « une politique secrète qui a renforcé le pouvoir des taliban », tel que révélé par des auditions du Congrès américain à la fin 2000, par la (évidemment fausse) conjecture selon laquelle « les taliban ramèneraient la stabilité en Afghanistan et permettraient la construction d’oléoducs depuis l’Asie centrale traversant l’Afghanistan vers le Pakistan. »
Libérez Talha
Malheureusement, les autorités chargées de l’enquête manifestent très peu d’intérêt pour la manière dont le parrainage caché des gouvernements occidentaux en faveur de militants islamistes a ébranlé la sécurité nationale. Pendant ce temps, comme certaines politiques étrangères suspectes continuent d’aggraver l’hostilité du monde musulman envers l’Occident, le renforcement de la sécurité nationale continue d’attraper sans discernement des milliers de personnes innocentes dans sa toile. Talha Ahsan et sa famille sont un énième exemple de victimes malheureuses d’un État (in)sécuritaire de plus en plus irresponsable.
Mais tout cela n’est pas inscrit dans le marbre. Une façon de contester l’État (in)sécuritaire consiste à soutenir la Campagne pour la Libération de Talha parrainée par la Commission islamique des Droits de l’Homme. Des voix suffisamment nombreuses peuvent contraindre les autorités à prendre acte.
Comment ajouter votre voix aux appels grandissants ici.
Nafeez Mosaddeq Ahmed
Ceasefire Magazine, 10 juillet 2011
http://ceasefiremagazine.co.uk/new-in-ceasefire/free-talha/
Traduction Vincent pour ReOpenNews http://www.reopen911.info/News/2011/10/02/il-ne-suffit-pas-d%e2%80%99etre-innocent-lexemple-de-talha-ahsan-ou-le-renforcement-de-linsecurite-d%e2%80%99etat/