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Hold-up sur la négociation collective

L’affrontement entre le gouvernement de Manuel Valls et l’intersyndicale, sur fond d’article 2 de la loi Travail, mérite d’être éclairé. Mais sur un angle précis. Celui des négociations collectives dans le monde du travail. Autopsie.

« On ne touchera pas à l’article 2 ». Manuel Valls, droit dans ses bottes. Cet article de la loi de Myriam El Khomri en énerve plus d’un. Coléreux cégétistes. Mouvements de grèves, blocages des dépôts de carburant. Sondages en cascade.

Les confrontations sont rudes, depuis que Manuel Valls a dégainé l’article 49-3, le 10 mai. Secousses, dans le quotidien des Français. Climat d’excités et crispation. Manuel Valls espère de la lutte syndicale qu’elle exaspère une partie des Français.

L’article 2 concerne la négociation sur l’aménagement du temps de travail et les heures supplémentaires, au niveau de l’entreprise et via des modalités particulières. L’intersyndicale (CGT, FO, Solidaires, FSU, UNEF, FIDL, UNL) est mobilisée. Les syndicaux dénoncent la « casse du Code du Travail » et l’inversion de la hiérarchie des normes. La hiérarchie des normes équivaut au classement hiérarchique des normes. En matière de droit du travail, les normes sont les suivantes : lois, accords collectifs (de branche puis d’entreprises), contrat de travail. L’échelon inférieur ne pouvant pas être moins favorable que celui du dessus, sauf exceptions. Au-delà des querelles de clochers, c’est la place de la négociation collective en France, qu’il s’agit de questionner. Sans tabou. Ni excès.

En France, la négociation est l’affaire des délégués syndicaux. Des négociations encadrées et annuelles. Mieux connues sous le nom des négociations annuelles obligatoires (NAO). Comme souvent, théorie et pratique entretiennent des relations ambivalentes. Selon une enquête de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) de 2010, les délégués syndicaux ne sont présents que dans près des deux-tiers des entreprises. Leur absence est presque la norme au sein des établissements de 10 à 20 salariés. Premiers écueils. Difficile de négocier sans représentants, d’où l’accumulation des tensions.

La Dares note également la rareté des négociations dans un établissement sur trois disposant pourtant de délégués syndicaux. Lorsqu’une négociation s’opère, celle-ci n’aboutit que dans une minorité des cas. En conclusion de ces données, le chercheur Thomas Breda décortique les enjeux liés à la négociation en France. Il ne s’agit pas de trouver la bonne échelle (Entreprise, branche, loi) à laquelle négocier, mais de comprendre pourquoi ces négociations font si peu d’émules. Même les incitations financières à la négociation ne produisent pas les effets escomptés : à la fin des années 1990, les exonérations de cotisations offertes aux entreprises pour qu’elles négocient des accords et facilitent l’instauration des 35 heures, n’ont rencontré qu’un succès relatif. Thomas Breda pointe les discriminations subies par les représentants syndicaux, après analyse des salaires avec les autres salariés. Les délégués syndicaux les plus revendicatifs sont les plus pénalisés. Selon un sondage de TNS-SOFRES, publié en décembre 2005, un tiers des salariés justifie leur absence d’engagement syndical par crainte des représailles de la part des directions. C’est la légitimité des représentants qui se jouent à cause du défaut de représentativité lié aux discriminations syndicales, notamment. Et la sclérose d’organismes pourtant essentiels.

Velléités politiciennes. La négociation à l’échelle de l’entreprise ne peut être une solution miracle. Ni même la principale solution. En économie, il faut prendre en compte le concept de « jeu à somme nulle ». Dans une négociation, chaque partie n’est pas toujours gagnante. Parfois il y a des perdants. Rapports de force et chantages à l’emploi viennent perturber les négociations et les référendums dans l’entreprise. Chercheurs et enseignants chercheurs du Laboratoire d’Economie et de Sociologie du Travail (LEST, CNRS) mettent sans cesse en exergue ces phénomènes. Souvent étroites, sont les marges de manoeuvres des délégués syndicaux. Ca s’explique par les conjonctures économiques. Crises, concurrences acharnées. La négociation peut rapidement devenir un moyen de baisser les droits des salariés. Limiter la casse devient le mot d’ordre.

Baptiste Giraud, chercheur du LEST, inscrit la loi El Khomri dans une filiation libérale ancienne. Celle de la « décentralisation de la négociation collective » qui ambitionne d’instaurer le dialogue social à l’échelon de l’entreprise. La loi El Khomri a ses aînées, les lois Auroux, Fillon, Borloo, Sarkozy. Malgré une longue succession, les chercheurs comme Elodie Béthoux estiment que placer la négociation au niveau de l’entreprise ne constitue pas une garantie pour les droits des salariés. Bien au contraire. Puisque cela n’a pas réellement permis de développer la formation et l’emploi…

De nombreux écueils empêchent la négociation collective d’être effective, en France. Pour les salariés des petites et moyennes entreprises (PME), les délégués du personnel ne sont présents que dans la moitié des établissements ayant entre 11 et 46 salariés. Dégringolade à 37% pour les entreprises de 11 à 19 salariés. Constats ressortis d’une étude de 2013, de la Dares. En lieu et place de la négociation, qui peine à se frayer un chemin, on trouve les arrangements personnels et les sanctions patronales. Dans ces conditions, difficile d’imaginer ces établissements comme des havres de paix…

Thème connexe à la négociation collective, la conflictualité. Mieux, la judiciarisation de la conflictualité. Le Centre d’études de l’emploi (CEE) dans une étude publiée en mars 2016, constate que le taux de couverture des salariés par les conventions collectives diminue la conflictualité au travail et le recours aux prud’hommes. Cette judiciarisation de la conflictualité au travail se vérifie essentiellement dans les petits établissements dotés d’au moins une organisation syndicale qui, par son activité de conseil juridique, permet d’informer les salariés de leurs droits et les encourager à les faire valoir. Ca rappelle le constat d’une étude de la Dares, de 2015, où insécurité au travail et réticence des salariés à revendiquer leur droit vont de pair. Peur et coût de la procédure agissent en repoussoirs. La petite entreprise familiale à l’ambiance conviviale devient largement un mythe, vu que ces établissements sont progressivement détenus par des grands groupes financiers intéressés par les résultats à court terme et un fort retour sur investissement.

Le marché du travail appelle à une réforme, la négociation doit être refondue. Oui. Double oui ! Mais pas forcément dans le sens initié par Manuel Valls… L’une des utilités de cette loi El Khomri, c’est qu’elle a fait sortir du bois des chercheurs en économie et sociologie, spécialistes du marché du travail.

Florian Maroto

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