Psymmigrée, juin 2006.
Qu’est-ce que cela pourrait bien signifier de parler d’ « hériter d’une immigration » ?
Tout d’abord, comme cela a été notifié dans le titre,
la réflexion menée ici se focalise sur une immigration,
l’immigration marocaine, et même particulièrement celle
installée en Belgique.
Mais cela n’empêche pas que la question qui est posée vaut pour tous les descendants d’immigrés, soit toutes les personnes qui sont en situation d’hériter d’une immigration, quelle que soit la provenance de leurs parents, du moment que ceux-ci aient souhaité, aient dû, partir de chez eux pour un meilleur avenir.
Aussi une grande part de la réflexion vaudra-t-elle pour des descendants d’immigrés ayant des coordonnées spatiotemporelles autres que ceux d’origine marocaine en Belgique.
Ensuite, pour explorer ce que ça fait d’être enfant d’immigrés, soit chercher à répondre à la question, il va falloir commencer par retourner à ce qui a fait que les immigrés se sont décidés à aller dans un autre territoire. C’est là en effet le point de départ de ma réflexion.
Les motivations à migrer sont diverses et plurielles, et chaque immigré a son parcours de vie singulier mais tous les immigrés en ont eu une commune, celle d’améliorer leur vie. Ainsi, si parmi leurs raisons de départ, pour certains, il y avait la nécessité de fuir une réalité sociale brutale, si pour d’autres, il y avait la volonté de quitter un environnement personnel nocif, comme peut l’être une belle-famille étouffante, si chez d’autres encore l’humain désir de découvrir des contrées inconnues avait joué un rôle majeur dans leur décision, etcetera, etcetera, toutes ces raisons, qui concernent des degrés relationnels différents pouvant aller du sociétal à l’individuel le plus intime, coexistent toujours avec l’espoir de mieux vivre sur le territoire d’immigration. (...)
Alors leurs enfants se retrouvent avec un univers mental plein de points de suspension et de trous... de mémoire. L’histoire parentale est constituée de vides pour des périodes entières de vie, et surtout de l’ « avant-migration » : la structure familiale élargie est fragmentairement connue : des ramifications entières de l’arbre généalogique sont ignorées, et souvent les membres de la famille qui sont connus ne sauraient y être placés correctement, faute de connaissances de leurs liens dans la filiation ; de même l’héritage culturel est lui aussi, comme on l’a vu, déstructuré et parcellaire, quant à la structure de la famille nucléaire, elle est endommagée comme on le disait, et on y reviendra encore. (...)
Si ces enfants d’immigrés peuvent être rapprochés de ceux qu’on appelle les personnes du "quart-monde’, par leur modeste origine sociale, ils s’en distinguent sur la motivation de changement social de leurs parents qui a été suffisamment forte que pour amener ceux-ci à quitter leur pays, et aussi, fondamentalement par leur identification à leur origine étrangère, alors que le quart-monde est identifié comme la frange misérable, mais belge, de la population. Si ces enfants d’immigrés peuvent être identifiés comme porteurs d’une identité étrangère de par leurs traits physiques comme la couleur de peau, et la forme des cheveux, leur visibilité vient s’additionner à leur nombre, concentré dans certaines villes et régions plus que pour d’autres enfants d’immigrés. D’ailleurs, la seule continuité qui est reconnue par la société entre les immigrés marocains et leurs enfants, qui pour le reste en sont distingués par l’intermédiaire du terme de génération, est celle de l’étrangeté culturelle, fondamentalement connotée négativement par la société belge, ce qui indique que les enfants d’immigrés doivent visiblement se distinguer de leurs parents pour acquérir une valeur humaine pour la société. (...)
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