Le 23 janvier 2019, un illustre inconnu nommé Juan Guaidó s’autoproclamait président de la République vénézuélienne devant une foule composée de ses partisans. Simple provocation ? Il semble que non, puisque le trublion reçut la reconnaissance quasi immédiate des États-Unis, du Brésil, de la Colombie, du Pérou et (bien sûr) de notre très « démocratique » Canada !
Les coups de force de l’opposition de droite sont monnaie courante au Venezuela depuis la première élection d’Hugo Chavez en 1998. Mais cette fois, la menace d’invasion militaire étasunienne semble d’autant plus probable que la guerre (pour le contrôle des hydrocarbures) semble se stabiliser en Syrie. Ce qui rend la situation d’autant plus urgente que bien rares sont ceux qui soutiennent la simple légalité internationale... Alors pour ce qui est des soutiens internationaux de la révolution bolivarienne... Néanmoins, certains irréductibles, d’ici ou d’ailleurs, se mouillent pour que les acquis sociaux du chavisme ne soient pas réduits à néant, puisque la reconnaissance internationale si soudaine de ce despote au petit pied n’est pas sans lien avec sa volonté de privatiser la compagnie pétrolière nationale (PDVSA).
Les conflits internes des pays sont toujours surdéterminés par les grands acteurs internationaux et rares sont les guerres qui ont de vraies causes éthiques. Disons qu’ici nous avons le summum du mauvais goût en termes de manipulation médiatique, puisque l’on inverse systématiquement les rôles dans cette histoire. Le « dictateur » a bel et bien été élu par des élections transparentes et reconnues par l’ensemble des observateurs internationaux présents et le « démocrate légitime » s’est autoproclamé président sans l’ombre d’une procédure légale. De plus, on met tous les problèmes vénézuéliens sur le dos de Maduro et de l’ex-président Chavez, sans jamais tenir compte des sanctions internationales, de la baisse du prix du pétrole et du sabotage de l’opposition. On les accuse même d’être à l’origine des problèmes qui précèdent l’arrivée de Chavez au pouvoir (notamment la violence et la corruption) et qui n’étaient vraiment pas mieux à l’époque peu bénie de l’austérité néolibérale de Rafael Caldera.
En fait, le grand concert de propagande médiatique d’avant-guerre est bel et bien enclenché dans nos pays. Tous les rats sortent du navire et les motions et résolutions impérialistes apparaissent de partout. Combien de soi-disant démocrates, le cœur sur la main et les larmes aux yeux, nous parlent de cette « pauvre opposition de droite persécutée » par ces « hordes de partageux enragés » ! Pourtant, cette opposition est bien celle qui a gouverné le pays sans partage pendant 40 ans et laissa mourir de faim l’immense majorité du peuple vénézuélien lors de cette période et gageons qu’elle ne risque pas de faire beaucoup mieux, maintenant qu’elle est soutenue par des brutes comme Trump et Bolsonaro !
Notons d’ailleurs, pour compléter le tableau, que cette opposition est l’une des plus mauvaises perdantes qu’il nous est possible d’imaginer, puisqu’elle se fait pratiquement toujours battre aux élections, mais n’accepte jamais le résultat des urnes, sauf bien sûr quand elle les gagne (comme les législatives de 2015) ! Ce qui fait que cette opposition, qualifiée de « démocrate » dans nos médias, a utilisé toutes les manœuvres possibles et imaginables pour renverser les résultats des urnes. Ceci allant de la simple manif, au coup d’État, en passant par des insurrections armées.
Mais pourquoi une telle hargne envers les résultats d’une démocratie qu’ils se targuent pourtant de vouloir défendre ?
La réponse se trouve dans l’histoire du Venezuela, mais surtout dans l’ordre politique qui suivit la dernière des nombreuses dictatures qu’a connue le pays. Cet ordre, appelé « Pacte de Puntofijo », était un compromis entre les diverses forces du pays qui s’accordaient sur le partage du « gâteau » de la rente pétrolière, mais en jouant le jeu du bipartisme parlementaire. Le résultat de ces décennies fut à l’image de ce qui se passe présentement chez nous, soit une longue séquence de promesses trahies et d’austérité néolibérale qui devait déboucher sur l’implosion du système bipartiste en 1994 et à la victoire de Chavez en 1998.
Comme je viens de le mentionner, l’époque du Pacte de Puntofijo était moins une démocratie qu’une oligarchie, qui utilisait l’argent de la compagnie pétrolière nationale (PDVSA) pour alimenter tout un réseau de privilège qui allait des chefs syndicaux de la CTV, au personnel politique des grands partis, en passant par la bourgeoisie nationale affiliée. La société vénézuélienne de cette époque était donc particulièrement inégalitaire et hypocrite, car une grande majorité de la population (notamment les autochtones et les noirs) était totalement laissée pour compte. L’économie étant basée sur le pétrole et sur certaines productions agricoles, le pays a toujours été susceptible de déstabilisation par les aléas de l’offre et la demande mondiale. Comme beaucoup de pays semi-coloniaux, le Venezuela n’avait et n’a toujours pas d’industrie et de marché intérieur capable de stabiliser l’économie sans la participation aux marchés internationaux. Ce qui a toujours été un problème pour la Révolution bolivarienne.
Lors de l’arrivée de Chavez en 1998, bien des observateurs de la politique vénézuélienne croyaient qu’il s’agissait d’un aventurier qui pouvait être maté par la menace et la corruption. N’oublions pas qu’il y avait un extrême à sa gauche et que la première mesure importante qu’il fit toucha surtout la représentation démocratique avec la constituante de 1999, même si quelques réformes économiques ont également eu lieu dans ce mandat. En fait, le gros des réformes sociales du chavisme sera surtout mis en place lors de son second mandat. Ces politiques sociales, ne nous mentons pas, n’étaient pas tant des mesures socialistes qu’un transfert de la rente pétrolière vers les plus déshérités. Transfert de rente qui prit la forme des « missions ». D’autres projets plus ambitieux furent tentés, comme la généralisation des coopératives, mais la révolution bolivarienne fut toujours plus ou moins aux prises avec les contraintes économiques extérieures ainsi que les coups de force et le sabotage de l’opposition. Ce qui a fait que la politique de court terme fut la règle des années Chavez et explique en grande partie les échecs du « socialisme du XXIe siècle ».
Néanmoins, le bilan n’est pas si noir que cela et la grande masse de la population vénézuélienne (même celle qui n’apprécie pas beaucoup Maduro) n’a aucunement envie de revenir sur les acquis sociaux et le développement économique des années Chavez, pour revenir à l’époque de l’anticommunisme et des guérillas. Je mentionne cette époque, car c’est bien ce qui risque d’arriver. Surtout si une intervention militaire étrangère devait survenir. Le régime de Bogota voisin, celui qui fait tant rêver les réactionnaires du monde entier, n’est-il pas responsable du conflit armé le plus long du dernier siècle ? C’est ce qui arrive quand on assassine systématiquement l’opposition de gauche et qu’on piétine le peuple avec le sérum de cheval du FMI. C’est pourtant ce que souhaite cette opposition vénézuélienne, tous plus ou moins prompts au fascisme, même si d’étiquette « sociale-démocrate ».
Alors aujourd’hui, que faire ? Quoi qu’il ne soit pas question de mettre Maduro sur un piédestal ou de prétendre qu’il n’y a aucun problème qui soit issu des décisions politiques PSUV. Il reste néanmoins nécessaire de dénoncer les sanctions économiques, la désinformation médiatique et l’ingérence que font nos pays, car une intervention armée ne peut qu’engendrer une guerre civile comparable à celles qu’ont connues la Syrie et la Libye. Le peuple vénézuélien est beaucoup plus mature que la propagande médiatique le laisse croire et celui-ci saura remplacer Maduro le moment venu. Il est d’ailleurs tout à fait plausible que Maduro passe la main de lui-même, mais, pour cela puisse être possible, un minimum de stabilité est nécessaire. Dans ce contexte, une intervention étrangère ne peut que durcir le pouvoir en place par nécessité de survie.
L’équilibre mondial est un vaste champ de bataille sans foi ni loi et la guerre des intérêts étatiques semble mettre la guerre des classes au second rang. Toutefois, la guerre des classes se fait toujours à l’intérieur de la géopolitique et doit être analysée sans purisme idéologique ni naïveté sur les discours diplomatiques. La guerre des classes fait rage depuis des décennies dans ce pays d’Amérique latine et si nous voulons faire notre part dans le grand rapport de force mondial, il nous faut accepter de jouer (et surtout comprendre) les règles de ce jeu d’échecs amoral qu’est la géopolitique.
En attendant que notre partition arrive, soutenons ceux qui luttent pour la justice et l’indépendance partout dans le monde, car c’est à travers eux que nous forgeons l’avenir commun !
Benedikt Arden (février 2019)